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Protection fonctionnelle et mise en cause en cause pénale (2/2)

Protection fonctionnelle et présomption d’innocence

Intervenants :

 Me Joël Bernot, avocat en droit public

 Jean-Paul Denizet, président de chambre, Tribunal administratif de Poitiers

 Jean Laveissière, professeur de droit public, directeur du master 2 droit des collectivités locales, Université Montesquieu, Bordeaux IV


Photo : © EML

 Bruno Leprat

Monsieur Laveissière, il y a quelques questions sur lesquelles vous avez travaillé dont celle-ci : comment concilier protection fonctionnelle et présomption d’innocence ?

 Jean Laveissière

On a précédemment évoqué le cas du fonctionnaire ou de l’élu victime. Il convient à présent de s’intéresser au fonctionnaire ou à l’élu en tant qu’auteur ou complice, présumé, de faits répréhensibles. Resurgit ici la distinction entre la faute personnelle et la faute de service, avec d’ailleurs des complications supplémentaires sur lesquelles on n’insistera pas, car la faute détachable, c’est-à-dire personnelle, peut ne pas être dépourvue de tout lien avec le service.

 Bruno Leprat

Alors sur la présomption d’innocence peut être ?

 Jean Laveissière

J’écoutais tout à l’heure le Président Denizet. Il parlait de protection quasi automatique. Le problème est là précisément. S’il y a présomption d’innocence, il doit y avoir automaticité de la protection. On devrait donc accorder à l’élu et au fonctionnaire au moins le bénéfice du doute et leur permettre ainsi d’être assistés par leur collectivité. Or, en réalité, c’est loin d’être le cas. Que ce soit les élus ou surtout les fonctionnaires, il faut bien voir que l’administration est très réticente face à cette automaticité de la protection et qu’elle est tentée par deux comportements :

 le premier consiste à attendre de l’agent ou de l’élu qu’il prouve lui-même l’absence de faute personnelle, c’est-à-dire qu’il apporte des éléments de fait permettant à la collectivité dont il relève d’être certaine qu’il n’y a qu’une faute tout à fait banale, tout à fait ordinaire, de l’ordre des erreurs qu’un administrateur, pour reprendre la formule de Laferrière que vous évoquiez tout à l’heure, peut commettre, une simple erreur et non pas une faute d’une certaine gravité. Ce comportement a été sanctionné par le juge. Nous avons un certain nombre de décisions de jurisprudence qui, effectivement, refusent cette échappatoire à l’administration, car c’est trop facile de dire : « prouvez-le, et on vous protègera ! » ;

 le deuxième comportement, assez classique aussi, consiste à accorder la protection sous bénéfice d’inventaire, c’est-à-dire sous conditions suspensives. On accorde la protection et l’on attend… En cas de condamnation , il est tentant de retirer la protection fonctionnelle et tout ce qui va avec, c’est-à-dire bien évidemment les honoraires qui ont pu être réglés à l’avocat, etc. Cette solution a été condamnée par la juridiction administrative qui a estimé qu’il était impossible de revenir sur le passé.

On peut en revanche mettre fin à la protection fonctionnelle pour l’avenir, dés lors que le fonctionnaire ou l’élu a été condamné. L’administration a alors le droit légitime de dire : « on arrête là ». Par contre, il n’est pas légalement possible de retirer, c’est-à-dire de priver rétroactivement, complètement, le malheureux fonctionnaire ou l’élu de toute la protection dont il a pu bénéficier jusque là et lui présenter la facture en lui disant : « voilà, maintenant ça fait tant, il faut nous rembourser des honoraires d’avocats et autres frais de procédure ».

Le juge administratif a, dans des décisions relativement récentes de 2006 et 2008, désamorcé ces tentatives et cerné plus précisément les conditions dans lesquelles l’administration doit apprécier les situations justifiant que la protection fonctionnelle soit ou non accordée. Car, en fait, il y a quand même une part d’appréciation. On parle parfois de quasi automaticité. Les faits peuvent cependant être d’une gravité telle que la protection fonctionnelle sera refusée.

 Bruno Leprat

A-t-on déjà vu des collectivités attaquées pour avoir refusé d’attribuer une protection fonctionnelle ?

 Jean Laveissière

L’élu ou l’agent saisit le juge administratif, parfois dans le cadre du référé-suspension d’exécution (où la condition d’urgence est de plus en plus souvent reconnue et c’est heureux), et au fond, afin de faire sanctionner précisément le refus qui lui est opposé.

