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Troubles psychiques, faute de la victime et défaut d’entretien normal d’un ouvrage public

Cour administrative d’appel de Lyon, 12 mars 2020, n° 18LY01680

Une personne atteinte de troubles psychiques chute du haut d’une tour après avoir escaladé un mur et franchi un grillage éventré. Un usage anormal de l’ouvrage public peut-il être opposé à la victime malgré sa maladie et le défaut d’entretien du grillage ?

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Oui répond la cour administrative d’appel de Lyon qui estime que le défaut d’entretien normal de l’ouvrage public (grillage endommagé ayant permis à la victime de pénétrer sur le site) est neutralisé par la faute de la victime qui connaissait les lieux et ne pouvait ignorer les risques qu’elle prenait. Ce d’autant qu’une personne présente sur les lieux de l’accident a vu la victime se jeter volontairement du haut de la tour les bras écartés. La commune est ainsi exonérée de toute responsabilité. Peu importe que le grillage interdisant l’accès au site était endommagé depuis plusieurs mois et que la victime était atteinte de troubles psychiques.

Après avoir franchi un grillage éventré lui permettant d’avoir accès aux remparts de la ville, un homme escalade un mur de 2,5 mètre pour atteindre le sommet d’une tour d’où fait une chute de plus de 20 mètres.

Atteinte d’un handicap permanent, la victime impute sa chute au défaut d’entretien de l’ouvrage public et demande à la commune 100 000 euros de de dommages-intérêts...

Mais une personne présente sur les lieux du drame indique avoir vu le jeune homme, assis les jambes dans le vide, en haut de la tour au niveau des remparts de la ville, puis se mettre debout sur le mur et se laisser tomber, les bras écartés... Interrogée par les gendarmes, la victime conteste cette version et prétend avoir chuté accidentellement. Si elle reconnaît son imprudence elle soutient qu’aucune faute ne saurait lui être opposée étant atteinte de troubles du discernement depuis plusieurs années, l’ayant conduit à de fréquents séjours en hôpital psychiatrique et à la prescription de médicaments indiqués dans le traitement de la schizophrénie et des épisodes maniaques modérés à sévères.

La commune se défend en soulignant :
 que les grilles sont surveillées régulièrement par les services techniques et sont réparées en cas de dégradation ;
 qu’aucun élément médical ne vient démontrer qu’à la date de la chute, la victime présentait une fragilité psychologique ;
 que la victime ne pouvait pas ignorer les risques encourus en montant en haut de la tour dès lors qu’elle a dû franchir plusieurs obstacles et qu’elle connaissait les lieux.

Le tribunal administratif de Dijon écarte toute responsabilité de la commune, ce que confirme la cour administrative d’appel de Lyon.

Défaut d’entretien normal de l’ouvrage public

Les juges retiennent contre la commune un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public. En effet, dans leur procès-verbal, les gendarmes ont constaté que s’il existait des grilles de protection interdisant l’accès à la partie supérieure de la tour, ce grillage était dégradé depuis plusieurs années par des jeunes pour leur permettre d’accéder et de se réunir en haut de cette tour. Les juges écartent l’argumentation de la commune qui soutenait avoir procédé à l’entretien régulier des remparts en produisant un relevé des interventions de ses services techniques. En effet il en ressort que la dernière intervention avant l’accident datait de 4 mois et avait simplement consisté en la réfection des joints des pierres du mur d’enceinte des remparts, sans aucune intervention sur le grillage défectueux.

Ainsi la commune n’établit pas que la dégradation du grillage était récente et qu’elle n’aurait pas été en mesure de prendre toutes les dispositions nécessaires pour procéder au remplacement de cet équipement de sécurité. En l’absence d’un dispositif de sécurité en bon état interdisant l’accès au sommet de la tour, la commune n’établit pas, alors que la charge de la preuve lui incombe, avoir entretenu normalement l’ouvrage public que constitue la tour des remparts.

Faute de la victime

Pour autant la cour administrative d’appel de Lyon écarte toute responsabilité de la commune. En effet la victime connaissait les lieux et ne pouvait ignorer les risques qu’elle prenait en grimpant jusqu’au sommet de la tour. Son comportement constitue de ce fait un usage anormal de l’ouvrage public et les préjudices subis du fait de sa chute sont exclusivement imputables à son imprudence. Les juges ne se prononcent pas explicitement sur le caractère volontaire ou non de la chute, ce qui peut laisser penser que cet élément est indifférent dès lors que la victime n’ignorait pas les risques qu’elle prenait. En tout état de cause, son imprudence peut lui être opposée même si elle a fait l’objet de séjours en hôpital en service de psychiatrie pour décompensation psychotique dans le cadre d’une rupture thérapeutique.

[1Photo par Tobias Tullius sur Unsplash