Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative

Habitation reconstruite sans autorisation après sinistre dans une zone exposée aux inondations : démolition justifiée ?

Cour de cassation, troisième chambre civile, 16 janvier 2020, n° 19-13.645

Une commune peut-elle demander, sept ans après l’achèvement des travaux, la démolition d’une maison d’habitation reconstruite après sinistre, sans autorisation, dans une zone exposée à un fort risque naturel d’inondation ?

 [1]

OUI : le besoin social impérieux de préserver la sécurité des personnes et d’éviter toute construction nouvelle ou reconstruction à l’intérieur des zones inondables soumises aux aléas les plus forts prime sur le droit au respect du domicile et de la vie privée et familiale. Est ainsi fondée l’assignation en démolition délivrée par une commune contre une propriétaire qui a ignoré les refus de permis de construire qui lui étaient opposés. Peu importe que l’habitation, où sont domiciliés une mère de famille et ses trois enfants, ait été reconstruite à l’identique après un sinistre et que la commune ait attendu sept ans avant d’engager une action (le délai de l’action civile étant de 10 ans à compter de l’achèvement des travaux).

Un pavillon d’habitation est détruit par incendie en 2006. La propriétaire sinistrée souhaite reconstruire à l’identique. Ses trois demandes de permis sont refusées. Et pour cause : la parcelle est située dans une zone exposée à un fort risque d’inondation. En 2007, la propriétaire décide de passer outre les refus d’autorisation. Sept ans plus tard, la commune (2000 habitants) assigne en justice l’intéressée pour obtenir la démolition du pavillon reconstruit.

Les juridictions du fond donnent satisfaction à la commune au regard des prescriptions du plan de prévention des risques prévisibles d’inondation.

A l’appui de son pourvoi, la propriétaire invoque une violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile. Elle souligne que :

- la commune a toléré cette situation pendant sept ans avant de réagir ;

- la construction est édifiée dans une zone urbaine dense proche d’un cours d’eau où ne sont prohibées, selon le plan de prévention des risques prévisibles d’inondation applicable, que les constructions nouvelles, mais non les reconstructions à l’identique après sinistre ;

- la mesure de démolition est disproportionnée au regard notamment de sa situation familiale et financière de parent isolé, en charge de trois enfants mineurs et éligible au revenu de solidarité active.

La cour de cassation, douze ans après l’achèvement des travaux, rejette le pourvoi et confirme le bien fondé de l’action engagée par la commune, la sécurité des personnes primant sur toute autre considération :

« Ayant retenu qu’il existait un besoin social impérieux de préserver la sécurité des personnes exposées à un risque naturel d’inondation et d’éviter toute construction nouvelle ou reconstruction à l’intérieur des zones inondables soumises aux aléas les plus forts, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision d’ordonner la démolition. »

Dans un autre arrêt rendu le même jour, la Cour de cassation (19-10.375) annule en revanche un arrêt de la même cour d’appel accédant à la demande de démolition de divers aménagements réalisés sur un terrain, classé en zone naturelle par le plan local d’urbanisme, et d’un chalet en bois où était domicilié une famille. Pour accueillir la demande de démolition, les juges d’appel avaient retenu que le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile ne faisait pas obstacle à la protection de l’environnement assurée par des dispositions d’urbanisme impératives destinées à préserver l’intérêt public de la commune et de ses habitants. La Cour de cassation casse l’arrêt, faute pour la cour d’appel d’avoir recherché si les mesures ordonnées étaient proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile. Le contrôle de proportionnalité devait être d’autant plus exigeant que dans cette seconde espèce il n’y avait de risque pour la sécurité des personnes.

Cour de cassation troisième chambre civile 16 janvier 2020 n°19-13.645

[1Photo par Mariah Hewines sur Unsplash