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Conflits d’intérêts : attention à la complicité !

Dernière mise à jour le 15/10/2020

L’existence de conflits d’intérêts n’est pas une maladie honteuse mais elle peut être contagieuse : un nouvel exécutif local vient d’être condamné pour complicité de prise illégale d’intérêts pour ne pas avoir interdit à un conseiller de prendre part au vote d’une délibération à laquelle il était intéressé.

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Il est quasi-inévitable d’avoir des conflits d’intérêts au cours d’un mandat sauf à vivre en ermite sans famille, ni ami, ni profession ou engagement associatif ! Le tout c’est d’être transparent et de les identifier le plus en amont possible pour prendre les bonnes dispositions. Et le chef de l’exécutif local a une responsabilité particulière au regard des règles relatives à la complicité.

De quoi parle-t-on ?

Aux termes de l’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, « constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».

Le délit de prise illégale d’intérêts (article 432-12 du code pénal) réprime le « fait par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement. »

Le délit est passible de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction.

Nous avons déjà souligné à plusieurs reprises la largesse du texte d’incrimination qui peut conduire à des mises en cause d’élus locaux qui n’ont pas eu conscience de frauder la loi, ni même porté atteinte aux intérêts de la collectivité que ce soit en matière de marchés publics, de décisions d’urbanisme, de recrutements, de vote de subventions aux associations... Les chefs des exécutifs locaux doivent être d’autant plus vigilants qu’ils peuvent non seulement être condamnés pour des prises illégale d’intérêts qui leur sont imputables, mais également pour des faits reprochés à des conseillers !

🚨 L’article 131-26-2 du Code pénal, inséré depuis la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, prévoit le prononcé obligatoire, pour tous les crimes
et pour une série de délits mentionnés à cet article (dont le délit de prise illégale d’intérêts) de la peine complémentaire d’inéligibilité. Il appartient au juge de prononcer explicitement cette peine et d’en fixer la durée. Toutefois, il peut écarter expressément le prononcé de cette peine, par une décision spécialement motivée, en considération des circonstances de l’infraction ou de la personnalité de son auteur.

Pourquoi un maire (ou président d’EPCI) peut-il être poursuivi pour complicité d’une prise illégale d’intérêts imputable à un conseiller ?

Dans un arrêt rendu en 2016 la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre criminelle, 15 juin 2016, N° 15-81124 a confirmé la condamnation d’un maire (commune de 5000 habitants) pour complicité de prise illégale d’intérêts commise par un adjoint. En l’espèce il était reproché à l’adjoint à la voirie d’une commune de 5000 habitants d’avoir :

 participé à la délibération du conseil municipal relative à la révision du plan local d’urbanisme (PLU) prévoyant, notamment, le reclassement partiel d’une parcelle appartenant à son épouse située initialement en zone agricole, dans une zone constructible ;

 exigé et obtenu de la société en charge des travaux d’aménagement commandés par la commune, l’installation de deux bateaux et d’un fourreau au droit de la parcelle concernée.

Le maire était pour sa part poursuivi pour complicité. Il n’avait aucun intérêt personnel dans le dossier mais il lui était reproché de ne pas avoir dissuadé son adjoint d’intervenir dans le dossier.

Pour sa défense, le maire faisait notamment valoir que lui n’avait pris dans l’opération aucun intérêt personnel. Peu importe lui répond la Cour de cassation « dès lors que le délit de complicité de prise illégale d’intérêts n’exige pas la caractérisation d’un tel intérêt pour le complice. »

Dans une autre affaire jugée par le tribunal correctionnel de Marseille (Tribunal correctionnel de Marseille, 29 avril 2013, n° 2782), un maire a été condamné pour complicité de prise illégale d’intérêts imputée à un adjoint dans l’attribution d’un marché public. L’adjoint s’était bien abstenu de participer au vote mais avait assisté aux débats au cours de laquelle l’offre de son entreprise a été retenue. Connaissant la double casquette du conseiller municipal, précisait le tribunal, le maire aurait dû s’opposer à ce que l’intéressé participe aux débats.

Plus récemment le tribunal correctionnel de Cahors (Tribunal correctionnel de Cahors, 8 octobre 2020) a condamné le président d’une communauté de communes pour complicité de prise illégale d’intérêts imputée à une conseiller communautaire. En cause l’attribution d’un marché public à une entreprise pour des travaux de voirie. La procédure de mise en concurrence et d’attribution a été scrupuleusement respectée et la délibération adoptée à l’unanimité des conseillers communautaires. Mais précisément l’un des conseillers communautaires était l’ancien fondateur et gérant de cette société désormais détenue par son fils. Or il a participé, comme les autres conseillers, aux débats et au vote. D’où sa condamnation à 15 000 euros d’amende. Le président de l’EPCI est pour sa part condamné à 4000 euros, dont 2000 euros avec sursis, pour complicité. Il lui est reproché de ne pas avoir interdit au conseiller communautaire intéressé de participer au vote. Le président conteste fermement avoir eu connaissance du lien entre le conseiller communautaire et l’entreprise retenue, soulignant que c’était à l’élu intéressé d’informer le chef de l’exécutif de la situation de conflits d’intérêts qui le concernant. D’où l’appel qu’il a exercé dans l’espoir d’obtenir l’infirmation du jugement. Il convient donc d’attendre l’issue définitive de la procédure avant d’en tirer des conclusions, mais cet exemple souligne une nouvelle fois la responsabilité particulière des chefs de l’exécutif.

