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Harcèlement moral : maire condamné à 175 000 euros de dommages-intérêts, à la commune de payer ?

Cour administrative d’appel de Bordeaux, 18 mars 2019, N° 16BX03742

Une commune peut-elle être tenue d’indemniser les victimes des agissements de harcèlement moral imputés à un maire qui a été condamné à payer des dommages-intérêts (à hauteur ici de 175 000 euros) sur ses deniers personnels ?

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Oui : si le maire engage sa responsabilité civile personnelle dès lors qu’il a commis une faute personnelle, la victime peut engager la responsabilité de la commune si la faute commise par l’élu n’est pas dépourvue de tout lien avec le service. En revanche la commune n’est pas tenue de verser l’intégralité des sommes allouées aux victimes par le juge judiciaire et devra demander à l’élu le remboursement des sommes qu’elle a dû verser aux victimes. En l’espèce un maire a été reconnu coupable de harcèlement moral sur plainte de deux cadres de la collectivité et a été condamné à leur verser, sur ses deniers personnels, 175 000 euros de dommages-intérêts. La commune est condamnée à verser 15 000 euros à chacun des deux plaignants mais sera subrogée dans les droits des victimes pour obtenir le remboursement des sommes auprès du maire à concurrence de 30 000 euros.

Un maire (commune de moins de 15 000 habitants) est poursuivi pour harcèlement moral sur plainte de deux cadres de la collectivité. Il est condamné à dix mois d’emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d’amende. Sur l’action civile, l’élu est condamné en appel à verser sur ses deniers personnels 175 000 euros (!) de dommages-intérêts aux plaignants. Mais la Cour de cassation annule cette condamnation faute pour les juges d’appel d’avoir recherché si la faute imputée à celui-ci présentait le caractère d’une faute personnelle détachable du service. Il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de rejuger l’affaire conformément au droit (celle-ci pourra confirmer la condamnation civile de l’élu si elle caractérise à son encontre l’existence d’une faute personnelle).

Faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service

Entre-temps la majorité municipale a changé et la nouvelle municipalité refuse d’indemniser les deux cadres territoriaux estimant que le maire a commis une faute personnelle excluant toute responsabilité de la commune. Le tribunal administratif annule cette décision et accorde une indemnité de 10 000 euros à chacun des deux plaignants.

La cour administrative d’appel de Saint-Denis de la Réunion confirme logiquement cette analyse : si les fautes commises par le maire sont "détachables du service dès lors qu’elles révèlent des préoccupations d’ordre privé et présentent un gravité inadmissible", il reste qu’elles ont néanmoins été commises dans l’exercice même de ses fonctions de maire.

C’est l’illustration bien connue en droit administratif de la notion de faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service qui a été consacrée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt "Epoux Lemonnier" (Pour des développements sur cette notion voir Inondations mortelles en zone urbanisée : responsabilité civile personnelle des élus ?). La victime peut alors engager la responsabilité de la collectivité, à charge pour cette dernière de se retourner ensuite contre l’élu ou l’agent fautif.

Le juge administratif n’est pas lié par le montant des dommages-intérêts alloués par le juge judiciaire

Mais la cour administrative d’appel précise pour autant que la commune "n’a pas à se substituer à son ancien maire pour assumer la charge des dommages et intérêts fixés par la décision de la cour d’appel".

Autrement dit si la commune engage sa responsabilité elle n’est pas tenue pour autant de verser l’intégralité des dommages-intérêts accordés par le juge judiciaire aux victimes.

Le Conseil d’Etat a déjà statué en ce sens s’agissant d’attaques dont a été victime un agent de la part de tiers :

« si la protection instituée par les dispositions précitées de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 comprend, le cas échéant, la réparation des préjudices subis par un agent victime d’attaques dans le cadre de ses fonctions, elle n’entraîne pas la substitution de la collectivité publique dont il dépend, pour le paiement des dommages et intérêts accordés par une décision de justice, aux auteurs de ces faits lorsqu’ils sont insolvables ou se soustraient à l’exécution de cette décision de justice, alors même que l’administration serait subrogée dans les droits de son agent » (Conseil d’Etat, 9 juin 2010, N° 318894 ; pour d’autres exemples : Tribunal administratif de Clermont-Ferrand, 17 octobre 2013, N° 1300636 ; Tribunal administratif Clermont-Ferrand, 22 septembre 2016, N° 1500537) .

La cour administrative d’appel évalue en l’espèce à 15 000 euros le montant des indemnités dues par la collectivité à chacun des plaignants, eu égard à la durée et à la gravité des faits de harcèlement qu’ils ont subis. Pour autant la commune est subrogée, à concurrence des deux indemnités de 15 000 euros allouées, dans les droits détenus par les deux cadres à l’encontre du maire : si la cour d’appel de renvoi retient à l’encontre de l’élu l’existence d’une faute personnelle et confirme sa condamnation à indemniser les victimes sur ses deniers personnels, la commune obtiendra le remboursement des sommes. Dans cette hypothèse, l’élu fautif devra donc assumer seul les conséquences de ses agissements.

Cour administrative d’appel de Bordeaux, 18 mars 2019, N° 16BX03742

[1Photo : Luca Bravo sur Unsplash