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Ecoutes téléphoniques, faute personnelle et responsabilité des fonctionnaires

Cass crim 30 septembre 2008 N° de pourvoi : 07-82249

Un fonctionnaire qui commet une faute personnelle détachable mais non dépourvue de tout lien avec le service peut-il engager sa responsabilité civile devant les juridictions judiciaires ?

Au cours de l’année 1992, des articles de presse révèlent le placement irrégulier sous écoutes téléphoniques d’un avocat et d’un journaliste. Des informations judiciaires sont ouvertes notamment des chefs d’atteintes à l’intimité de la vie privée.

Il en ressort « que, de 1983 à 1986, la " mission de coordination, d’information et d’action contre le terrorisme ", autrement dénommée " la cellule élyséenne ", composée de militaires de la gendarmerie, de fonctionnaires de la direction de la surveillance du territoire (DST) et de policiers des renseignements généraux en détachement (...) avait exercé, sur les instructions de Gilles Y..., directeur adjoint, puis directeur du cabinet du Président de la République, la surveillance habituelle d’une vingtaine de lignes téléphoniques et ainsi intercepté les correspondants de personnalités ». En outre, « les expertises judiciaires de cinq disquettes informatiques déposées le 12 janvier 1995 par une personne non identifiée au tribunal de grande instance de Paris ont révélé qu’il avait été procédé au traitement automatisé d’informations nominatives concernant les personnes dont les lignes téléphoniques avaient été surveillées, ainsi que de leurs interlocuteurs ».

Poursuivis en correctionnelle, les fonctionnaires et militaires impliqués se défendent en invoquant notamment la prescription des faits qui leurs sont reprochés et l’obéissance qu’ils devaient à leur supérieur. La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir écarté ces arguments et apporte des éclaircissement intéressants sur la responsabilité civile personnelle des fonctionnaires.

Prescription d’infractions clandestines

L’atteinte à l’intimité à la vie privée par des écoutes téléphoniques est une infraction par nature clandestine conduisant à faire courir le délai de prescription seulement à partir du moment où elle a été révélée aux victimes dans tous ses éléments. En l’espèce le délai de prescription n’a pas commencé à courir en 1992, date des premières révélations, mais début 1995, date à laquelle ont pu être exploitées les informations sur les disquettes informatiques remises de manière anonyme au juge d’instruction.

Obéissance hiérarchique et responsabilité pénale

Les prévenus ne peuvent pas plus invoquer leur devoir d’obéissance pour s’exonérer sur le fondement de l’article 122-4 du code pénal :

 « à l’époque des faits, aucune loi ne prévoyait les interceptions administratives » ;

- « le dépassement de son champ de compétence par la " cellule élyséenne " a entraîné une large confusion entre les missions de lutte contre le terrorisme, la sécurité du Président de la République ainsi que de ses proches et la protection de la vie privée de ce dernier » ;

 « à le supposer donné par le chef de l’Etat, l’ordre de procéder à des écoutes pour protéger sa vie privée ne pouvait légitimer cet acte, dès lors qu’il émanait d’une autorité ne disposant pas du pouvoir de le faire » ;

  « le commandement de l’autorité légitime ne peut être retenu en faveur d’un officier supérieur de la gendarmerie et de hauts fonctionnaires, dès lors que ne leur était imposée aucune obéissance inconditionnelle à des ordres manifestement illégaux ».

Obéissance hiérarchique et responsabilité civile

En première instance le tribunal correctionnel s’était déclaré incompétent pour statuer sur l’action civile en l’absence de fautes détachables du service. La Cour d’appel censure cette position, ce qu’approuve la Cour de cassation :

 « est détachable de la fonction d’un agent public, même si elle n’est pas dépourvue de tout lien avec son service, la faute de cet agent qui, impliquant une intention de nuire ou présentant une gravité particulière, révèle un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d’ordre professionnel et déontologique » ;

 « tel est le cas des prévenus, hauts fonctionnaires ou hauts gradés de la gendarmerie ou de la police nationale qui, par la commission de faits illégaux relevant d’un système institutionnalisé et constitutifs de délits d’atteinte à l’intimité de la vie privée, ont jeté le discrédit sur l’ensemble de la fonction publique civile et militaire en affaiblissant l’autorité de l’Etat dans l’opinion publique, méconnaissant ainsi l’intérêt général, au seul profit d’intérêts particuliers n’excluant nullement leurs propres intérêts de carrière ».

On se souvient que dans l’affaire de la paillote incendiée sur ordre préfectoral, les militaires poursuivis n’avaient pas engagé leur patrimoine personnel, la Cour de cassation (Cass crim 13 octobre 2004) estimant que commettent « une faute de service dont les conséquences civiles ressortissent à la seule compétence des juridictions administratives » les prévenus qui « ont agi sur ordre, dans le cadre de leurs fonctions, en usant des prérogatives, pouvoirs et moyens en résultant et sans poursuivre d’intérêt personnel ». L’arrêt de la Cour de cassation du 30 septembre 2008 ne constitue pas nécessairement un revirement de jurisprudence sur ce point. En effet dans l’affaire de la paillote, l’ordre donné, bien qu’illégal, ne visait pas à satisfaire un intérêt personnel du préfet. Dans l’affaire des écoutes, les juges considèrent que les fonctionnaires et militaires ont obéi à un ordre non seulement illégal mais qui avait pour objet d’assouvir les intérêts particuliers du Président de la République. En outre en obéissant de manière inconditionnelle aux ordre reçus, les prévenus ont pu également poursuivre leur propre intérêt de carrière.