 Bruno Leprat

Jean Laveissière, votre conseil : comment une collectivité doit gérer cette protection, c’est automatique par principe mais… ?

 Jean Laveissière

Le conseil, c’est que la protection, encore une fois, doit être accordée même si les fautes sont graves, car rien ne peut justifier, sauf bien évidemment un flagrant délit, que l’on refuse à un fonctionnaire ou à un élu ce qui est prévu au Code de la fonction publique ou au Code général des collectivités territoriales. À la limite, il vaut mieux se tromper par excès que de refuser ce qui est dû. Étant entendu que, s’il s’avère qu’effectivement une faute personnelle a été constatée par le juge pénal, on mettra fin au dispositif, comme l’a fait le ministre de la défense dans la célèbre affaire des écoutes à l’égard de monsieur Ménage.

 Jean-Paul Denizet

Une dernière petite précision : une faute commise en dehors du service par un agent public est regardée comme a priori étant une faute personnelle. On est bien d’accord, il est évident que l’agent public qui prend sa voiture un dimanche et qui renverse par imprudence une personne sur une route, commet manifestement une faute personnelle. À l’inverse, une faute commise pendant le service sera présumée faute de service.

 Bruno Leprat

En cas de changement de collectivité, Jean Laveissière, à qui demander la protection ? Donnez-nous un exemple qui suggère une telle interrogation générale.

 Jean Laveissière

Un exemple jurisprudentiel avec l’arrêt du Conseil d’État « Commune du Cendre » (CE, 5 déc. 2005, n° 261948, Cne du Cendre) dans lequel un ancien secrétaire général, poursuivi pour des faits répréhensibles, avait sollicité la protection fonctionnelle de la commune dans laquelle il exerçait ses activités. La question a été tranchée : ce n’est pas à la commune au sein de laquelle l’agent ou l’élu a commis les faits reprochés d’assurer cette protection fonctionnelle ; c’est à la collectivité dans laquelle il exerce désormais ses activités d’assumer cette responsabilité.

 Bruno Leprat

Cela veut dire que quand on recrute un fonctionnaire, il faut lui demander s’il n’a pas des casseroles dans sa précédente collectivité ?

 Jean Laveissière

Ce que vous dites est très important. Je parlais des réticences de l’administration à accorder sa protection fonctionnelle. La jurisprudence « Commune du Cendre » ne peut que la rendre encore plus réticente dans la mesure où, par définition, elle ne connaît pas nécessairement le passé de l’élu ou du fonctionnaire. C’est une jurisprudence que beaucoup critiquent, considérant, à juste raison, que cela ne va pas finalement faciliter la présomption d’innocence.

 Bruno Leprat

La collectivité pouvait-elle savoir qu’il y avait une affaire pendante comme cela ? C’est en appelant simplement le précédent employeur, non ?

 Jean Laveissière

Bien évidemment, les administrations se renseignent. Cela étant, tant qu’il n’y a pas de poursuites pénales contre un élu ou un fonctionnaire, il n’y a aucune raison pour la collectivité de s’inquiéter. Tout cela peut surgir plusieurs années après. La loi a prévu une protection pour l’élu ou l’agent public. C’est à l’administration dont il dépend qu’il revient de porter une appréciation, dans des conditions parfois délicates.

Conformément à la jurisprudence que nous avons rappelée, lorsqu’un élu ou un agent est poursuivi pénalement, il ne doit pas s’adresser à la collectivité ou à l’administration au sein de laquelle ont eu lieu les faits imputés. Il doit formuler sa demande de protection auprès de l’administration dans laquelle il exerce son activité.

Je tiens à préciser un dernier point. On est passé d’une époque où les fonctionnaires et aussi un peu les élus, bénéficiaient d’une impunité - ce qu’on appelait au début du XIXe siècle la « garantie » des fonctionnaires. C’est-à-dire qu’à cette époque-là, pour traduire un fonctionnaire, un dépositaire de la chose publique comme il est dit dans le Code pénal, devant les juridictions judiciaires, il fallait une autorisation en bonne et due forme du Conseil d’État. Autant dire que peu de fonctionnaires, peu d’élus, étaient poursuivis devant les juridictions répressives. Ce système a permis aux fonctionnaires de bénéficier d’une immunité pendant plus d’un siècle.

