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Protection fonctionnelle et violences, menaces, injures, diffamations... (2/4)

Les élus victimes d’agression

Intervenante :

 Annick Pillevesse, responsable du service juridique, Association des Maires de France

Réactions de :

 Me Alain Pagnoux


 [1]

 Bruno Leprat
Ah oui, ou de les réguler en tous cas. Menaces, violences, injures, diffamation, Annick Pillevesse pour l’Association des Maires de France, formatrice par ailleurs. À quel moment une collectivité doit sa protection ? Je vais vous libérer les deux ou trois questions que nous souhaitions vous soumettre. Quel droit pour les élus victimes d’agression dans l’exercice de leur fonction ? Et quel conseil leur prodiguer ?

  Annick Pillevesse

Dans le Code général des collectivités locales (CGCT), deux articles sont consacrés à la protection des élus. L’alinéa 2 de l’article L. 2123-34 du CGCT précise que « la commune est tenue d’accorder sa protection au maire, à l’élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation, ou l’un des élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci a fait l’objet de poursuites pénales, à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de fautes détachables = de l’exercice de ses fonctions ». Dans ce premier cas, l’élu fait l’objet de poursuites pénales.

Le second cas est prévu à l’article L. 2123-35 du CGCT, c’est celui où « la commune est tenue de protéger le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation, contre les violences, menaces ou outrages dont il pourrait être victime à l’occasion ou du fait de leur fonction et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ».

 Bruno Leprat

C’est ça la protection fonctionnelle. Un élu est mis en cause pénalement ou est menacé physiquement.

 Annick Pillevesse

C’est un bon dispositif qui est calqué en fait, sur celui dont bénéficient les fonctionnaires. Jusqu’en 2000 et 2003, cette protection qui bénéficiait aux fonctionnaires s’appliquait sans texte, aux élus, du fait d’une jurisprudence du Conseil d’État qui a permis cette extension.

Il faut préciser qu’il s’agit d’une obligation pour l’administration dès lors qu’elle est sollicitée par l’élu, et c’est un droit pour l’élu également, lorsque les conditions sont réunies au regard des deux articles qui viennent d’être cités. Une commune ne peut pas refuser d’accorder sa protection, sauf pour un motif d’intérêt général. J’ai fait une petite recherche de jurisprudence sur ce point, pour l’instant, il n’y a pas de jurisprudence concernant le motif d’intérêt général.

Donc autant dire que la commune est tenue en fait, d’accorder sa protection. Si elle ne le fait pas, le refus est illégal et qui plus est, la collectivité locale est susceptible d’engager sa responsabilité pour faute.
Depuis 2003, la loi pour la sécurité intérieure a étendu la protection au conjoint, aux enfants et aux ascendants directs de ces élus, pour qu’ils bénéficient de la protection de la commune lorsque les préjudices qu’ils connaissent résultent de la fonction élective de leur parent.

Ces personnes peuvent bénéficier de la protection de la collectivité locale lorsqu’ils sont victimes eux aussi de menaces, de violences ou d’outrages, à raison de la qualité d’élu de leur parent. Quel droit pour les élus victimes d’agression dans l’exercice de leur fonction ? Il y a un devoir de protection proprement dit : en fait la collectivité doit faire cesser les menaces ou les attaques, ou en tous cas, prendre toutes les mesures dont elle a les moyens pour les faire cesser.

La protection doit être assurée par tous les moyens légaux dont l’autorité chargée de l’assurer, police administrative, poursuite pénale, intervention administrative. Concrètement, cela peut prendre la forme d’un communiqué de presse par le maire, renouvelant sa confiance à un adjoint qui a été agressé par exemple. Cela peut consister également en une aide au recolement des témoignages ou des preuves qui seront destinées à l’épauler dans un procès éventuel.

 Bruno Leprat

Juste un point d’actualité. Alain Juppé et d’autres, qui reçoivent des douilles ...

 Annick Pillevesse

Ce sont des menaces.

 Bruno Leprat

... La ville de Bordeaux a fait quelque chose, a été tenu, aurait dû ou a fait, enfin...

 Annick Pillevesse

Nous n’avons pas été saisis par la ville de Bordeaux mais la collectivité est effectivement tenue d’accorder sa protection à Alain Juppé. La commune a également un devoir d’accompagnement de l’agent dans les procédures judiciaires.

