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L’accident et la maladie du fonctionnaire imputables au service

Intervenants :

 Me Marie-Pierre Chanlair, avocat en droit public

 Paul Le Maout, responsable du service Risques statutaires, Smacl Assurances Débats animés par Bruno Leprat


 [1]

1) Les droits

Pour mémoire, l’alinéa 1er du deuxièmement de l’article 57 du titre III du statut général (L. n° 84-53, 26 janv. 1984, art. 57 2°, al. 1) prévoit que le fonctionnaire a droit à des congés dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de 12 mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l’intéressé dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions. Il conserve alors l’intégralité de son traitement pendant 3 mois, qui est ensuite réduit de moitié pendant les 9 mois suivants.

Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l’indemnité de résidence. L’alinéa 2 du deuxièmement organise cependant un régime spécifique si la maladie de l’agent provient de l’une des causes exceptionnelles prévues par l’article 27 du Code des pensions civiles et militaires de retraite (« maladies professionnelles »), ou d’un accident survenu dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Le fonctionnaire a ainsi un certain nombre de droits :

 le droit de conserver l’intégralité de son traitement jusqu’à la consolidation (il est dès lors en état de reprendre son service ou de prendre sa retraite). Tant que l’agent n’est pas stabilisé, l’agent percevra son plein traitement. Ne sont pas versées les primes et indemnités qui sont liées à l’exercice des fonctions ;

 le droit au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement engendrés par la maladie ou l’accident. Lors d’un accident du travail, c’est la collectivité qui paye ces frais et le remboursement est total, il n’y a pas de forfait applicable. L’allocation temporaire d’invalidité (ATI) sera versée au fonctionnaire qui reprend son activité avec des séquelles et il recevra une pension d’invalidité quand il partira à la retraite. Mais en outre, l’agent peut obtenir une réparation intégrale de son préjudice et demander ainsi des dommages et intérêts devant les tribunaux. Cette idée est assez récente car pendant longtemps le juge administratif a considéré que l’agent qui subissait un dommage du fait de l’administration n’avait d’autre droit à réparation en dehors de l’ATI et de la pension d’invalidité. Cette solution, appelée forfait de pension, a été abandonnée en 2003. La collectivité dans laquelle s’est produit l’accident doit assumer les conséquences de celui-ci, même après que l’agent ait quitté celle-ci, y compris après sa retraite. Ainsi, en cas de rechute, elle devra prendre en charge les conséquences. Il est intéressant de remarquer qu’en dehors du 2e alinéa du deuxièmement de l’article 57, il existe pour les maladies professionnelles le régime de la longue maladie ou plus exactement de la longue durée. L’alinéa 2 du quatrièmement dudit article, prévoit que pendant 5 ans, l’agent va être en congé de longue durée à plein traitement et 3 ans supplémentaires à demi-traitement lorsque la maladie a été contractée dans l’exercice des fonctions. Ce régime est assez peu utilisé.


2) L’imputabilité au service

Jusqu’en novembre 2008, la reconnaissance de l’imputabilité d’une maladie ou d’un accident au service au service était appréciée par la commission de réforme départementale (art. 57, 2°, al. 3). Depuis le décret du 17 novembre 2008 (D. n° 2008- 1191, 17 nov. 2008, relatif aux commissions de réforme et au comité médical supérieur dans la Fonction publique de l’État, dans la Fonction publique territoriale et dans la Fonction publique hospitalière) qui a modifié le décret du 30 juillet 1987, la saisine de la commission n’est obligatoire que si l’administration refuse d’en reconnaître l’imputabilité, quelle que soit la durée du congé. Concrètement, ce n’est plus la commission de réforme qui va émettre un avis sur l’imputabilité mais l’employeur qui va directement l’estimer. C’est uniquement si l’administration conteste l’imputabilité ou lorsque l’agent lui-même sollicite l’avis de la commission de réforme, que celle-ci est saisie. L’imputabilité au service d’un accident de service ou d’une maladie professionnelle bénéficie d’une prescription quadriennale : elle peut être demandée jusqu’à quatre années budgétaires après le moment où l’état de santé s’est trouvé dégradé, ou le moment où il y a eu un accident, ainsi on peut éventuellement agir dans un délai qui court du 1er janvier qui suit l’année de l’accident ou de la dégradation de l’état de santé, jusqu’au 31 décembre, quatre ans après. Il faut qu’il y ait quatre années pleines budgétaires. S’il y a eu une demande mais qu’elle n’a pas été traitée, cela suffit à interrompre la prescription.

