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Protection fonctionnelle et violences, menaces, injures, diffamations... (1/4)

Propos introductifs

Intervenants :

 Me Joël Bernot, avocat en droit public

 Jean-Paul Denizet, président de chambre, Tribunal administratif de Poitiers

 Jean Laveissière, professeur de droit public, directeur du master 2 droit des collectivités locales, Université Montesquieu, Bordeaux IV

 Chantal Mainguené, directrice des affaires juridiques, Ville de Rennes, membre de l’Association des juristes des collectivités territoriales

 Annick Pillevesse, responsable du service juridique, Association des Maires de France Débats animés par Bruno Leprat


 [1]

 Bruno Leprat
Cet après-midi, nous allons parler de protection fonctionnelle. Qu’est-ce que c’est ? À quelle condition cela fonctionne ? Au bénéfice de qui ? Alors deux temps, dans cet après-midi : premièrement, l’agression sur élu ou agent, avec deux représentants de collectivités directes ou indirectes, et un avocat. Et puis, dans un deuxième temps, nous examinerons les poursuites pénales et les obligations des collectivités locales à l’égard de leurs agents ou de leurs élus dans ce domaine. Devoir de protection, d’assistance, etc.

Première question, quelle est l’importance du phénomène ?

 Annick Pillevesse

Dans ce domaine, nous sommes saisis par des élus pour des demandes de conseils suite à des agressions, mais l’on apprend également les agressions par voie de presse, (presse locale, ou presse nationale). À l’AMF, nous ne détenons pas de statistiques sur plusieurs années. Peut-être en existe-t-il au ministère de la Justice, mais en tous les cas, les statistiques connues portent sur les mises en cause pénale.

 Chantal Mainguené

C’est un sujet qui est traité, dans notre collectivité, de manière très professionnelle, et dans une chaîne complète, puisque cette situation est aussi intégrée à la chaîne liée à l’hygiène et la sécurité du travail dans le cadre d’un certain nombre d’instructions. Donc effectivement, il y a des statistiques qui ne sont pas toujours les mêmes selon les années, qui ne concernent pas les mêmes secteurs, qui suivent en fait certains aléas.

Je dirais que s’il peut y avoir un environnement, il n’y a pas forcément une sinistralité inquiétante, au moins pour ce qui nous concerne. À la ville de Rennes, le gros secteur d’activité de la protection fonctionnelle, ce sont les agents de police municipale, d’entretien de la voirie et les agents des services sociaux.

C’est par exemple le cas d’un agent de police municipale qui, verbalisant un véhicule, s’est fait gentiment pousser par le véhicule et son conducteur mécontent. Le policier municipal a subi, une agression par "véhicule interposé". Notre agent a eu un arrêt de travail relativement important. Cet intermédiaire que représente le véhicule apporte une petite particularité à la gestion du dossier, puisque, effectivement, à partir du moment où il y a ce véhicule, on a pu aussi traiter le dossier, sur un plan technique d’une manière différente de ce que nous faisons habituellement. Je pourrai y revenir si nécessaire.

 Joël Bernot

J’ai le sentiment que le point d’équilibre de la protection fonctionnelle est en train de se déplacer. L’on bascule de la mise en oeuvre en cas de mise en cause pénale, à la mise en oeuvre, de plus en plus fréquente, dans des hypothèses d’agression. Puisque ce sont les deux champs de la protection fonctionnelle. La protection fonctionnelle est mise en oeuvre lorsqu’il y a une mise en cause pénale d’un élu ou d’un agent, c’est d’ailleurs essentiellement pour cela qu’elle avait été imaginée à l’origine. Et puis, elle est mise en oeuvre dans les hypothèses d’agression, d’attaque. Or, de plus en plus, la protection fonctionnelle trouve à s’appliquer dans des hypothèses d’attaque et d’agression.

 Bruno Leprat

Il y a un cas que vous avez suivi, récemment, dans un conseil général. Quel est-il ? Vous pouvez nous en donner les contours au moins pour savoir quelle est la profondeur aussi de votre expertise ou des sujets que vous pouvez avoir à traiter.

 Joël Bernot

Oui, c’était une mise en oeuvre de protection fonctionnelle sur une hypothèse de harcèlement moral, un cas assez délicat dans lequel la collectivité a dû statuer sur la demande d’agents qui s’estimaient victimes de harcèlement. Et donc faire le choix d’accorder ou de refuser d’accorder sa protection, à la fois aux agents qui étaient plaignants et à la fois à l’agent qui était mis en cause et qui lui-même avait fait une demande de protection.

En l’occurrence, la collectivité a accordé sa protection fonctionnelle, non seulement aux agents qui se plaignaient mais également à l’agent qui était mis en cause et ce, en vertu du principe du respect de la présomption d’innocence. Ensuite, dans le cadre du procès pénal (puisqu’il y a eu procès pénal sur les faits de harcèlement), la collectivité a réclamé devant le juge pénal, le remboursement des sommes qu’elle avait exposé au titre de la protection. Sur ce point la justice pénale a rendu une décision qui peut sans doute se comprendre, mais qui en même temps suscite un peu l’interrogation.