Elle doit également prendre en charge certains frais, frais de justice qui sont liés à l’affaire, frais d’avocat, le montant des consignations qui sont demandées notamment à l’occasion de dépôt de plaintes avec constitution de parties civiles ou lors de citations directes de l’auteur des faits devant les juridictions pénales, les montants de frais d’huissier également peuvent faire partie de ces frais, les frais de déplacements au procès.

Elle a un second devoir, outre le devoir de protection proprement dite, c’est un devoir de réparation du préjudice subi. Donc l’administration doit verser en fait, à l’agent une indemnité qui répare le préjudice causé par les menaces et les attaques. Tout préjudice doit être réparé...

 Bruno Leprat

À l’agent donc, aussi l’élu.

 Annick Pillevesse

Oui par agent, il faut entendre aussi l’élu. La jurisprudence a aussi reconnu l’indemnisation du préjudice moral qui porte atteinte à la considération de la personne. Le préjudice matériel, qui peut résulter du pillage d’un mobilier ou la spoliation d’un immeuble : par exemple, j’ai été conduite à conseiller cette protection à un élu qui s’est fait taguer toute sa clôture parce que le chauffage de l’école était tombé en panne.

Le préjudice est indemnisé effectivement lorsqu’il est établi et a un caractère direct. Alors, quel conseil prodiguer au maire ? Le conseil que l’AMF prodigue dès qu’elle est saisie par un élu qui vient d’être agressé est d’immédiatement porter plainte. C’est une recommandation sur laquelle on insiste beaucoup, parce qu’en fait on s’aperçoit que nombre d’élus ne portent pas plainte par crainte des représailles ou de démarrer une affaire dont ils ne verront peut-être pas la fin.

Ce que ne savent pas toujours les élus (parce qu’ils n’ont pas de formation de juriste), c’est que pour que la plainte soit efficace, il faut qu’elle soit assortie d’une constitution de partie civile, et très souvent ils portent plainte de façon simple auprès du commissariat ou de la gendarmerie. Donc nous leur conseillons de porter plainte avec constitution de partie civile.

Nous leur conseillons également de demander à l’Association départementale des maires de se constituer partie civile à leur côté, parce que l’article 2-19 du Code des procédures pénales, le leur permet. Toute Association départementale des maires, régulièrement déclarée, et affiliée à l’Association des maires de France, et dont les statuts ont été déposés depuis au moins cinq ans, peut exercer les droits reconnus à la partie civile dans toutes les instances introduites par les élus municipaux à la suite d’injures, d’outrages, de menaces ou de coups et blessures à raison de leur fonction.

Pour autant, l’Association départementale ou nationale n’a pas le droit de dépose plainte sans l’aval de l’élu. Donc l’AMF est amenée à faire des attestations comme quoi l’association départementale qui veut se constituer partie civile est bien affiliée à l’AMF depuis 5 ans.

 Bruno Leprat

Quelle est la différence entre un dépôt de plainte et une constitution civile ? La plainte simple, etc.

 Annick Pillevesse

La plainte simple est déposée auprès du commissariat, de la gendarmerie ou du procureur. Mais le procureur n’est pas obligé de poursuivre. La plainte avec constitution de partie civile, en revanche, consiste en une lettre adressée au doyen des juges d’instruction du tribunal territorialement compétent, qui explique les faits, et qui tend à ce qu’il y ait une réparation et dans ce cas, le procureur est obligé d’ouvrir une information.

Le troisième conseil que l’on prodigue aux maires, c’est d’informer le procureur et le préfet, des faits dont ils ont été victimes. On leur conseille également de se rapprocher de leur assureur. Enfin, l’AMF a saisi officiellement la ministre de la justice pour savoir quelles mesures elle entendait prendre pour rappeler l’attention qu’il convient de prêter à la protection des élus, au respect des élus. En effet, lorsque nous recevons les dossiers, nous constatons dans certains cas, que soit le procureur classe rapidement la plainte, soit le juge quand il est amené à juger, ne condamne pas l’auteur des faits forcément à la hauteur de l’agression subie.

 Bruno Leprat

L’année dernière, combien de fois avez-vous été associés en direct ou par le biais de vos AD (associations départementales) à des plaintes ?

