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Prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire : aménagements et compléments

par le Cabinet Goutal, Alibert & Associés

L’ordonnance 2020-306 du 25 mars dernier avait, par des mesures jugées trop radicales (concernant notamment la prorogation des délais de recours et la suspension des délais d’instruction), inquiété les acteurs du BTP, de l’urbanisme et de l’immobilier. La Garde des Sceaux avait annoncé une ordonnance rectificative, pour tenir compte des craintes exprimées par les professionnels. C’est l’objet de l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19 publiée au journal officiel du 16 avril 2020.

 [1]

L’ordonnance 2020-306 du 25 mars dernier relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période avait, par des mesures jugées trop radicales, inquiété les acteurs du BTP, de l’urbanisme et de l’immobilier (voir par exemple communiqué de presse du 28 mars 2020 de la FFB).

Deux mesures, notamment, avaient cristallisé l’attention.

🔸 La première résultait de l’article 2 (du titre Ier de l’ordonnance comprenant les dispositions générales relatives à la prorogation des délais) qui dispose que "tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois".

Cet article, de portée générale, vise, notamment les délais de recours à l’encontre des actes administratifs (ce que confirme l’article 15-I de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif : la prorogation des délais est applicable "aux procédures devant les juridictions de l’ordre administratif"). De sorte que l’ensemble des délais contentieux en matière d’urbanisme dont l’échéance était prévue postérieurement au 12 mars 2020 sont prorogés (et non suspendus comme les délais administratifs visés aux articles 7 et 8 de l’ordonnance n° 2020-306) à compter de la fin de la période mentionnée à l’article 1er de l’ordonnance (deux mois plus un mois ; période dite juridiquement protégée), pour la durée qui était légalement impartie, mais dans la limite de deux mois (si l’article 2 ne parle pas de prorogation, le rapport au Président de la République était explicite sur ce point).

En pratique, et si l’on se réfère au dernier document mis en ligne sur le site du Conseil d’Etat, « lorsque le délai de recours légalement prévu prend fin entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois après la cessation de l’état d’urgence, il recommence à courir à partir de cette dernière date – soit le 24 juin si la durée de l’état d’urgence sanitaire n’est pas modifiée – pour sa durée initiale, calculée en délai franc, dans la limite de deux mois. Dans le cas d’un recours soumis au délai de droit commun de deux mois, si le délai de recours expirait par exemple le 30 mars, la requête sera recevable jusqu’au 24 août 2020 inclus » [2].

🔸 La seconde mesure inquiétant les constructeurs était l’application de l’article 7 de l’ordonnance précité aux demandes d’autorisation d’urbanisme. Cet article précise que "les délais à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis de l’un des organismes ou personnes mentionnés à l’article 6 peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu’à la fin de la période mentionnée au I de l’article 1er". Il précise que "le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période mentionnée au I de l’article 1er interviendra à l’achèvement de celle-ci. Les mêmes règles s’appliquent aux délais impartis aux mêmes organismes ou personnes pour vérifier le caractère complet d’un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction d’une demande ainsi qu’aux délais prévus pour la consultation ou la participation du public".

Autrement posé, les délais d’instruction non échus au 12 mars 2020 sont donc suspendus (et non prorogés) et les délais qui auraient dû commencer à courir depuis le 12 mars 2020 sont neutralisés. Ils recommenceront donc à courir le premier jour suivant l’achèvement de la période juridiquement protégée pour le temps qui leur restait à courir le 12 mars dernier. Il en ira de même en cas de dépôt d’une demande après le 12 mars dernier : le délai d’instruction ne commencera à courir que le premier jour suivant l’achèvement de la période juridiquement protégée. Jusqu’à l’intervention de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020, et à partir de l’analyse du Conseil d’Etat, il était majoritairement admis que les délais d’instruction commenceraient, ou recommenceraient, à courir le 24 juin prochain (certains auteurs retiennent toutefois la date du 25 juin 2020).

Cela concernait naturellement, comme l’a rappelé la Ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les Collectivités territoriales, "les demandes formulées en matière de droit des sols (déclaration de travaux, permis de construire, permis d’aménager, etc...)"(Min. de la Cohésion des territoires et des Relations avec les Collectivités territoriales, Ordonnances du Conseil des ministres du 25 mars 2020, Les collectivités territoriales et leurs groupements).

