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Protection fonctionnelle et mise en cause en cause pénale (1/2)

Protection fonctionnelle et faute personnelle

Intervenant :

 Jean-Paul Denizet, président de chambre, Tribunal administratif de Poitiers


 [1]

 Bruno Leprat

Jean-Paul Denizet, quand on voit ce terme de poursuites pénales qui est celui qui vous réunit tous les deux maintenant, quel est le sous-titre ?

 Jean-Paul Denizet

La punition des décideurs. La société s’est tournée vers la pénalisation des actions des personnes exerçant l’autorité. La réparation ne suffit plus, il faut des condamnations. Alors tout naturellement, le législateur a estimé que ces personnes particulièrement exposées, qu’elles soient agent public ou qu’elles soient élues, et je pense que le statut d’élu est même un peu plus protecteur, méritaient une protection et a prévu une quasi automaticité de cette protection accordée aux élus et aux agents publics lorsque ils font l’objet d’une incrimination pénale, c’est-à-dire d’une plainte.

Ce qui est différent de l’hypothèse que nous avons vue d’agents publics ou d’élus qui faisaient l’objet de menaces, car ce sont eux qui sont à l’origine de la plainte, mais dans notre cas, ce sont des personnes qui font l’objet d’une plainte en ce qui les concerne. Ce régime de protection a été établi récemment par le législateur, en 1996.

Encore faut-il observer que l’élu, la plupart de temps, fait l’objet de plaintes de la part d’administrés, alors que le fonctionnaire peut souvent aussi faire l’objet d’une plainte émanant de son administration. Et qu’il va donc dans ce cas demander à cette administration de prendre en charge les frais, d’avocat notamment, pour se justifier d’éléments qui lui sont reprochés par cette même administration. C’est une situation un petit peu différente de celle de l’élu.

L’agent public ou l’ancien agent public, le maire, l’élu, l’adjoint qui a reçu une délégation, on va dire également par extension le militaire et le magistrat, puisqu’il existe des textes particuliers en ce qui les concerne, bénéficie d’une protection quasi automatique de la collectivité à laquelle il est rattaché lorsqu’il fait l’objet de poursuites pénales.

Et je dis une protection quasi automatique en ce sens que le texte dispose que : « la collectivité est tenue » d’accorder la protection le terme « tenue », révèlant ce qu’on appelle la compétence liée, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’autre choix. Et le seul cas dans lequel la collectivité peut refuser cette protection, cette prise en charge des frais, la plupart du temps des frais d’avocat que va exposer le fonctionnaire ou l’élu pour se défendre, c’est d’établir que l’agent public a commis ce qu’on appelle une faute personnelle ou que l’élu a commis une faute détachable de ses fonctions.

On va préciser immédiatement qu’il me semble qu’au regard de la jurisprudence, la notion de faute personnelle et celle de faute détachable se recouvrent puisque le juge administratif, même si je me réfère à une cour d’appel et non au Conseil d’État, emploie l’expression de « faute personnelle détachable » pour un élu. On a donc à peu près la même notion dans les deux cas ; cela ne veut toutefois pas dire que cette notion aura le même contenu.

Alors qu’est ce qu’une faute personnelle ? La faute personnelle, c’est la faute de l’homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences ; ce n’est pas la faute de l’administrateur plus ou moins sujet à l’erreur. C’est une définition qui date de 1877 je crois, mais elle est toujours valable.

Lorsque tout à l’heure on m’a dit : « si j’avais fichu un coup de poing à mon administré, qu’est ce qui se serait passé » ? Et bien c’eût été une faute personnelle. Lorsqu’une personne est investie de fonctions publiques, elle n’a pas le droit à l’animosité particulière, à la violence particulière ; en quelque sorte on ne peut pas se conduire en homme ou en femme sans trier dans tout ce qui compose la personnalité humaine et rejeter les facteurs d’excès.

 Bruno Leprat

C’est-à-dire qu’à aucun moment il n’a le droit de se battre ?