La question était celle de la prise en charge des honoraires d’avocat, puisque la collectivité avait choisi à travers la mise en oeuvre de cette protection, non pas de réparer les dommages - le juge pénal s’en est chargé après la reconnaissance de culpabilité - mais de prendre en charge les honoraires d’avocat pour toute la conduite du procès : instruction préparatoire, première instance, appel, etc…
Et le juge pénal a pris une décision qui est un peu surprenante en refusant d’accorder à la collectivité le remboursement des sommes qu’elle réclamait à ce titre. Nous en reparlerons un peu plus tard…

 Bruno Leprat

Monsieur le vice-président, il y a un terme que j’ai retenu des éléments que vous venez apporter au débat, c’est le terme « d’esprit dominant ». Vous vouliez montrer à quel point finalement, les décisions et les interprétations des textes sont soumises à un air du temps ?

 Jean-Paul Denizet

Non, je voulais simplement relever que comme dans toute entreprise humaine, il y a des gens qui dominent et d’autres qui sont dominées, ces situations pouvant d’ailleurs concerner simultanément une même personne.

C’est vrai aussi que l’on assiste, notamment dans les collectivités territoriales, à des dominations qui sont de temps en temps exercées par des personnes qui n’ont pas le grade pour les exercer et à l’encontre de personnes qui ont le grade pour ne pas les subir. Ceci venant peut-être du fait, que compte tenu de la réfaction des postes dans la Fonction publique et des diplômes qui sont acquis par beaucoup de personnes, on a des recrutements à des niveaux relativement faibles de personnes surdiplômées. Cela crée des problèmes.

Je me rends compte, en tant que magistrat, des difficultés que l’on doit avoir à gérer des intérêts extrêmement divers, dans le contexte que l’on connaît. Et notamment dans le cadre d’une pression maintenant, je ne dirai pas de rentabilité, mais de rigueur puisque les élus sont comptables des deniers publics et qu’on ne peut fermer les yeux sur certains comportements, ce qui peut poser des problèmes effectivement.

 Bruno Leprat

Il y a une grande star depuis ce matin, dont on parle peu ou dont on parle tout le temps, mais qui n’a jamais figurée je crois, dans le programme, c’est le harcèlement moral. Vous avez eu l’occasion de voir des cas, soit dans le cadre de commissions de discipline, soit dans le cadre du tribunal, arriver.

 Jean-Paul Denizet

Bien souvent, en ce qui concerne le harcèlement moral, les choses sont très peu nettes en raison de la difficulté à établir la réalité des faits, lesquels sont souvent extrêmement imbriqués les uns aux autres. La plupart du temps, les responsabilités, si on peut employer ce terme, mais tout au moins les causes, sont très partagées. Donc c’est très difficile pour le juge d’une part de connaître exactement les faits, mais d’autre part de sanctionner, je dirai, plus une partie qu’une autre.

 Bruno Leprat

Ce qui veut dire aussi que vous laissiez entendre que vous êtes très sévère vous, à l’égard des recours abusifs. Et ce qui est une bonne nouvelle pour finalement ceux qui sont injustement mis en cause sur ce type d’infractions.

 Jean-Paul Denizet :

C’est une position que j’ai adoptée en particulier. Ce n’est pas effectivement l’esprit dominant dans la juridiction administrative de faire usage d’amende pour recours abusif. Ça m’est arrivé de le faire parce qu’effectivement, je crois qu’il ne faut pas prendre le juge en otage systématiquement.

 Bruno Leprat

Merci. Jean Laveissière, professeur de Droit Public. Vous avez participé au colloque qui avait été organisé dans le cadre de la commission Massot.

 Jean Laveissière

La commission Massot portait effectivement sur le problème de la responsabilité pénale- entre autres- des élus. Certes, il n’y a pas et il ne pourrait pas y avoir un régime de responsabilité propre aux élus. Mais c’est vrai que la ligne de mire était les élus, suite à ce que l’on a appelé d’ailleurs à l’époque, je me souviens, le blues des maires de France. Cette forte inquiétude des maires face à des mises en examen répétées, et souvent, il faut bien le dire, systématiques et abusives.

 Bruno Leprat

Madame Mainguené, sur le terme de domination, je vous voyais un peu tiquer là, sur le propos de Jean-Paul Denizet.

 Chantal Mainguené

Oui parce que je n’ai pas vraiment cette impression-là dans ma collectivité, mais je comprends bien que vous avez une vision sans doute différente et liée au nombre de dossiers que vous voyez. Je crois que, grâce au dialogue institué dans les instances paritaires, il y a une évolution du mode managérial au sein des collectivités.

La notion de dominant/dominé dans la relation de travail, encore peut-être plus dans la Fonction publique, mérite certainement d’être atténuée. Par ailleurs,en matière de harcèlement on peut trouver parfois des situations qui vont à l’encontre de l’idée que l’on peut se faire. Dans certains dossiers, des actes de harcèlement sont commis entre agents de catégories d’exécution (p. ex. un concierge qui exerce une sorte de harcèlement sur des femmes de ménage).

 Bruno Leprat

Une collectivité n’est pas une démocratie, une hiérarchie ne génère pas forcément du harcèlement. Jean-Paul Denizet, c’est darwinien une collectivité locale ?

 Jean-Paul Denizet

Je ne sais pas, c’est évolutif oui, par nécessité sous peine de disparition. Mais oui encore une fois, de toute façon, à partir du moment où des individus sont entre eux, il y a ce rapport de domination et le management a pour fonction d’en rendre supportables les conséquences.

[1Photo © Alexander Kalina