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Protection fonctionnelle et violences, menaces, injures, diffamations... (3/4)

L’expérience de la ville de Rennes

Intervenante :

 Chantal Mainguené, directrice des affaires juridiques, Ville de Rennes, membre de l’Association des juristes des collectivités territoriales

Réactions de :

 Me Joël Bernot, avocat en droit public

 Annick Pillevesse, responsable du service juridique, Association des Maires de France


 [1]

  Bruno Leprat

Madame Mainguené, comment votre collectivité met en œuvre la protection fonctionnelle ?

 Chantal Mainguené

La protection fonctionnelle, ce n’est pas forcément qu’une affaire de juriste. Je ne fais que concourir à la chaîne de protection fonctionnelle dans ma collectivité, puisque effectivement, cette question-là est pilotée par le secteur ressources humaines, car c’est l’employeur qui doit sa protection fonctionnelle aux agents.

Par ailleurs, la situation des élus, même s’ils bénéficient de la même réglementation, est un peu particulière et n’est pas traitée par les RH. C’est donc le service des ressources humaines qui pilote l’ensemble de l’opération, qui va aussi tenir les statistiques et qui va faire remonter toutes les situations qui posent problème.

Il est saisi la plupart du temps par le chef de service, puisque c’est le chef de service qui est le délégataire de l’employeur au sein de son service. L’agent victime d’une agression peut être reçu par le médecin du travail et par un psychologue, éventuellement, à sa demande. Simultanément, est aussi partie prenante le service d’hygiène et de sécurité, qui a pour mission, notamment, à partir des situations qui peuvent se présenter, de rencontrer les agents et d’élaborer un certain nombre de consignes hygiène et sécurité pour assurer la protection.

En effet, la protection, c’est aussi à partir de situations, collecter des informations et se mettre en situation de prévenir d’autres agressions. Notre service, sur sa branche assurance, puisque la ville de Rennes est assurée sur ce risque-là, reçoit les déclarations et les envoie à l’assureur pour la demande de prise en charge au titre de la protection fonctionnelle. Il y a une décision du maire adjoint, puisque la collectivité doit décider effectivement de mettre en place la protection fonctionnelle. Cette décision est envoyée à l’assureur et après l’assureur désigne un avocat, etc. Là on rentre dans la gestion technique.

 Bruno Leprat

Il y a ce cas, un dossier en 2007 évoquez-vous, d’un agent de la direction des sports ayant subi des violences. Ce ne sont pas des menaces, ce sont des violences de la part d’un joueur qui fréquentait le gymnase. Est-ce que vous pouvez nous décortiquer cette affaire pour montrer à la fois ses limites et les leviers qui permettent de mettre cela en place, enfin d’être un bon père de famille... ou une bonne mère.

 Chantal Mainguené

Les agents de la direction des sports en question sont des agents qui sont gardiens d’équipements sportifs et bien sûr, ils ont l’occasion de rencontrer des usagers qui pratiquent une activité sportive sur l’équipement. Il y a des usages parfois incivils ces derniers temps, concernant un certain nombre d’utilisations des équipements.

Cet agent a fait un rappel au règlement à une personne qui ne l’a pas accepté et qui l’a attaqué physiquement. C’est vrai que ces agents-là sont isolés, ils ne sont pas dans un service central, ils sont sur les équipements, sur un territoire assez étendu. De plus, ils se sentent démunis face aux procédures et parfois inquiets face aux autorités judiciaires.

Une chose est très importante, c’est que les agents connaissent leurs droits et que l’information leur soit faite sur l’environnement global de cette question. Dans ce cas particulier, nous nous sommes donc déplacés sur le site et avec le concours du directeur des sports, nous avons expliqué à l’ensemble des gardiens d’équipement sportif, quelle était la situation, quels étaient leurs droits. Cette démarche d’accès au droit me paraît indispensable. Les agents ont déposé plainte.

 Bruno Leprat

Il y a eu une notification au joueur ?

 Chantal Mainguené

Oui. Un rappel à l’ordre du règlement intérieur.

 Bruno Leprat

D’un arrêt d’interdiction, donc en gros, interdiction d’utiliser l’équipement sportif, courrier également adressé au président du club sportif dont il était adhérent. Et par ailleurs, enfin, cette personne menaçant d’incendier l’équipement, c’est-à-dire on a une sorte d’huile sur le feu qui est provoquée aussi par votre réaction, il a été fait appel à une société de gardiennage afin de sécuriser le site quelques jours, et cette affaire a été audiencée début avril 2009, ... c’est long ou pas ?

Et outre des dommages et intérêts pour les débours supportés, ITT de l’agent et frais de gardiennage, la collectivité a obtenu un euro symbolique au titre de son préjudice moral. La collectivité... l’agent était présent à l’audience ? Faites-nous une petite synthèse.