Cela étant, il est difficile d’établir des règles très strictes. Lorsqu’il s’agit de préjudice corporel – et la dégradation de santé est un préjudice corporel – il semble que l’on puisse raisonner selon l’état de consolidation d’une part, qui serait le point de départ de la prescription, et selon le principe qui édicte de ne pas opposer la prescription à quelqu’un qui ne connait pas son fait générateur. Donc, dans ce cas très particulier, lorsque seule l’expertise médicale peut établir une imputation au service, le point de départ de la prescription quadriennale pourrait être cet élément, mais comme toujours le droit est très compliqué. La collectivité peut se subroger dans les droits éventuels du fonctionnaire victime d’un accident provoqué par un tiers jusqu’à concurrence du montant des charges qu’elle a supportées ou supporte du fait de cet accident.


3) Le harcèlement moral

Le cas du harcèlement mérite que l’on s’y attarde quelques instants. Qu’est-ce que le harcèlement ? On peut le définir comme une succession de faits répétés, négatifs, qui finissent par altérer l’état de santé physique ou mental du fonctionnaire dans le cadre de son travail. Il n’y a pas d’obligation, pour qu’il y ait harcèlement, de faire reconnaître l’imputabilité au service puisque, schématiquement, il y a nécessairement une altération de l’état de santé de la personne ; mais celle-ci peut être demandée afin d’en faciliter la preuve.

La preuve est importante car il faut bien noter que, contrairement au droit du travail, le harcèlement n’est pas présumé dans la Fonction publique : c’est à l’agent de démontrer qu’il y a eu harcèlement. Cela peut être extrêmement compliqué car le juge administratif est parfois assez hostile à reconnaître les cas de harcèlements, par crainte sans doute que tout puisse devenir harcèlement. Ainsi, il peut arriver que, face à des faits qui sont véritablement avérés comme étant « hérétiques » dans le comportement administratif (p.ex. : certains cas de placement de l’agent dans des fonctions dégradantes ou ne correspondant pas à son grade, ce que l’on appelle des mises au placard), le juge reconnaisse des fautes annexes en ne les qualifiant pas de « harcèlement ». La collectivité est alors condamnée mais le terme est très peu utilisé.

En plus de la sanction civile, il ne faut pas oublier que le harcèlement est également une faute de nature à entraîner la responsabilité pénale de son auteur. Et le juge administratif se retrouve souvent dans l’attente de la décision du juge pénal. Une des meilleures solutions pour régler les cas de harcèlement est de mettre en place des processus de ressources humaines (formation pour les managers et dans le doute : déplacement des agents en souffrance).


4) L’alcoolémie sur le lieu de travail

Autre cas : l’alcoolémie de l’agent. Le régime de l’accident de service n’est pas un régime de présomption, c’est-à-dire que c’est à l’agent de prouver qu’il y a un lien avec le service. Si l’agent subi un dommage sur son lieu de travail et pendant ses horaires de travail mais que celui-ci est exclusivement dû à son état alcoolisé, l’employeur peut s’exonérer de l’imputabilité au service en invoquant son ébriété (fautive car interdite par le règlement intérieur). La difficulté apparaît en cas de fautes conjointes, par exemple si, en plus de son état alcoolémie, l’agent s’est blessé parce que les rampes de sécurité n’étaient pas suffisantes pour empêcher une chute et que même quelqu’un de sobre aurait trébuché. Il n’y a a priori pas de réponse définitive, tout est une question de faits.

[1Photo : © Eric Gevaert