L’idée, clairement, était d’éviter la naissance de décision implicite en matière d’urbanisme pendant la période juridiquement protégée, ou alors la purge automatique du droit de préemption urbain alors même que de nombreux services Urbanisme, jugés non essentiels par le Ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les Collectivités territoriales, étaient fermés ou avait vocation à l’être (Recommandations à l’attention des maires, des présidents de conseils départementaux, des présidents de conseils régionaux et des présidents d’établissements publics et de coopération intercommunale en date du 21 mars 2020).

Mais, derechef, ces dispositions ont été très mal accueillies par les professionnels, qui ont immédiatement relevé le risque qu’aucun permis (de construire ou d’aménager) ne soit délivré avant la fin de mois de juin (étant toutefois précisé que la disposition précitée de l’ordonnance n’interdit pas, à notre sens, la délivrance des autorisations en cours d’instruction pendant la période juridiquement protégée, pour autant bien entendu que les services instructeurs et les élus concernés soient en mesure d’instruire et de décider…).

C’est, notamment, pour tenir compte des craintes exprimées par les professionnels du secteur de la construction sur ces deux points que le Gouvernement a envisagé de « rectifier » l’ordonnance n° 2020-306, ainsi que l’avait annoncé la Garde des Sceaux la semaine dernière.

L’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19 publiée au journal officiel du 16 avril 2020 est articulée en trois temps :

  le titre I est relatif à la "modification des dispositions générales relatives à la prorogation des délais" ;
  le titre II est relatif à la "modification des dispositions particulières aux délais et procédure en matière administrative" ;
  le titre III est relatif aux "dispositions diverses", qui concerne directement les praticiens du droit de l’urbanisme.

📌L’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, rédigée dans des délais particulièrement brefs, prévoit une période juridiquement protégée pour les délais "qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020" (art. 1er de l’ordonnance).

Cet article avait donné lieu à des divergences d’interprétation entre les praticiens quant à la date de la cessation de l’état d’urgence sanitaire : doit-on inclure le 24 mai dans cette période ? La réponse à cette question impacte directement la date d’expiration de la période juridique protégée (date de cessation de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois) ; concrètement, les délais concernés reprennent-t-ils leur cours le 24 juin à 00h00 ou le 25 juin à 00h00 ?

Si ni l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020, ni le Rapport au Président de la République qui lui était joint (qui indique seulement que " la durée de l’état d’urgence sanitaire est prévue pour s’achever le 24 mai 2020, de sorte que la « période juridiquement protégée » s’achèverait un mois plus tard") n’ont apporté la réponse espérée, une circulaire du 17 avril 2020 a rassuré les praticiens.
Ainsi indique-t-elle que "la durée de l’état d’urgence sanitaire est prévue pour s’achever le 24 mai 2020 à 0 heures, de sorte que la « période juridiquement protégée » s’achèverait un mois plus tard, soit le 23 juin à minuit". Autrement dit, les délais reprendront leur cours le 24 juin 2020 (sauf exception prévue, notamment en matière d’urbanisme, par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 ; pour ces derniers, ils ne sont plus prorogés mais suspendus et ils reprendront le 24 mai prochain à la fin de l’état d’urgence sanitaire). Cette lecture est aussi, même si un premier document diffusé a pu semer le trouble, celle du Conseil d’Etat qui a indiqué, d’une part, que la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 était le 23 mai prochain [3] et, d’autre part, que le délai de recours contentieux recommence à courir à partir du 24 juin 2020 [4].

Tout cela est bien évidemment sous réserve d’une modification (désormais attendue) de la durée de l’état d’urgence sanitaire...

S’agissant du titre I relatif à la modification des dispositions générales relatives à la prorogation des délais

L’on retiendra principalement que l’article 1er complète la liste des délais, mesures et obligations exclus du champ d’application du titre Ier de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.