Cette époque est évidemment révolue. Elus et fonctionnaires peuvent avoir à répondre de leurs actes devant le juge pénal, comme tout un chacun. Mais ils sont même aujourd’hui plus exposés au risque pénal. Le phénomène dit de judiciarisation de nos institutions fait que les maires, les agents, sont de plus en plus concernés par des mises en examen. Compte tenu de ce mouvement de pénalisation, la protection fonctionnelle revêt évidemment une importance toute particulière. Il importe plus que jamais qu’elle soit mise en oeuvre dans des conditions appropriées au but recherché. On constate malheureusement des disparités dans son application, selon l’administration concernée et la place de l’intéressé dans la hiérarchie. Ce constat oblige à s’interroger sur l’existence d’une réelle égalité devant la protection fonctionnelle.

 Bruno Leprat

Quelle est la différence entre l’immunité et l’impunité ?

 Jean Laveissière

Notre droit prévoit certaines immunités, ceux qui en bénéficient ne pouvant pas être traduits devant une juridiction. C’est le cas du Président de la République durant l’exercice de ses fonctions. Quant à l’impunité, cela relève plus du fait, c’est une manière d’échapper à la justice en préparant, en organisant sa quasi innocence.

 Françoise Pénélaud Gouaille

Je vous cite un cas que nous avons eu dans le Lot, ce sont des élus adjoints qui se sont déplacés et ont manifesté leur soutien à d’autres élus au Nord du département. Tout ceci pour remettre en place, sur la ligne Paris-Toulouse, la régularité des arrêts des trains. Il s’avère que huit à dix trains ont été supprimés dans deux villes très importantes au Nord de ce département. Ils se sont mis sur les lignes pour faire arrêter ce train Paris-Toulouse, donc après le dépôt de plainte, ils se sont retrouvés pénalement responsables. Dans le cas de ces élus, est-ce que vous pouvez considérer, puisqu’ils défendent l’intérêt du service public en général, qu’ils ont commis une faute détachable ou une faute personnelle ?

 Jean Laveissière :

Il y a présomption d’innocence. Mais ces élus sont-ils directement et personnellement concernés par ces mesures de suppression ?

 Françoise Pénélaud Gouaille :

Non, puisqu’ils étaient au Sud du département, c’était tout le Nord du département qui était privé de ces arrêts.

  Jean-Paul Denizet :

Je pense que la présomption d’innocence a toutes les raisons de s’appliquer ici. Tant que ce n’est pas jugé, il n’y a aucune raison de penser que la protection fonctionnelle ne peut pas être accordée. Je crois d’ailleurs que, s’agissant du dossier des OGM, un certain nombre d’élus également, avait pris des initiatives de cet ordre, au nom finalement, d’un intérêt qui n’est pas personnel, mais qui est un intérêt général. Tout cela finalement, doit être jugé. Tant que le juge pénal ne s’est pas prononcé, tout dépend encore une fois des conditions dans lesquelles ces manifestations ont eu lieu. Il peut y avoir des voies de faits. On peut imaginer, comme c’est arrivé, que les Mac Do soient endommagés. Donc, si vous voulez, tant qu’on en reste à des manifestations pacifiques, très bien, mais s’il y a effectivement voies de faits, les choses tournent un petit peu à la faute personnelle. Donc je pense que c’est une appréciation au cas par cas, et que la collectivité est sans doute bien inspirée d’attendre sous bénéfice d’inventaire.

 Alain Hocquet

En conclusion, je dirai qu’il y a deux axes de protection fonctionnelle, la protection contre les attaques ou contre les plaintes pénales. La première n’est pas nécessairement juridique. La seconde par contre, l’est obligatoirement. On peut constater aujourd’hui que certaines plaintes pénales relèvent parfois quasiment de la première catégorie, ce sont des plaintes un peu rapides et légères qui sont de fait, des attaques déguisées aux élus locaux. Sur les deux éléments qui ressortent de cette journée, indépendamment de ces deux parties, ce sont ces deux besoins essentiels, qui sont apparus de façon un peu récurrente : un besoin d’information et de formation (je vous invite à aller sur le site de l’Observatoire et sur la plateforme place des conseils, mise en place par SMACL Synergie) et un besoin de protection. Concernant la protection fonctionnelle, on constate que la jurisprudence est encore en mouvement, par contre, le parapluie manifestement, fonctionne de mieux en mieux, et il y a de moins en moins de trous dans la toile de ce parapluie.