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Interdiction des cirques d’animaux : les pouvoirs du maire

Tribunal administratif de Lyon, 25 novembre 2020, N°1908161

🎪 Un maire peut-il interdire l’installation de cirques et de spectacles avec des animaux sur le territoire de sa commune ?

 [1]

Non : la réglementation des activités impliquant des animaux d’espèces domestiques et non domestiques relève d’une police spéciale appartenant à l’Etat. Ce n’est qu’en cas de péril grave et imminent que le maire peut intervenir. En outre un maire ne peut prendre une mesure de police présentant un caractère général et absolu. En l’espèce, aucun élément ne permettait au maire d’édicter une telle interdiction, ni les plaintes reçues par la municipalité en défaveur de l’accueil de cirques, ni les troubles causés par un cirque lequel aurait prolongé illégalement sa présence. Aucun trouble à l’ordre public ne justifiait cette interdiction.

Un maire décide d’interdire l’installation de cirques et spectacles détenant des animaux en vue de leur présentation au public sur le territoire de la commune. Une association de défense des cirques de famille demande au tribunal administratif de Lyon d’annuler l’arrêté.

A ce jour, il n’existe pas de disposition législative ou réglementaire interdisant les spectacles de cirques avec présentation d’animaux. Une proposition de loi - dont l’un des articles vise à interdire les spectacles d’animaux vivants d’espèces non domestiques - a commencé à être débattue en octobre à l’Assemblée Nationale [2].

L’association obtient gain de cause.

Police spéciale des activités impliquant des animaux

Le tribunal rappelle tout d’abord que le législateur a institué une police spéciale des activités impliquant des animaux d’espèces domestiques et non domestiques.
Cette police spéciale de la protection des animaux est confiée aux autorités de l’Etat. Elle a notamment pour objet la protection des animaux conformément aux principes énoncés aux articles L.214-1 et s. du code rural et de la pêche maritime.

  • L’article R.214-17 du code rural et de la pêche maritime dispose que « si, du fait de mauvais traitements ou d’absence de soins, des animaux domestiques ou des animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité sont trouvés gravement malades ou blessés ou en état de misère physiologique, le préfet prend les mesures nécessaires pour que la souffrance des animaux soit réduite au minimum (…) ».
  • L’arrêté du 18 mars 2011 prévoit que « l’utilisation d’animaux d’espèces non domestiques au cours de spectacles itinérants, quelle que soit leur classe zoologique, est soumise à autorisation préfectorale préalable » [3].

Par conséquent, le maire en fondant son arrêté sur des textes tel que l’arrêté du 18 mars 2011 ou encore sur les articles L.214-1 et suivants et R.214-17 et suivants du code rural et de la pêche maritime a méconnu sa compétence.

D’autre part, le tribunal précise que seul un péril grave et imminent pourrait potentiellement autoriser le maire à intervenir au titre de son pouvoir de police générale [4] pour assurer la protection du bien-être des animaux (bien que la police de la protection des animaux relève du préfet). Or ce danger n’est pas caractérisé en l’espèce. Par conséquent, les motifs de l’arrêté « fondés sur les conditions générales de captivités des animaux dans les cirques et les conséquences du dressage sur leur comportement sont illégaux » [5].

Pas de trouble à l’ordre public

L’arrêté litigieux se fondait également sur des « nombreuses plaintes » reçues par la municipalité faisant craindre au maire des « réactions violentes si un spectacle présentant des animaux devait se tenir ».

Les juges réfutent ce motif car ces éléments [6] ne suffisent pas à établir un risque de réactions violentes de la part de la population.

En dernier lieu, pour justifier l’interdiction générale de l’ensemble des cirques sur la commune, le maire invoque les troubles à l’ordre public causés par un cirque lequel « a tenté de s’installer sur un terrain privé, puis a accepté de s’installer sur un terrain municipal en prenant l’engagement de partir au bout de sept jours, avant de prolonger illégalement sa présence ».

Le tribunal administratif estime que ce comportement est a priori sans lien avec la présence d’animaux et que ces troubles, restés limités, ne pouvaient justifier une interdiction générale.

L’erreur d’appréciation du maire est caractérisée et l’arrêté annulé.

Cette décision est conforme à la jurisprudence en la matière, plusieurs arrêtés municipaux ayant interdit la venue des cirques avec présentation d’animaux ont été suspendus ou annulés en raison du caractère général et absolu de l’interdiction [7].

D’une manière générale le juge administratif sanctionne les mesures de police édictant des interdictions générales et absolues dès lors que ces mesures ne sont pas adaptées, nécessaires, proportionnées. Les atteintes aux libertés publiques (en l’espèce on pense notamment à la liberté du commerce et de l’industrie et à celle d’aller et de venir) doivent être strictement proportionnées au regard des risques de troubles à l’ordre public [8].

