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Extension importante du champ de la responsabilité civile des dirigeants d’association

Cour de cassation, chambre criminelle, 5 avril 2018, N° 16-87669 & 16-83961

Un dirigeant d’association peut-il engager son patrimoine personnel pour indemniser des victimes bien que les faits à l’origine du dommage aient été commis dans l’exercice de ses fonctions ?

Oui. En principe un dirigeant ne peut engager son patrimoine personnel que s’il a commis une faute détachable de ses fonctions ce qui suppose qu’il ait poursuivi un intérêt personnel ou commis une faute d’une particulière gravité. C’est en tout cas la position des chambres civiles de la Cour de cassation. Mais la chambre criminelle, dans deux arrêts rendus le 5 avril 2018, estime qu’en cas de condamnation pénale d’un dirigeant, il n’est pas nécessaire de prouver que celui-ci ait commis une faute détachable des fonctions, pour qu’il engage aussi sa responsabilité civile et soit condamné à indemniser les victimes sur son patrimoine personnel. Et ce quelle que soit la gravité de l’infraction commise ! Il s’agissait en l’espèce de dirigeants d’entreprise (dont l’un était poursuivi pour des contraventions à la réglementation du travail sur le temps partiel) mais la solution est tout à fait transposable aux associations, les règles étant sur ce point identiques. Ainsi dès lors qu’un dirigeant d’association se rend coupable d’une infraction pénale, quelle que soit la gravité de celle-ci, les victimes sont en droit d’actionner la responsabilité civile personnelle du dirigeant. Mieux vaut donc vérifier que chacun est bien assuré !

Deux dirigeants d’entreprise se rendent coupables d’infractions pénales : l’un pour abus de confiance, le second pour des infractions à la réglementation du travail relative au temps partiel et au paiement des heures complémentaires. Ils sont tous les deux condamnés, ce que confirme la Cour de cassation. L’intérêt de ces deux arrêts est ailleurs et porte sur la question de la charge de l’indemnisation des victimes.

En effet en principe un dirigeant d’entreprise, comme un dirigeant d’association, ne peut engager son patrimoine personnel que s’il a commis une faute détachable de ses fonctions. Les juridictions civiles et commerciales se sont inspirées de la distinction, connue en droit administratif, entre faute de service et faute personnelle comme critère de distinction entre la responsabilité de l’administration et la responsabilité personnelle des agents publics.

Ainsi, dans les deux cas, les dirigeants objectaient que leur responsabilité civile personnelle ne pouvaient être engagée en l’absence de faute détachable de leur part. L’argument pouvait être d’autant plus percutant pour le deuxième chef d’entreprise (entreprise de prestations d’aide à domicile) qui avait été condamné pour de simples contraventions relatives à la réglementation du travail et au paiement des heures complémentaires, sans aucune poursuite d’un quelconque intérêt personnel. Mais dans les deux cas, la réponse de la chambre criminelle est identique et la condamnation civile des dirigeants confirmée :

 "le grief tiré du défaut d’établissement d’une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales constituant une faute séparable des fonctions de dirigeant social est inopérant, les juges n’ayant pas à s’expliquer sur l’existence d’une telle faute pour caractériser une faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite" (1ère espèce) ;

 "le prévenu, devant répondre des infractions dont il s’est personnellement rendu coupable, quand bien même elles ont été commises dans le cadre de ses fonctions de dirigeant social et ne constituent que des contraventions, engage sa responsabilité civile à l’égard des tiers auxquels ces infractions ont porté préjudice" (2è espèce).

Et le raisonnement aurait été rigoureusement identique pour des dirigeants associatifs. Autant dire qu’en cas de poursuites pénales, les dirigeants s’exposent non seulement à une condamnation pénale mais également à devoir indemniser les victimes sans qu’il soit nécessaire d’établir qu’ils aient commis une faute détachable de leurs fonctions. Et ce quelle que soit la gravité de l’infraction commise... Alors que, dans le même temps, la notion de faute personnelle détachable, reste toujours de vigueur si la responsabilité du dirigeant est recherchée devant le juge civil [1] . Une incitation indirecte pour les victimes à se tourner vers le juge pénal !

Comme l’a relevé le professeur Céline Mangematin [2], "cette différence de régime n’est pas satisfaisante puisque la même situation de fait donnera lieu à des solutions différentes selon que la victime d’une infraction aura exercé son action devant le juge civil ou le juge pénal. Nul doute qu’elle préférera alors s’adresser au juge pénal, confortée par l’extension de l’exclusion de la faute détachable au dirigeant relaxé, ce qui risque d’exacerber le contentieux répressif"...

Cour de cassation, chambre criminelle, 5 avril 2018,
N° 16-87669

Cour de cassation, chambre criminelle, 5 avril 2018,
N° 16-83961

[1Cour de cassation, chambre civile 2, 19 février 1997, N° 95-11959 ; Cour de cassation
chambre civile 2, jeudi 7 octobre 2004, N° 02-14399

[2La non-admission de la faute détachable des fonctions par le juge pénal, Céline Mangematin, AJ Pénal, Mai 2018, p.248