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Locations saisonnières et lutte contre le covid-19 : les pouvoirs du maire

Tribunal administratif de Grenoble, 28 avril 2020, N° 2002394

Un maire peut-il interdire les locations saisonnières et l’occupation des résidences secondaires sur la commune pour limiter la propagation du covid-19 ?

 [1]

Oui des lors que l’arrêté :
 répond à des nécessités locales objectives tout à fait particulières ;
 s’inscrit dans le cadre des mesures prises par le préfet concernant l’hébergement touristique en général, sans entrer en conflit avec elles, mais en les complétant ;
 édicte des mesures limitées dans le temps à la période du confinement et circonscrites dans leur objet, tout en restant proportionnées aux risques manifestes encourus.

Le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble refuse ainsi de suspendre l’arrêté du maire de la Contamines-Montjoie interdisant pendant la période du confinement les locations saisonnières et l’occupation des résidences secondaires. En effet la commune a été l’un des premiers foyers de contamination en France (expliquant une grande inquiétude de la population à l’idée d’une possible reprise de l’épidémie au niveau local), et se trouve dans une situation géographique particulière, en moyenne montagne, à l’extrémité d’une vallée et ne dispose que d’un seul accès routier avec le reste du département, situation de nature à rendre plus difficile tant l’approvisionnement en denrées alimentaires que la couverture des besoins médicaux, ainsi que, le cas échéant, l’évacuation des malades vers les centres hospitaliers situés en plaine.

Au début des vacances scolaires de la zone C, un grand nombre de personnes venant de diverses régions de France sont arrivées dans la commune des Contamines-Montjoie, en vue d’y séjourner durablement, soit dans des résidences secondaires leur appartenant, soit dans des logements meublés mis gracieusement à leur disposition. La commune évalue à 400 ou 500 le nombre des nouveaux arrivants, étant précisé que la commune compte 1193 habitants et que les résidences secondaires constituent 82% du nombre total de logements.

Un contexte local particulier

La commune avait été, dès le 8 février 2020, un des premiers centres français où avait été constatée l’existence d’un foyer de personnes contaminées par le covid-19. Un ressortissant britannique en provenance d’Asie avait contaminé cinq touristes séjournant dans un chalet abritant onze personnes, certaines d’entre elles ayant été en contact avec des habitants permanents de la commune. Une campagne massive de dépistage dirigée par l’agence régionale de santé avait été alors rapidement conduite. L’hospitalisation des personnes contaminées dans les hôpitaux de la région avait permis d’endiguer la propagation du virus.

Le maire avait alors décidé la fermeture des écoles et de tous les établissements recevant du public. C’était l’un des tout premiers arrêtés municipaux pris par un maire pour lutter contre la propagation du covid-19.

Depuis le virus s’est répandu, de manière plus ou moins virulente sur l’ensemble du territoire national, mais plus aucun cas de contamination n’a été diagnostiqué sur la commune. L’épisode des vacances de février reste néanmoins présent dans les esprits, et les habitants ne souhaitent pas revivre la même situation pour les vacances de Pâques.

Certes, entre-temps, des mesures de confinement ont été imposées au niveau national mais ne sont pas toujours respectées ce qui fait craindre un retour de touristes potentiellement contaminés. Le maire prend donc un arrêté le 7 avril 2020 interdisant les locations saisonnières et l’occupation des résidences secondaires.

La Ligue des Droits de l’Homme (LDH) demande en référé la suspension de l’arrêté qu’elle juge illégale.

Trois éléments justifiant l’arrêté

Le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble rejette la demande de suspension en se fondant sur trois circonstances :

1° Une grande inquiétude s’est emparée de la population à l’idée d’une possible reprise de l’épidémie au niveau local ;

2° Le préfet a, par arrêté du 7 avril 2020, interdit la location de logements meublés touristiques, précisément dans le but d’enrayer la propagation du virus, en particulier depuis les grands centres urbains et les régions davantage touchées.

3° La commune des Contamines-Montjoie se trouve dans une situation géographique particulière, en moyenne montagne, à l’extrémité d’une vallée et ne disposant que d’un seul accès routier avec le reste du département. Cette situation est de nature à rendre plus difficile tant l’approvisionnement en denrées alimentaires que la couverture des besoins médicaux, ainsi que, le cas échéant, l’évacuation des malades vers les centres hospitaliers situés en plaine. De même l’organisation des services publics en période d’intersaison, la collecte des ordures ménagères notamment, est telle qu’elle n’est pas adaptée à la présence d’un nombre élevé de personnes dans la commune.

Ainsi l’arrêté du maire répond « à des nécessités locales objectives tout à fait particulières, directement liées à des préoccupations d’ordre sanitaire, et devant être regardées comme impérieuses, spécialement dans un contexte de risque de trouble à l’ordre public ».

Un arrêté complétant l’arrêté préfectoral et ne nuisant pas à sa cohérence

Par ailleurs l’arrêté en litige s’inscrit dans le cadre des mesures prises par le préfet de concernant l’hébergement touristique en général, sans entrer en conflit avec elles, mais en les complétant. Ainsi l’arrêté municipal ne nuit pas à la cohérence des mesures prises, dans l’intérêt de la santé publique, par les autorités sanitaires compétentes.

Ce faisant le juge des référés du tribunal administratif applique à la lettre les principes fixés par le juge des référés du Conseil d’Etat dans son ordonnance du 17 avril 2020 dont il rappelle les termes :

« Les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales (...) autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements.

En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à
moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat. »

📌A noter : l’arrêté du maire était limité dans le temps à la période du confinement. Un arrêté similaire qui s’appliquerait au-delà de cette période serait sans doute jugé manifestement illégal. Il reste qu’après le 11 mai la question pourra se reposer notamment pour les futures vacances estivales en fonction de l’évolution de la pandémie et des mesures gouvernementales prises. On peut penser que les pouvoirs de police du maire seront plus ou moins importants selon que le département est classé en zone rouge ou verte. Lorsque l’état d’urgence sanitaire sera levé, les pouvoirs du maire seront paradoxalement plus étendus. En effet dans son ordonnance du 22 mars 2020 rendue avant la promulgation de la loi d’urgence sanitaire, le juge des référés du Conseil d’Etat a en effet précisé que « les maires en vertu de leur pouvoir de police générale ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient ».

Des mesures proportionnées aux risques manifestes encourus

Le juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble souligne enfin que les personnes ayant rejoint la commune des Contamines-Montjoie pour occuper, depuis le 7 avril, leur résidence secondaire ou un logement mis gracieusement à leur disposition, ou par voie d’échange, ont nécessairement méconnu les mesures de confinement décidées au plan national. Et le maire a pris le soin de préciser dans l’arrêté que la mesure d’interdiction ne s’appliquait pas aux touristes et résidents arrivés sur la commune avec l’adoption des mesures de confinement.

Il en résulte « que le maire de la commune des Contamines-Montjoie, au titre de ses pouvoirs de police générale, a pu prendre les dispositions contestées, limitées dans le temps à la période du confinement et circonscrites dans leur objet, tout en restant proportionnées aux risques manifestes encourus, sans porter une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par la Ligue des Droits de l’Homme. »

[1Photo : Jaromír Kavan sur Unsplash