Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative

La dégradation d’un chemin rural ne constitue pas une contravention de voie routière

Cour administrative d’appel de Nantes, 20 mai 2016, N° 15NT00341

Le juge administratif peut-il enjoindre au procureur de la République de poursuivre l’auteur des faits lorsque le maire a dressé procès-verbal ?

Non : la décision du procureur de la République de classer sans suite et de ne pas poursuivre les infractions figurant aux procès-verbaux dressés par le maire n’est pas détachable de ses fonctions juridictionnelles. Le juge administratif ne peut donc enjoindre au procureur de la République de poursuivre l’auteur des faits. En l’espèce un maire (commune de 700 habitants) avait dressé procès-verbal pour contravention de voirie routière après avoir constaté des dégradations à un chemin rural suite au passage d’engins agricoles. Mais le procureur avait classé l’affaire sans suite. Et pour cause : les contraventions de voirie routière, passibles d’une amende de cinquième classe (1500 euros), ne protègent que le seul domaine public routier. Or les chemins ruraux relèvent du domaine privé de la commune. Les violations des arrêtés de police visant à la préservation des chemins ruraux (ex : interdiction de circulation à certains types de véhicules) ne peuvent être sanctionnées que sur le fondement de l’article R. 610-5 du code pénal passibles d’une simple amende de 1ère classe (38 euros).

Notons que le maire aurait pu, en revanche, demander à l’exploitant une réparation en nature ou en argent sur le fondement de l’article L141-9 du code de la voirie routière lequel est bien applicable aux chemins ruraux en vertu de l’article L161-8 du code rural et de la pêche maritime. Rappelons également que comme toute victime directe d’une infraction, une collectivité peut déposer plainte (par exemple sur le fondement des articles 322-1 et suivants du code pénal réprimant les dégradations et destructions de biens) et neutraliser un éventuel classement sans suite par le procureur de la République en se constituant partie civile devant le doyen des juges d’instruction ou par voie de citation directe devant la juridiction de jugement.

En juillet 2011 le maire d’une commune rurale de Loire-Atlantique (700 habitants) dresse procès-verbal (PV) après avoir constaté les dégradations à un chemin rural causé par le passage répété d’engins agricoles appartenant à un même exploitant. Il transmet le PV au procureur de la République sollicitant l’engagement de poursuites à l’encontre de l’agriculteur pour contraventions de voirie routière sur le fondement de l’article L. 2132-1 du code général de la propriété des personnes publiques.

Plus de deux ans plus tard le maire est informé par le préfet que le procureur de la République a décidé de classer l’affaire sans suite.

Il faut dire que les contraventions de voirie routière (contravention de 5è classe soit une amende de 1500 euros) ne protègent que le seul domaine public alors que les chemins ruraux relèvent du domaine privé de la commune. De fait, les violations des arrêtés municipaux réglementant la circulation sur les chemins ruraux ne peuvent être sanctionnées que sur la base de l’article R. 610-5 du code pénal passible d’une amende de première classe (38 euros).

Toujours est-il que la commune saisit le tribunal administratif pour que celui-ci enjoigne au procureur de la République d’engager des poursuites.

Sans surprise le tribunal administratif déboute la commune, ce que confirme la cour administrative d’appel :

"la décision du procureur de la République de classer sans suite, et ainsi de ne pas poursuivre les infractions figurant aux procès-verbaux dressés par le maire du Grand-Auverné, n’est pas détachable de ses fonctions juridictionnelles, dont il n’appartient pas au juge administratif de connaître".

Au passage, la cour administrative d’appel relève qu’il ne ressort d’aucune des pièces du dossier que le chemin rural en cause aurait fait l’objet d’un classement dans la voirie communale et qu’il appartient ainsi au domaine privé de la commune. Ce litige ne saurait donc relever en tout état de cause de la compétence du juge administratif.

Rappelons que :

 comme toute victime d’une infraction [1], une collectivité territoriale peut déposer plainte et neutraliser un éventuel classement sans suite en se constituant partie civile devant le doyen des juges d’instruction ou en saisissant la juridiction de jugement par voie de citation directe avec constitution de partie civile ;

 le maire peut interdire d’une manière temporaire ou permanente l’usage de tout ou partie du réseau des voies communales aux catégories de véhicules dont les caractéristiques sont incompatibles avec la constitution de ces voies, et notamment avec la résistance et la largeur de la chaussée ou des ouvrages d’art (article R*141-3 du code la voirie routière) ;

 que les communes qui constatent des dégradations sur la voirie peuvent réclamer à l’auteur des dégradations des contributions spéciales (en nature ou en argent) sur le fondement de l’article L141-9 du code de la voirie routière [2]. Et pour le coup ces dispositions sont bien applicables aux chemins ruraux comme le prévoit expressément l’article L161-8 du code rural et de la pêche maritime.

Cour administrative d’appel de Nantes, 20 mai 2016, N° 15NT00341

[1Par exemple la dégradation légère de biens est passible selon l’article 322-1 du code pénal de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Les tags n’ayant causé que des dommages légers sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain sont passibles de 3 750 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général. Si les dommages sont plus importants, les peines sont alourdies (trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende dans le 1er cas, et peuvent aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende pour les tags notamment lorsque lorsque le bien détruit, dégradé ou détérioré est destiné à l’utilité ou à la décoration publique et appartient à une personne publique ou chargée d’une mission de service public).

[2"Toutes les fois qu’une voie communale entretenue à l’état de viabilité est habituellement ou temporairement soit empruntée par des véhicules dont la circulation entraîne des détériorations anormales, soit dégradée par des exploitations de mines, de carrières, de forêts ou de toute autre entreprise, il peut être imposé aux entrepreneurs ou propriétaires des contributions spéciales, dont la quotité est proportionnée à la dégradation causée.
Ces contributions peuvent être acquittées en argent ou en prestation en nature et faire l’objet d’un abonnement.
A défaut d’accord amiable, elles sont fixées annuellement sur la demande des communes par les tribunaux administratifs, après expertise, et recouvrées comme en matière d’impôts directs".