Il s’agit d’une liste, assez fournie (12 nouveaux cas) et assez hétéroclite (inscription aux procédures de délivrance des diplômes, lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, déclarations relatives aux produits chimiques…). Pour ce qui concerne les collectivités, l’on retiendra que sont exclus du dispositif de prorogation des délais prévu par l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 les « délais dont le respect conditionne l’accès aux corps, cadres d’emploi, emplois ou grades de la fonction publique ainsi que le bénéfice de mutations, détachements, mises à disposition ou autres affectations des agents publics ». Cela est justifié par le fait que ces délais doivent être maintenus compte tenu de l’importance des mouvements d’agents publics qui interviennent dans les mois précédant la rentrée scolaire (nouvel art. 1er I, 3 bis de l’ordonnance n° 2020-306). Sont également exclus les « délais accordés par des procédures d’appels à projets aux personnes souhaitant concourir à la réalisation de politiques publiques et bénéficier à ce titre d’aides publiques ». L’objectif de cet ajout est de ne pas paralyser le recours à ces appels à projets en imposant un report de plusieurs mois des délais laissés aux candidats pour présenter leurs projets (nouvel art. 1er I, 11° de l’ordonnance n° 2020-306).

🔸 L’article 2 explicite l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 pour confirmer que cette disposition ne s’applique pas aux délais de réflexion et de rétractation. A suivre le Rapport au Président de la République, « la faculté de rétractation ou de renonciation, c’est-à-dire le délai laissé par certains textes avant l’expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement à un contrat, n’est pas un acte « prescrit » par la loi ou le règlement « à peine » d’une sanction ou de la déchéance d’un droit ».

Dans ces conditions, l’ordonnance confirme que les délais pour se rétracter ou renoncer à un contrat (vente à distance mais aussi vente d’immeubles à usage d’habitation relevant de l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation) sont exclus du champ de l’article 2 de l’ordonnance précitée. Le Gouvernement a considéré qu’une lecture contraire aurait, en matière immobilière, eu pour effet de paralyser de nombreuses transactions. C’était aussi une revendication forte des acteurs de la filière immobilière, qui devraient donc être rassurés ; l’on rappellera à cet égard qu’un récent décret a adapté le régime d’établissement des actes notariés sur support électronique afin de tenir compte des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, et de l’impossibilité pour les parties de se rendre physiquement chez un notaire (décret n° 2020-395 du 3 avril 2020 autorisant l’acte notarié à distance pendant la période d’urgence sanitaire).

🔸L’article 3 précise l’interprétation de l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-306, relatif à la prorogation de plein droit pour une durée de deux mois à compter de l’expiration de la période juridiquement protégée des mesures administratives et juridictionnelles en cours (mesures d’aide, d’accompagnement ou de soutien aux personnes en difficulté sociale, mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction, de conciliation ou de médiation, mesures d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction, autorisations, permis et agréments). Pour éviter que cette prorogation de plein droit puisse être interprétée comme un dessaisissement des autorités compétentes, il est précisé que la prorogation ne fait pas obstacle à ce que le juge ou l’autorité compétente modifie ces mesures, y mette fin ou encore, si les intérêts dont ils ont la charge le justifient, prescrive leur application ou en ordonne de nouvelles pour la durée qu’il détermine. En d’autres termes, la prorogation posée par l’article 3 est supplétive en ce qu’elle ne joue qu’en l’absence de décision prise par l’autorité compétente dans la période juridiquement protégée.

🔸 S’agissant, enfin, de l’article 4, il complète l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 relatif au cours des astreintes et à l’application des clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance. Le principe, posé au 1er aliéna, demeure : « les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er ».

Mais le deuxième alinéa de l’article 4 est remplacé par deux nouveaux alinéas relatifs à deux hypothèses distinctes. L’ordonnance modifie, d’abord, la date à laquelle des clauses et des astreintes qui sanctionnent l’inexécution d’une obligation échue pendant la période juridiquement protégée prendront leur cours ou leur effet. Le report sera égal à la durée d’exécution du contrat qui a été impactée par les mesures résultant de l’état d’urgence sanitaire (suppression du report forfaitaire d’un mois). L’ordonnance institue, ensuite, un dispositif de report du cours des astreintes et de la prise d’effet des clauses pénales, résolutoires et de déchéance lorsque celles-ci sanctionnent l’inexécution d’une obligation, autre que de somme d’argent, prévue à une date postérieure à la fin de la période juridiquement protégée. A grands traits, ce report sera également calculé, après la fin de la période juridiquement protégée, en fonction de la durée d’exécution du contrat qui a été impactée par les contraintes du confinement.

