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Malaise d’un élève à l’école pendant la pause méridienne : l’appel des secours doit être immédiat

Conseil d’Etat, 12 février 2021 : n°429801

Malaise d’un enfant pendant la pause méridienne : les agents communaux commettent-ils une faute de nature à engager la responsabilité de la commune en n’appelant pas immédiatement les services de secours, et ce bien qu’ils soient formés aux gestes de premiers secours ?

Oui, le Conseil d’Etat estime qu’un délai de 10 minutes entre le constat du malaise et l’appel des secours est excessif et caractérise une faute dans l’organisation du service de nature à engager la responsabilité de la commune. Cette faute est caractérisée même si les agents sont en mesure d’apporter les premiers secours car ils ont suivi une formation en la matière (sauveteur secouriste et formation aux premiers secours comme c’était le cas en l’espèce pour au moins deux agents). Toutefois, malgré la faute commise dans l’organisation du service, le Conseil d’Etat rejette la demande d’indemnisation de la famille en raison de l’absence de lien de causalité entre la faute et le décès de l’enfant, ce délai excessif n’ayant pas eu d’incidence sur les chances de survie de l’enfant, en raison notamment de la maladie cardiaque génétique dont il était atteint, qui a entraîné une forte résistance aux gestes de réanimation.

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Pendant la pause méridienne, un enfant âgé de 6 ans et demi est victime d’un malaise puis d’un arrêt cardiaque dans la cour de l’école. Le malaise a lieu vers 12h33 et l’enfant a été repéré vers 12h35 par une surveillante en poste à la cantine.
Dans un premier temps, les soins sont prodigués par les agents communaux puis par l’équipe du SMUR appelé 10 minutes après le constat du malaise.

L’enfant décède six jours plus tard des suites des lésions cérébrales irréversibles causées par la privation prolongée d’oxygène.

Imputant la perte de chance de survie de l’enfant à la fois à un défaut de surveillance des agents communaux et à un défaut de prise en charge adaptée, la famille recherche la responsabilité de la commune.

Par un jugement avant-dire droit, le tribunal administratif de Toulouse écarte l’existence d’une faute tenant à un défaut de surveillance mais juge que le délai entre le constat du malaise de l’enfant et l’appel des secours est excessif : ce délai de 10 minutes caractérise un défaut d’organisation du service de nature à engager la responsabilité de la commune.

Le tribunal ordonne une expertise afin d’évaluer le taux de perte de chance d’éviter le décès de l’enfant liée à ce délai.

Un an plus tard après expertise, le même tribunal (jugement au fond) rejette la requête de la famille de l’enfant tendant à la condamnation de la commune à lui verser la somme de totale de 260 000 euros en réparation de leur préjudice subi suite au décès. Le tribunal déboute les parents.

Saisie en appel tant par la commune que par la famille de l’enfant, la cour administrative d’appel de Bordeaux annule le jugement avant-dire droit et confirme le rejet de la requête : aucune faute dans l’organisation du service n’est caractérisée, le délai de 10 minutes ne pouvant être considéré comme anormalement long. Sur pourvoi de la famille, cette position est infirmée par le Conseil d’Etat :

« En jugeant que le délai ainsi mis pour appeler les secours ne pouvait être regardé comme anormalement long et en en déduisant qu’aucune faute dans l’organisation du service ne pouvait être retenue à l’encontre de la commune de Colomiers, alors qu’il appartenait aux personnels, même s’ils étaient en mesure d’apporter eux-mêmes de premiers secours, d’appeler immédiatement les services de secours, comme le prévoient d’ailleurs toutes les consignes en matière de premier secours, la cour a commis une erreur de qualification juridique ».

La Haute juridiction retient une faute dans l’organisation du service et qualifie d’excessif un délai de 10 minutes pour appeler les secours : les services de secours auraient dû être appelés dès le constat du malaise par les agents communaux.

Le conseil d’Etat prend bien soin de préciser que cet appel doit être immédiat, ainsi que le prévoient les consignes en matière de premier secours, même si les personnels sont en mesure de réaliser eux-mêmes les premières manœuvres de réanimation.

📌Dans une autre espèce (accident survenu à une élève âgée de 8 ans en chutant dans un escalier alors qu’elle faisait la course avec une camarade pendant la pause méridienne), la responsabilité de la commune avait été retenue, le retard dans la prise en charge de l’enfant par les services de secours, révélant une faute dans l’organisation du service. En effet immédiatement après l’accident, l’enfant n’avait reçu aucun soin si ce n’est une toilette par un agent de service. Et l’agent communal chargé du service de restauration scolaire n’avait pas jugé opportun d’appeler les services de secours, se bornant à contacter les parents. Peu importe qu’il ne pouvait soupçonner l’existence de lésions internes liées au traumatisme abdominal, le saignement abondant provoqué par le traumatisme à la bouche justifiait à lui seul d’alerter sans délai les services de secours. La responsabilité de l’Etat avait été en revanche écartée, l’accident ayant eu lieu pendant le temps périscolaire après la cantine et avant la reprise des cours (CAA Bordeaux, 6 juin 2017 : n°15BX01624).

En revanche, le Conseil d’Etat écarte tout défaut de surveillance :
 le personnel était en nombre suffisant ;
 l’enfant a été découvert rapidement par un agent environ deux minutes après son malaise.
Toutefois, malgré la faute commise dans l’organisation du service, le Conseil d’Etat rejette la demande d’indemnisation de la famille en raison de l’absence de lien de causalité entre la faute et le décès de l’enfant :

« dans les circonstances particulières de l’espèce, ce délai excessif n’a pas eu d’incidence sur les chances de survie de l’enfant, en raison notamment de la maladie cardiaque génétique dont il était atteint, qui a entraîné une forte résistance aux manœuvres de réanimation, même réalisées par des équipes spécialisées de secours, et de l’importance du délai écoulé jusqu’à la reprise de l’activité cardiaque, au cours duquel des lésions cérébrales sont apparues, qui sont à l’origine de l’encéphalopathie anoxique ayant conduit au décès de l’enfant après plusieurs jours d’hospitalisation en service de réanimation »

Il n’en demeure pas moins que ce drame souligne toute l’importance de rappeler aux agents qu’en cas d’accident grave ou de malaise, leur 1er réflexe doit être d’appeler les services de secours.

Conseil d’Etat, 12 février 2021, n° 429801

[1Photo : Camilo Jimenez sur Unsplash