🛑 Le conseil d’Etat (Conseil d’État, 9 mai 2012, N° 355756) a jugé que la circonstance qu’une adjointe entretienne des liens étroits avec une entreprise candidate à un marché public ne justifie pas le rejet, par principe, de l’offre de cette société dès lors que l’élue intéressée ne siège pas à la commission d’appel d’offres et n’exerce aucune influence ni dans la définition des besoins de la collectivité, ni dans le choix du candidat. Porte ainsi atteinte au principe de libre accès des candidats à la commande publique, une commune qui rejette par principe, et sans examen, l’offre d’une entreprise au motif que la conseillère municipale déléguée à l’urbanisme est la sœur du président de cette société dont elle est par ailleurs actionnaire.

Comment se prémunir ?

Le premier réflexe pour l’élu intéressé est d’être transparent et de faire état de la situation qui risque de le placer en porte-à-faux pour ensuite s’abstenir de prendre part à tout le processus décisionnel concernant le sujet où il se trouve en situation de conflit d’intérêts ou peut être suspecté de l’être.

La non-participation au vote ne suffit pas, l’élu local doit aussi sortir de la salle au moment du vote (la seule présence même sans vote peut être perçue comme une forme d’influence). Il devra aussi s’abstenir de toute intervention dans l’instruction, la préparation et le vote du dossier en séance du conseil municipal. Enfin, il doit s’abstenir de donner des instructions pour orienter le sens de la décision.

Lorsqu’un maire (il en est de même pour tous les chefs d’exécutif locaux qu’ils soient présidents d’EPCI, d’un conseil départemental, régional, etc.) estime se trouver dans une situation de conflit d’intérêts, il doit être suppléé par un adjoint auquel il s’abstient de donner des instructions. Le maire doit prendre un arrêté de déport mentionnant la teneur des questions pour lesquelles il estime ne pas pouvoir exercer ses compétences (propres ou déléguées par le conseil municipal) et désignant, dans les conditions prévues par la loi, la personne chargée de le suppléer. Cette obligation de déport, introduite par la loi 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et précisée par le décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014, offre aux élus locaux un moyen pratique (l’arrêté de déport) leur permettant de prévenir les conflits d’intérêts. Mais attention : le déport ne doit pas être de pure façade. Il doit se traduire dans les faits par l’absence de toute immixtion de l’élu dans la gestion du dossier qui le concerne.

(cliquer sur l’image pour une meilleure résolution)

Un mécanisme similaire existe pour les adjoints (ou vice-présidents) et conseillers titulaires de délégation. Lorsqu’ils estiment se trouver dans une situation de conflit d’intérêts, les conseillers titulaires d’une délégation doivent en informer le délégant
(maire ou président) par écrit, précisant la teneur des questions pour lesquelles ils estiment ne pas devoir exercer leurs compétences. Le maire (ou le président) doit alors prendre un arrêté déterminant en conséquence les questions pour lesquelles la personne intéressée doit s’abstenir d’exercer ses compétences.

(cliquer sur l’image pour une meilleure résolution)

Il est préférable d’anticiper et de ne pas attendre que le conflit d’intérêts survienne
pour prendre ses dispositions. D’où l’importance en début de mandat d’identifier les domaines où les élus peuvent se trouver en situation de conflits d’intérêts au regard notamment de leurs activités professionnelles (ou celles de leurs proches) ou associatives. Les arrêtés de déport pourront être pris par anticipation.

🙋‍♀️ Les conseils municipaux et communautaires peuvent également s’inspirer du règlement intérieur de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (publié au Journal officiel du 6 octobre 2020) : à l’ouverture de chaque séance du collège, le président de la HATVP fait état des dossiers dans lesquels il possède un intérêt puis donne lecture de la liste des dossiers pour lesquels les membres doivent se déporter. Le président demande ensuite à chaque membre s’il estime se trouver en conflit d’intérêts dans d’autres dossiers. Le membre du collège qui se déporte ne peut émettre aucun avis en rapport avec le dossier en cause et se retire de la salle de délibération. Mention en est faite au procès-verbal. Rien n’interdit de procéder aussi à un tour de table en ouverture de chaque conseil municipal ou communautaire sur les potentiels conflits d’intérêts au regard des points inscrits à l’ordre du jour.