 Jean-Paul Denizet

Sauf en cas de légitime défense bien sûr, mais autrement non ! À la violence, il faut ajouter le défaut de probité : c’est par exemple le détournement de fonds, le laxisme dans les contrôles, ou un élu qui va signer de fausses attestations, des certificats administratifs de complaisance.

On peut dire qu’il y a aussi une émergence de faute personnelle tenant à un comportement qui n’est ni agressif, ni véritablement vicieux, mais qui se caractérise par une absence totale de réflexion morale. L’émergence de cette notion d’« autisme moral », j’appellerai cela comme ça, se fait avec l’affaire Papon.

Lorsque Monsieur Papon était secrétaire général de la Gironde entre 1942 et 1944, il a fait ce que l’on sait et le Conseil d’État a remarqué que l’instance pénale n’avait absolument pas mis en évidence qu’il ait eu une animosité particulière envers les juifs, pas plus qu’il n’avait d’animosité par rapport aux personnes qu’il faisait partir dans les trains, mais que, en revanche, il avait, sans réfléchir sur les conséquences de ses actes, exécuté avec le zèle le plus extrême, les consignes de l’occupant. Voilà une absence totale de réflexion morale ! En fait, si pour un agent public ou un élu, les manifestations des passions sont à proscrire, ils doivent en revanche demeurer des êtres moraux !

Ces fautes personnelles pourront être prises en compte par la collectivité pour exclure le fonctionnaire pénalement incriminé du bénéfice de la protection fonctionnelle. Attention, cette faute personnelle est totalement indépendante - lorsqu’il s’agit pour la collectivité de la définir, de la qualifier et de l’opposer à l’agent ou à l’élu qui demande la protection - de la qualification qui est faite, en ce qui le concerne, par le juge pénal.

Autrement dit, ce n’est pas parce que le juge pénal vous relaxe que vous n’avez pas commis de faute personnelle et ce n’est pas parce que le juge pénal vous condamne que vous avez commis une faute personnelle. Il faut toujours se rappeler cela. L’administration, non seulement n’est pas tenue par la qualification juridique des faits opérée par le juge pénal, mais elle est au contraire tenue, ceci vient d’être rappelé très fermement par le Conseil d’État, de se livrer à sa propre appréciation. Cela ne signifie pas que, dans l’ensemble des faits dont elle va tenir compte pour établir sa décision, il faille ignorer ce qu’a dit le juge pénal ; mais ce n’est qu’un élément de cet ensemble et ce ne doit pas être le seul élément, ça c’est clair ! Je disais tout à l’heure que je voyais une distinction entre l’agent et l’élu sur un point : il me semble que le juge administratif tient compte du degré d’exposition des personnes poursuivies aux pressions de toutes sortes qu’ils peuvent subir, par exemple dans les cas de diffamation. Il y a une évolution en ce qui concerne les rapports aux médias.

Autant un agent public sera sanctionné, verra ses fautes qualifiées de fautes personnelles dès qu’il commettra des faits susceptibles de donner lieu à des incriminations en matière de diffamation ou lorsqu’il proférera des propos outranciers dépassant les usages administratifs, autant le maire, s’il défend sa commune contre des attaques pouvant nuire à son image et tient des propos qui, bien qu’exempts d’animosité pour une ou plusieurs personnes particulières, pourraient tout de même être regardés comme étant excessifs, ne verra pas son action qualifiée de faute personnelle détachable de ses fonctions car le juge reconnaîtra qu’il y a un intérêt public derrière l’action un peu excessive.

 Bruno Leprat

Il y a un intérêt à diffamer.

 Jean-Paul Denizet

Pas exactement ; mais dans certains cas extrêmes, il peut y avoir un intérêt à avoir des propos très rigoureux et forts qui, même s’ils donnent lieu à une condamnation de principe, ne seront pas regardés comme révélant une faute personnelle.

[1Photo : © EML