S’agissant du titre II relatif à la "modification des dispositions particulières aux délais et procédure en matière administrative"

Il contient trois articles.

🔸 L’article 5 modifie l’article 7 de l’ordonnance 2020-306.

Il est d’abord ajouté un alinéa à cet article pour préciser que « sous réserve des dispositions de l’article 12 [5], les délais prévus pour la consultation ou la participation du public sont suspendus jusqu’à l’expiration d’une période de sept jours suivant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée ». Autrement posé, l’ordonnance supprime le délai d’un mois supplémentaire après la fin de l’urgence sanitaire pour refaire courir les délais. Ces derniers recommencent à courir 7 jours suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire (7 jours à compter du 25 mai si l’on considère que l’état d’urgence sanitaire s’achève le 24 mai).

La modification ne permettra pas de poursuivre les procédures en cours (concertation prévue par le Code de l’urbanisme ou de l’environnement, procédure de participation du public et enquête publique prévues par le Code de l’environnement…) mais elle présente le mérite de ne pas les retarder davantage…

L’article 5 prévoit aussi que les délais applicables aux procédures en matière de rupture conventionnelle dans la fonction publique, notamment le délai de rétractation, sont suspendus selon le droit commun fixé par l’article 7 de l’ordonnance du 25 mars 2020 précitée.

🔸 L’article 6 modifie l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-306 qui suspend les délais dans lesquels les personnes publiques et privées doivent réaliser des travaux et des contrôles ou se conformer à des prescriptions de toute nature. Il est précisé que l’autorité administrative peut néanmoins, pendant la période juridiquement protégée (12 mars 2020 – 24 juin 2020), exercer ses compétences – en tenant compte des contraintes liées à l’état d’urgence sanitaire – pour modifier ces obligations ou y mettre fin, ou, lorsque les intérêts dont elle a la charge le justifie, pour prescrire leur application ou en ordonner de nouvelles, dans le délai qu’elle détermine.

🔸L’article 7 modifie pour sa part l’article 9 de l’ordonnance n° 2020-306 pour prévoir deux nouveaux motifs qui permettront par décret de déterminer les actes, procédures ou obligations pour lesquels les délais reprennent : la sauvegarde de l’emploi et de l’activité et la sécurisation des relations de travail et de la négociation collective. On rappellera que c’est sur le fondement de cet article 9 qu’un décret a procédé, pour des motifs tenant à la sécurité, à la protection de la santé et de la salubrité publique et à la préservation de l’environnement, au « dégel » du cours des délais de réalisation des prescriptions qui, expirant au cours de la période juridiquement protégée (état d’urgence sanitaire + un mois), ou dont le point de départ devait commencer à courir pendant cette période, s’est trouvé suspendu (décret n° 2020-383 du 1er avril 2020 portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d’urgence sanitaire liée à l’épidémie de covid-19).

S’agissant du titre III relatif aux "dispositions diverses en matière d’urbanisme"

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Cette partie de l’ordonnance (article 8) intéresse directement le droit de l’urbanisme.

🔸 En premier lieu, est intégré dans l’ordonnance n°2020-306, un article 12 bis qui fixe des règles dérogatoires à celles de l’article 2 concernant le report des délais de recours contentieux à l’encontre des autorisations de construire (permis de construire, non-opposition à déclaration préalable, permis d’aménager et permis de démolir). L’on rappellera que le mécanisme de l’article 2 de l’ordonnance n°2020-306 prévoit une prorogation des délais non échus au 12 mars dernier pour une durée de deux mois à compter du 24 juin 2020 ce qui permet donc de déposer régulièrement un recours (gracieux ou contentieux) jusqu’au 24 août 2020 (à suivre le Conseil d’Etat). Cette règle jugée trop pénalisante dès lors que "dans le domaine de la construction, l’ensemble du processus (financements, actes notariés, chantiers) se trouve en effet bloqué tant que les délais de recours contre l’autorisation de construire ne sont pas purgés"(cf. rapport au Président de la République) a été remplacée, uniquement pour les recours contre une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou un permis de construire, d’aménager ou de démolir (les délibérations relatives à l’approbation des documents d’urbanisme ne sont donc pas concernées) par un système de suspension des délais. Concrètement, les délais non échus au 12 mars 2020 reprendront donc leur cours là où ils s’étaient arrêtés dès la cessation de l’état d’urgence sanitaire (soit, pour la majorité des commentateurs, le 25 mai 2020) sans toutefois que les délais restant ne puissent être inférieurs à 7 jours. Le gain de temps est donc sensible.