 Chantal Mainguené

Ce qui est important, c’est que nos agents constatent qu’il y a un certain nombre de choses qui sont à faire, mais qu’ils constatent de manière mesurée et objective, que tout ne va pas se résoudre par le dépôt de plainte.

La première chose dont les agents doivent prendre conscience, c’est que l’agression dont ils ont été victimes, est une atteinte personnelle à leur intégrité. Et cette atteinte personnelle à leur intégrité, il n’y a qu’eux qui peuvent la porter éventuellement devant les autorités judiciaires.

Beaucoup des agents, comme vous devez le constater, souhaitent que ce soit la collectivité qui fasse le dépôt de plainte pour représenter leurs intérêts. Cet aspect-là est très difficile à expliquer aux agents, parce qu’effectivement, les collectivités locales ne peuvent pas être mandataires des agents sur leur propre préjudice. Si un agent ne procède pas à son propre dépôt de plainte, la collectivité ne pourra pas en ses lieux et place, déposer plainte. Elle pourra éventuellement venir à ses côtés sur les intérêts civils, quand elle a eu des dépenses. Dans cette affaire la Ville a présenté ses débours devant la juridiction au moment de l’audience la ville et a obtenu une indemnisation.

 Bruno Leprat

Et tout ce qui a été demandé, a été acté, ou bien le magistrat a été un peu en dessous, ou au dessus...

 Chantal Mainguené

Nos demandes sont suivies. Toutes nos présentations de débours, dans le cadre des intérêts civils de la ville font l’objet d’indemnisation. Alors après, en exécution, on ne récupère pas forcément les sommes que nous avons engagées, mais les tribunaux, le tribunal correctionnel, en général, et sur ce cas particulier, nous a accordé nos demandes.

 Bruno Leprat

Et l’adhérent de ce club sportif a été explusé du club en question ?

 Chantal Mainguené

Oui, tout à fait. Des rondes de police ont eu lieu, la police nationale a été informée. Notre responsable du service de police municipale a pris contact avec la police nationale, puisque Rennes est une commune à police étatisée. Et donc, les forces de police, au cas particulier, compte tenu de la gravité de l’incident, ont fait des rondes, et ont assuré, à la demande de la ville de Rennes, une protection rapprochée sur ce site.

 Bruno Leprat

Madame Pillevesse, sur ce témoignage, sur cet écosystème qui est mis en place par Rennes, 4 500 agents.

 Annick Pillevesse

Ecoutez, j’apprends en même temps que vous, parce qu’en fait, à l’AMF, nous sommes saisis vraiment au moment de l’agression, ou un ou deux jours après l’agression, très en amont, sur toute la protection que peut accorder la commune. Nous n’avons pas d’information sur la procédure en interne selon laquelle la demande est traitée par la collectivité locale.

 Bruno Leprat

Joël Bernot, que recommandez-vous à des gestionnaires d’administrations décentralisées ?

 Joël Bernot

Je crois que la démarche qui est mise en oeuvre par la ville de Rennes est très juste. L’agent qui est victime d’une agression, a besoin de se sentir écouté puis épaulé par son administration. Après, l’administration a toujours le choix dans les moyens de mise en oeuvre de la protection.

C’est-à-dire qu’elle peut soutenir son agent en prenant en charge les frais de justice et en facilitant le dépôt de plainte de l’agent. Elle peut, lorsqu’il s’agit d’une agression entre agents, engager des poursuites disciplinaires. Elle peut, cela a été rappelé tout à l’heure, faire un communiqué pour témoigner de son soutien auprès de l’agent ou de l’élu victime d’attaque.

Mais il est très important pour l’agent, de ne pas se sentir isolé. Notamment quand il est en prise avec une agression qui émane d’un usager. Le rôle de la collectivité est à mon sens beaucoup plus délicat lorsque l’on est en présence d’une agression entre agents, qu’en cas d’agression émanant d’un usager. C’est peut-être plus facile pour la collectivité de témoigner son soutien à l’agent victime d’une agression d’un usager, et elle ne doit pas hésiter à le faire.

Dès lors que l’agent lui apporte des éléments sérieux démontrant - il ne s’agit pas de faire une démonstration telle qu’on pourrait la faire devant un tribunal - la vraisemblance de ses propos. Et à ce moment-là, la collectivité doit, avec les moyens dont elle dispose, soit procéder à une enquête interne, soit faire les convocations nécessaires, en tous cas, écouter son agent, lui expliquer les démarches à faire, et effectivement, ce que vous avez dit est très juste, ne pas l’orienter sur des fausses pistes c’est-à-dire sur des voies procédurales qui vont conduire à un échec. La collectivité a un vrai rôle de conseil à l’égard de son agent et peut, je pense, indiquer qu’un dépôt de plainte n’est pas forcément la réponse adaptée. Chaque cas mérite un traitement particulier.

[1Photo : © Alexander Kalina