Qu’est-ce que la déclaration d’intérêts ?

Depuis la loi du 11 octobre 2013, certains élus locaux doivent en début de mandat déclarer à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, leurs intérêts.

C’est notamment le cas :
• des maires de communes de plus de 20 000 habitants et les adjoints aux maires de communes de plus de 100 000 habitants titulaires d’une délégation de signature ou de fonction ;
• des présidents d’Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre dont la population excède 20 000 habitants ou dont le montant des
recettes de fonctionnement dépasse 5 millions d’euros, les présidents d’EPCI sans fiscalité propre dont le montant des recettes de fonctionnement dépasse cinq millions d’euros et les vice-présidents des EPCI à fiscalité propre dont la population excède 100 000 habitants lorsqu’ils sont titulaires d’une délégation de signature ou de fonction.

Cette déclaration doit être transmise à la HATVP dans les deux mois suivant l’élection, puis mise à jour dans les deux mois en cas de changements significatifs [2].
Les élus concernés doivent ainsi déclarer :

1° Les activités professionnelles donnant lieu à rémunération ou gratification exercées à la date de l’élection ou au cours des cinq dernières années précédant la déclaration :

- l’identification de l’employeur ;
 
- la description de l’activité professionnelle exercée ;
 
- la période d’exercice de l’activité professionnelle ;
 
- la rémunération ou la gratification perçue annuellement pour chaque activité ;

2° Les activités de consultant exercées à la date de l’élection ou au cours des cinq années précédant la date de la déclaration :

- l’identification de l’employeur ;
 
- la description de l’activité professionnelle exercée ;
 
- la période d’exercice de l’activité professionnelle ;
 
- la rémunération ou la gratification perçue annuellement pour chaque activité ;

3° La participation aux organes dirigeants d’un organisme public ou privé ou d’une société à la date de l’élection et au cours des cinq années précédant la date de la déclaration :

- la dénomination de l’organisme ou la société ;
 
- la description de l’activité exercée au sein des organes dirigeants ;
 
- la période pendant laquelle le déclarant a participé à des organes dirigeants ;
 
- la rémunération ou la gratification perçue annuellement pour chaque participation ;
 
4° Les participations financières directes dans le capital d’une société à la date de l’élection :
 
- la dénomination de la société ;
 
- le nombre de part détenues dans la société et, lorsqu’il est connu, le pourcentage du capital social détenu ;
 
- l’évaluation de la participation financière ;
 
- la rémunération ou la gratification perçue pendant l’année précédant l’élection ou la nomination ;

5° Les activités professionnelles exercées à la date de l’élection par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin :

- les nom et prénom du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin ;
 
- l’identification de l’employeur ;
 
- la description de l’activité professionnelle exercée ;

6° Les fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts :

- le nom et l’objet social de la structure ou de la personne morale dans laquelle les fonctions sont exercées ;
 
- la description des activités et des responsabilités exercées ;

7° Les fonctions et autres mandats électifs exercés à la date de l’élection :

- la nature des fonctions et des mandats exercés ;
 
- la date de début et de fin de fonction ou de mandat ;
 
- les rémunérations, indemnités ou gratifications perçues annuellement pour chaque fonction ou mandat.

🙋‍♀️ Dans les communes qui ne sont pas assujetties à cette obligation de déclaration d’intérêts, cette liste peut être un bon pense-bête pour identifier en toute transparence les potentiels conflits d’intérêts de l’ensemble des conseillers et les anticiper.

Où trouver conseil ?

Chaque personne entrant dans le champ de la loi du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique peut solliciter l’avis de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) sur toute question déontologique rencontrée dans l’exercice de son mandat ou de ses fonctions. La plupart des demandes d’avis formulées à la Haute autorité émanent de déclarants qui s’interrogent sur de possibles situations de conflits d’intérêts.
Lorsqu’elle répond à une demande d’avis émanant d’un déclarant, la Haute autorité vérifie que la situation de l’intéressé ne lui fait pas courir un risque de nature pénale. Par exemple, lorsqu’un responsable public interroge la Haute autorité sur une activité exercée en plus de son mandat ou de ses fonctions, elle vérifie que cette activité n’est pas de nature à le placer en situation de prise illégale d’intérêts. La Haute autorité analyse aussi les situations en matière de conflit d’intérêts : lorsque cela s’avère
nécessaire, elle émet des recommandations destinées à prévenir ou à mettre fin à de telles situations.

En complément nous vous invitons à télécharger gratuitement notre guide pratique sur la mise en œuvre pratique de la Charte de l’élu local. Sa lecture peut vous éviter bien des désagréments au cours de votre mandat.

[1Photo : James Haworth sur Unsplash

[2Compte-tenu de la crise sanitaire, la HATVP a accordé un délai supplémentaire : les déclarations d’intérêts dues entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus devaient être déposées avant le 24 août 2020