 Annick Pillevesse

Entre quatre et cinq fois.

 Bruno Leprat

Et quel a été l’évènement dans la culture de votre maison qui a été le plus grave en termes d’agression d’élus ? C’est une mort, c’est une gifle ?

 Un intervenant (salle)

Le conseil municipal de Nanterre.

 Annick Pillevesse

Oui, effectivement, le conseil municipal de Nanterre.

 Bruno Leprat

C’est tellement gros qu’on l’a tous oublié, en fait. Tellement monumental...

 Annick Pillevesse

Il ne faut pas oublier toutes les agressions dont les « petits maires » sont victimes. En réalité, les élus des grandes villes ne nous saisissent pas forcément parce qu’ils ont les services juridiques qui vont pouvoir les épauler. Ils ont les moyens, de prendre des avocats. Les petits élus sont un peu moins pourvus juridiquement.

 Me Alain Pagnoux

Avocat à la Cour de Bordeaux, je voulais insister sur un problème technique, sur les difficultés concernant la mise en oeuvre des poursuites pénales et également donc, faire part d’une anecdote. En ce qui concerne la mise en oeuvre des poursuites pénales, il faut bien se rappeler comme cela était dit, que le parquet a l’opportunité des poursuites.

Donc soit le parquet se saisit lui-même, parce qu’il est informé d’un fait délictueux, soit éventuellement une plainte est déposée à un commissariat de police ou dans une gendarmerie où éventuellement, il y a un courrier qui est adressé au procureur de la République. Le parquet est donc informé et il peut décider de façon arbitraire, de classer ou de ne pas classer.

Avant 2007, lorsque le parquet décidait ou plus exactement, avant même d’aller déposer une plainte à la gendarmerie, on pouvait directement se constituer partie civile. Cela veut dire qu’on pouvait aller voir le doyen des juges d’instruction, on consignait et automatiquement, l’action publique était mise en oeuvre. Depuis 2007, une réforme est intervenue et maintenant, il y a un délai de trois mois, parce que les procureurs de la République, le parquet, n’aiment pas les plaintes avec constitution de partie civile. Le parquet a le sentiment d’être instrumentalisé. Et chaque fois qu’il peut éviter qu’il y ait des plaintes, il le fait.

D’ailleurs des pressions ont été exercées, pour que le législateur intervienne, modifie le Code de procédure pénale et maintenant, dans le Code de procédure pénale, il est prévu que on ne peut plus mettre en oeuvre directement, par une plainte avec constitution de partie civile, l’action publique. On a l’obligation de justifier qu’on a éventuellement, écrit au procureur de la République, déposé éventuellement une plainte dans une gendarmerie, qu’un délai de 3 mois s’est écoulé, que le parquet n’a rien fait pendant ce délai, et avec la justification qu’il y a une carence du parquet. Ce qui fait que cette plainte est plus difficile et cela montre bien comment les parquets la traitent.

Il existe une seule exception, et j’en ai terminé, c’est en matière de diffamation. En matière de diffamation, on peut se constituer partie civile directement, sans ce délai de 3 mois, car la prescription est extrêmement courte en matière de diffamation, elle est de 3 mois.

Et là, ce qui est amusant, et c’est l’anecdote par laquelle je terminerai, un maire, lors d’une campagne électorale est diffamé sur Internet. À ce moment-là, le maire va déposer plainte à la gendarmerie. La gendarmerie fait remonter cette plainte au parquet. Le procureur de la République lui écrit : classement sans suite.

On dépose une plainte avec constitution de partie civile, et là, obligation d’instruire. On voit le juge d’instruction, qui effectue donc des investigations. La justice pénale coûte très cher puisque la justice pénale a des moyens considérables. On a retrouvé l’adresse IP, etc. Et le juge d’instruction nous a confié que, en fait, si le parquet avait classé sans suite, c’est parce que la justice pénale coûte très cher et qu’en réalité, les parquets font un bilan, ils ne peuvent pas poursuivre tout le monde, et donc qu’est-ce qu’on privilégie ? Est-ce que ce sont les affaires de drogue, les affaires d’agression en bandes organisées... En définitive, et bien c’est un déni démocratique, ce que l’on peut regretter.

[1Photo © Alexander Kalina