📌 A noter :
Une circulaire du 7 avril 2017 (NOR : INTA1710483J) rappelle que dès lors que sont respectées les règles de sécurité afférentes à ces manifestations (règles relatives à la détention des animaux au sein des cirques, aux mesures d’ordre public), les professions circassiennes doivent pouvoir exercer leurs professions [9].

Eventuellement, une interdiction d’installation d’un cirque avec animaux pourrait être justifiée en cas de troubles à l’ordre public avérés et en présence de circonstances locales particulières [10]

Le conseil municipal n’est pas compétent

Le conseil municipal n’est pas compétent pour prendre une mesure de police qui relève de la seule compétence du maire aux termes de l’article L.2212-1 du code général des collectivités territoriales. Le tribunal administratif de Bastia l’a rappelé récemment concernant une délibération portant « renoncement à recevoir les cirques détenant des animaux sauvages sur le territoire communal » . Par cette délibération, « le conseil municipal de la commune a décidé de renoncer à recevoir sur son territoire des cirques détenant des animaux sauvages et a chargé le maire de signer tout document relatif à cette affaire ». Les juges relèvent qu’il s’agit d’une véritable décision faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir [11].

L’issue du litige aurait pu être différente s’il s’était agi d’un vœu. En effet, aux termes de l’article L.2121-29 alinéa 4 du code général des collectivités territoriales, "le conseil municipal émet des vœux sur tous les objets d’intérêt local" et le juge administratif estime que la délibération par laquelle l’organe délibérant d’une collectivité territoriale émet un vœu n’est pas considérée comme un acte faisant grief et n’est donc pas susceptible de recours pour excès de pouvoir.

Mais, la frontière entre vœu et délibération exprimant une vraie décision faisant grief est parfois ténue et le recours à la méthode des faisceaux d’indice permettra au juge de déterminer le caractère décisoire de la délibération.

Ainsi, il a été jugé que la délibération par laquelle le conseil municipal « s’est déclaré en faveur de l’interdiction de la captivité et de l’exploitation des animaux sauvages dans les cirques, et autres spectacles itinérants impliquant des animaux sauvages, et a déclaré renoncer à la distribution ou à l’achat de places de spectacles de cirques ou spectacles itinérants mettant en scène des animaux sauvages » se borne à émettre des vœux et à prendre une position sur une question ne relevant pas de sa compétence mais n’a ni pour objet, ni pour effet d’interdire l’installation desdits cirques et spectacles sur son territoire. Elle ne constitue dès lors pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours devant le juge de l’excès de pouvoir » [12]

[1Photo : Kevin Jarrett sur Unsplash

[2Source : Proposition de loi n°3293 relative à de premières mesures d’interdiction de certaines pratiques génératrices de souffrances chez les animaux et d’amélioration des conditions de vie de ces derniers.

[3Arrêté du 18 mars 2011 fixant les conditions de détentions et d’utilisation des animaux vivants d’espèces non domestiques dans les établissements de spectacles itinérants NOR : DEVL1108130A). Cet arrêté encadre strictement les conditions de détention des animaux non-domestiques.

[4Articles L.2212-1 et L.2212-2 du code général des collectivités territoriales

[5Le tribunal administratif de Toulon a jugé en février 2020 que ne relèvent pas du bon ordre, de la sûreté, de la sécurité ou de la salubrité publiques dont le maire est le garant, les motifs suivants « les circonstances que les cirques ne pourraient offrir aux animaux sauvages un espace et des conditions de détention adaptés à leurs exigences biologiques » (...) et que « la mise en spectacle de ces animaux dans ces conditions porterait une atteinte aux valeurs de respect de la nature et de l’environnement protégés par la Constitution » TA Toulon, 27 février 2020 : n°1802097

[6Les juges relèvent trois courriels dont la teneur des propos est mesurée, une pétition déposée sur un site internet et des articles de presse

[7Exemple : TA Montreuil, 3 octobre 2019 : n°1801566

[8Conseil d’Etat, 19 mai 1933 : n°17413 Benjamin : « la liberté est la règle, la restriction de police l’exception » selon la célèbre formule du commissaire du gouvernement.

[9En cas de difficultés à l’occasion de ces installations la circulaire encourage le recours à la médiation : sans remettre en cause les compétences de l’autorité municipale, les préfets sont invités à « favoriser le dialogue et la concertation préalables entre les professionnels et les municipalités concernées ».

[10Voir Réponse ministérielle à la question écrite n°16584 publiée au JO Sénat du 13 août 2020, p.3596.

[11TA Bastia, 22 octobre 2020 : n°1800925

[12TA Nancy, 22 janvier 2019 : n° 1802270 A contrario TA Marseille, 22 mai 2018 : n°1603007 L’objet de la délibération était ainsi rédigée : "Résolution de la ville à renoncer à accueillir les cirques détenant des animaux sauvages", la délibération visait les articles du code général des collectivités territoriales relatifs aux pouvoirs de police du maire et son article 1er exprimait clairement le renoncement de la ville à accueillir des cirques.