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Alcool au travail : tolérance zéro et contrôles d’alcoolémie, les prérogatives de l’employeur (dernières précisions du Conseil d’Etat)

Conseil d’État, 8 juillet 2019, N° 420434

Un employeur (public ou privé) peut-il exiger des salariés (ou des agents) une tolérance zéro à l’alcool sur le lieu de travail et contrôler leur taux d’alcoolémie ?

 [1]

Oui mais sous certaines conditions : le dispositif doit être prévu dans le règlement intérieur et l’employeur doit pouvoir établir que cette mesure est justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché. Le règlement intérieur peut à ce titre fixer la liste des salariés concernés par référence au type de poste qu’ils occupent. Ainsi l’employeur peut établir la liste de ces postes, tels que conducteurs d’engins de certains types, utilisateurs de plates-formes élévatrices, électriciens, mécaniciens... Par ailleurs il n’est pas exigé que le règlement comporte lui-même la justification du caractère proportionné de la mesure : pour établir le caractère proportionné de l’interdiction imposée aux salariés occupant les postes ainsi listés, l’employeur peut très bien se prévaloir du document unique d’évaluation des risques professionnels. Contrairement aux juges d’appel qui estimaient que le champ de la mesure prévue était trop imprécise, le Conseil d’Etat estime que le dispositif prévu par l’employeur est bien conforme. Il rappelle à cette occasion que "l’employeur, qui est tenu d’une obligation générale de prévention des risques professionnels et dont la responsabilité, y compris pénale, peut être engagée en cas d’accident, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs".

Une entreprise révise son règlement intérieur. Une annexe concerne les contrôles d’état d’ébriété. Il y est précisé que les salariés occupant des "postes de sûreté, de sécurité ou à risque", tels que définis dans l’annexe, sont soumis à une "tolérance zéro alcool". L’inspection du travail exige le retrait de la disposition relative à la "tolérance zéro alcool" figurant dans l’annexe au règlement intérieur relative aux contrôles d’ébriété, estimant que le champ de la mesure est trop imprécis.

La cour administrative d’appel de Nancy, va dans le sens de l’inspection du travail et estime que le dispositif prévu par l’employeur n’est pas conforme :

« si l’employeur peut, lorsque des impératifs de sécurité le justifient, insérer dans le règlement intérieur des dispositions qui limitent la consommation de boissons alcoolisées de manière plus stricte que la tolérance posée par l’article R. 4228-20 du code du travail, de telles dispositions doivent, conformément à l’article L. 1321-3 de ce code, être justifiées et rester proportionnées au but de sécurité recherché, alors même qu’il appartient à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer, conformément à l’article L. 4121-1 du même code, la sécurité et la santé des travailleurs » ;

Or poursuivent les magistrats d’appel, le champ de l’interdiction posée par l’employeur est en l’espèce trop imprécis dans la mesure où l’annexe litigieuse :

🔸 ne définit pas avec précision les postes dont les titulaires seront soumis à une "tolérance zéro alcool" ;

🔸 se contente d’évoquer les caractéristiques générales des "postes de sûreté et de sécurité ou à risque" puis d’établir une liste des "postes de conduite", des "postes de maintenance" et des "autres postes" qui entrent dans le périmètre de l’interdiction ;

🔸 plus que des postes, elle vise des métiers sans que soit justifiée la restriction imposée en l’absence d’élément caractérisant l’existence d’une situation particulière de danger ou de risque liée à la consommation faible d’alcool par le personnel exerçant ces missions.

En outre, la cour administrative d’appel reproche à l’employeur de ne pas avoir produit les fiches de postes correspondantes, se contentant de renvoyer au document unique d’évaluation des risques professionnels, auquel il n’est fait aucune référence dans l’annexe au règlement intérieur, et à des tableaux répertoriant les accidents de travail dans l’entreprise, sans les exploiter.

Ainsi, toujours selon les juges d’appel, "l’employeur n’apporte, par conséquent, pas la preuve du caractère justifié et proportionné de l’interdiction imposée aux salariés occupant ces postes " et "la disposition relative à la " tolérance zéro alcool " excède, par son champ d’application imprécis, l’étendue des sujétions que l’employeur peut légalement imposer en application des dispositions précitées de l’article L. 4121-1 du code du travail et des restrictions qu’il peut légalement apporter à la liberté individuelle des salariés".

C’est à une toute autre analyse à laquelle se livre le Conseil d’Etat qui souligne que :

🔸 « l’employeur, qui est tenu d’une obligation générale de prévention des risques professionnels et dont la responsabilité, y compris pénale, peut être engagée en cas d’accident, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ;

 

🔸 à ce titre l’employeur peut, lorsque la consommation de boissons alcoolisées est susceptible de porter atteinte à la sécurité et à la santé des travailleurs, prendre des mesures, proportionnées au but recherché, limitant voire interdisant cette consommation sur le lieu de travail ;

 

🔸 en cas de danger particulièrement élevé pour les salariés ou pour les tiers, il peut également interdire toute imprégnation alcoolique des salariés concernés. »

Le Conseil d’État concède que l’employeur doit être en mesure d’établir que cette mesure est justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché. Mais rien n’interdit que le règlement puisse légalement fixer la liste des salariés concernés par référence au type de poste qu’ils occupent. Ainsi l’employeur pouvait établir la liste de ces postes, tels que conducteurs d’engins de certains types, utilisateurs de plates-formes élévatrices, électriciens ou mécaniciens.

Enfin il n’est pas exigé que le règlement comporte lui-même cette justification : pour établir le caractère proportionné de l’interdiction imposée aux salariés occupant les postes ainsi listés, l’employeur peut très bien se prévaloir du document unique d’évaluation des risques professionnels.

Conseil d’Etat, 8 juilllet 2019, N° 420434

N.B Le litige concernait ici une entreprise privée mais la solution est transposable aux associations et aux collectivités territoriales. Ajoutons que pour vérifier l’alcoolémie d’un salarié, l’employeur ne peut pas le contraindre à des examens sanguins puisque ces derniers portent atteinte à l’intégrité de la personne. En revanche, dès lors que la mesure est prévue dans le règlement intérieur, il peut le soumettre à un alcootest. Le test n’a pas à être effectué par le médecin du travail mais peut l’être par toute personne ou organisme désigné par l’employeur. Le recours à l’alcootest doit être accompagné de garanties pour le salarié (la présence d’un tiers, la possibilité de demander une contre-expertise ou un second test doit être prévue). La Cour de cassation a ainsi jugé (Cour de cassation, chambre sociale, 22 mai 2002, n° 99-45.878) que "les dispositions d’un règlement intérieur permettant d’établir sur le lieu de travail l’état d’ébriété d’un salarié en recourant à un contrôle de son alcoolémie sont licites dès lors, d’une part, que les modalités de ce contrôle en permettent la contestation, d’autre part, qu’eu égard à la nature du travail confié à ce salarié, un tel état d’ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger".

[1Photo : Markus Spiske sur Unsplash