🔸 En deuxième lieu, le nouvel article 12 ter prévoit une dérogation à l’article 7 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, pour permettre que les délais d’instruction des autorisations d’urbanisme, suspendus depuis le 12 mars dernier, reprennent leur cours dès la cessation de l’état d’urgence sanitaire, et non un mois plus tard. Ce serait donc une reprise du délai d’instruction le 25 mai 2020 (la prudence recommanderait, vu les débats doctrinaux en cours, de retenir la date du 24 mai 2020). L’objectif affiché est, à suivre le rapport au Président de la République, "de relancer aussi rapidement que possible, une fois passée la période de crise sanitaire, le secteur de l’immobilier, en retardant au minimum la délivrance des autorisations d’urbanisme". Cela imposera aux services d’instructeur de recenser très rapidement les délais susceptibles d’expirer fin mai 2020... Par ailleurs, et pour répondre aux demandes des constructeurs, le Ministère de la Cohésion des Territoires a indiqué mener « un travail commun avec les collectivités territoriales afin d’encourager l’instruction et la délivrance de décisions expresses dans ces domaines sans attendre l’expiration des délais ».

🔸 En troisième lieu, un article 12 quater a été inséré pour prévoir, à l’instar des autorisations d’urbanisme, que le délai imparti à l’administration pour répondre à une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) reprenne dès la cessation de l’état d’urgence sanitaire (soit une reprise le 25 mai 2020 pour la majorité des commentateurs) pour le temps qui lui restait à courir au 12 mars 2020. Les services instructeurs devront être particulièrement vigilants sur ce point et anticiper l’expiration de ces délais pour ne pas être pris de court.

🔸 En quatrième et dernier lieu, une disposition a été ajoutée pour régler la difficulté liée au fait que les délais de participation du public aux décisions ayant une incidence sur l’environnement nécessaires aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024 ont été suspendus conformément à l’article 7 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, à défaut de pouvoir relever de l’article 12 de la même ordonnance, qui ne vise que les seules enquêtes publiques. Le Gouvernement considère que "les modalités de cette participation, qui s’effectue par voie électronique dans les conditions définies à l’article L. 123-19 du code de l’environnement [6] ; de sorte que le cours de ces délais reprend pour ces procédures à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 15 avril 2020 (publiée au Journal officiel du 16 avril 2020).

🔸 Pour être complet, on précisera enfin l’article 9 modifie également l’ordonnance n° 2020-305 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif qui avait avait prévu en son article 15-II des règles de computation des délais de recours contentieux ouverts contre les décisions en matière d’éloignement et d’asile dérogatoires à celles fixées à l’article 2 de la même ordonnance. L’on retiendra principalement, parmi les ajustements opérés, que le point de départ du délai de recours ouvert contre les obligations de quitter le territoire français (OQTF), les arrêtés de transfert Dublin et les décisions de la Cour nationale du droit d’asile est reporté au lendemain de la fin de l’état d’urgence sanitaire (et non plus un mois après la fin de cette période).

[1Photo par Djim Loic sur Unsplash

[2Voir la Fiche pratique sur l’adaptation des procédures devant les juridictions administratives ; voir toutefois, le premier document diffusé par le Secrétariat général du Conseil d’Etat le 26 mars 2020 qui indiquait, à propos des délais de recours contentieux, que « les délais recommenceront donc à courir à compter du 25 juin 2020 »)

[3CE, 10 avril 2020, Syndicat des avocats de France, n° 439903

[4Fiche pratique du Conseil d’Etat

[5Spécifique aux enquêtes publiques en cours à la date du 12 mars 2020 ou devant être organisée pendant la période juridiquement protégée pour des projets présentant un intérêt national et un caractère urgent

[6En application de l’article 9 de la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024], apparaissent compatibles avec l’état d’urgence sanitaire" (cf. rapport au Président de la République