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La jurisprudence de la semaine du 14 au 18 mars 2016

Dernière mise à jour le 18/07/2016

Fiscalité et finances publiques / Fonction publique / Hygiène et sécurité au travail / Responsabilités

Fiscalité et finances publiques

  Redevance spéciale d’enlèvement des déchets : une communauté d’agglomération peut-elle appliquer un tarif forfaitaire et unique pour les commerces installés dans un centre historique où la collecte en porte-à-porte des déchets n’est pas possible en raison de l’étroitesse des rues ?

Non. Si dans une telle situation l’EPCI peut établir un taux distinct de celui qui est appliqué aux professionnels situés dans les autres secteurs de cette communauté d’agglomération, lesquels sont placés dans une situation objectivement différente (puisqu’ils sont contraints de déposer leurs déchets dans des points d’apport collectifs), elle ne peut prévoir un taux unique et forfaitaire décorrélé de l’importance du service rendu. En effet, le taux appliqué dans le secteur intra-muros ne saurait déroger au principe applicable à toutes les redevances, rappelé par les dispositions de l’article L. 2333-78 du code général des collectivités territoriales, selon lequel le taux fixé doit être proportionnel à l’importance du service rendu.

Si la redevance peut être fixée de manière forfaitaire pour l’élimination de petites quantités de déchets, cette disposition ne saurait être légalement appliquée à la totalité des professionnels soumis à cette redevance, mais seulement à ceux qui produisent effectivement une faible quantité de déchets à éliminer.

Une communauté d’agglomération ne peut ainsi adopter un tarif unique et forfaitaire, applicable à l’ensemble des professionnels situés dans des zones spécifiques, sans distinguer selon les quantités de déchets que ces professionnels sont susceptibles de produire, le cas échéant par voie d’estimation et en édictant un barème.

Conseil d’État, 17 mars 2016, N° 387546

Fonction publique

 Le maire a t-il compétence liée pour prononcer la radiation des cadres d’un agent condamné pénalement pour détention d’images pédopornographiques si la peine est portée au casier judiciaire alors que l’intéressé a déjà été sanctionné disciplinairement pour les mêmes faits ?

Non : le maire n’est pas en situation de compétence liée pour prendre une telle mesure qui présente le caractère d’une révocation impliquant la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire. Il appartient à l’autorité territoriale d’apprécier, sous le contrôle du juge, l’incompatibilité des faits à raison desquels l’intéressé a fait l’objet des condamnations inscrites à son bulletin n° 2 avec l’exercice de ses fonctions. Or, en l’espèce, le cadre territorial avait déjà été sanctionné disciplinairement pour ces mêmes faits par une exclusion temporaire de deux ans. Il ne pouvait donc plus être sanctionné pour les mêmes faits (il en aurait été différemment si le juge avait prononcé contre le cadre une peine de privation des droits civiques laquelle entraîne ipso facto la perte de la qualité de fonctionnaire en dehors de toute procédure disciplinaire). Quant à l’insuffisance professionnelle invoquée par la commune pour justifier le licenciement, elle n’est pas plus jugée caractérisée, les manquements avancés n’étant pas établis ou non imputables au cadre territorial. Le licenciement est en conséquence annulé et la commune condamnée à réparer les préjudices matériel (perte de rémunération) et moral de l’agent résultant de son éviction illégale.

Cour administrative d’appel de Lyon, 15 mars 2016, N° 14LY01493

 La consommation de cannabis par un agent en dehors du service peut-elle justifier sa révocation ?

Oui si cette consommation est jugée incompatible avec les fonctions de l’agent et de nature à porter gravement atteinte au crédit et à la réputation de son administration. Est ainsi justifiée la révocation d’un gardien de la paix qui, lors d’un contrôle routier, a été trouvé en possession de 18 grammes d’herbe de cannabis dissimulé dans le coffre de sa voiture. La circonstance que l’intéressé était gardien de la paix n’est pas neutre. Cette jurisprudence est naturellement transposable aux policiers municipaux. Pour les autres cadres d’emploi, on peut penser qu’il peut y avoir débat selon la nature des fonctions exercées (ex : agent travaillant auprès de mineurs) et le devoir d’exemplarité attaché au rang de l’agent dans la hiérarchie de la collectivité.

Cour administrative d’appel de PARIS, 1ère chambre , 17 mars 2016, 14PA01795

 Un agent peut-il refuser de payer un titre exécutoire émis à son encontre par la collectivité qui l’emploie, si l’avis à payer n’indique pas les nom, prénoms et qualité du signataire ?

Oui : il résulte en effet des dispositions de l’article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales et de l’article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 (désormais l’article l’article L212-1 du code des relations entre le public et l’administration) que le titre de recettes individuel ou l’extrait du titre de recettes collectif adressé au redevable doit mentionner les nom, prénoms et qualité de la personne qu’il l’a émis. La mention des nom, prénoms et qualité de l’émetteur sur le seul bordereau de titre de recettes ne suffit pas : ces mentions doivent aussi figurer sur l’avis des sommes à payer adressé à l’intéressé. En l’espèce une commune avait émis un titre exécutoire contre un agent pour lui demander le remboursement de l’allocation pour perte involontaire d’emploi après que le maire soit revenu sur sa décision de révoquer l’agent en substituant son arrêté de révocation par une mesure d’exclusion temporaire.

Conseil d’État, 17 mars 2016, N° 389069

Hygiène et sécurité au travail

 Un défaut d’évaluation des risques professionnels peut-il être reproché à l’employeur en cas d’accident bien que la victime ait pris l’initiative de s’éloigner sans raison de sa zone de travail sécurisée ?

Oui : l’omission, par l’employeur (public ou privé) de procéder à une évaluation des risques professionnels liés à une opération peut en effet être à l’origine d’un défaut d’information du salarié sur les risques encourus en cas d’éloignement de sa zone de travail. Ainsi cette carence de l’employeur peut constituer une faute entrant dans les prévisions de l’article 221-6 du code pénal. En l’espèce le salarié d’une entreprise privée a fait une chute mortelle (de 7 mètres) au cours travaux de réfection d’une toiture composée de plaques de fibrociment, dont l’une a cédé sous son poids. La victime s’est éloignée de sa propre initiative de plusieurs mètres de la zone d’intervention. Poursuivi pour homicide involontaire, l’employeur est dans un premier temps relaxé. En effet :

  • l’accident est survenu alors que la victime avait pris l’initiative, qui n’était pas commandée par l’employeur, ni n’était nécessaire à l’exécution de sa tâche, de s’éloigner de sa zone de travail ;
  • si l’employeur n’avait pas établi, comme il l’aurait dû, un document unique d’identification et de prévention des risques liés à une opération de rénovation en toiture, cette négligence, n’avait pas été mentionnée dans l’acte de poursuite et ne pouvait donc être sanctionnée.

La Cour de cassation censure cette position :

"en s’abstenant de rechercher si l’omission, par le prévenu, de procéder à une évaluation des risques professionnels liés à l’opération projetée, qu’elle avait relevée et sur laquelle l’intéressé s’était expliqué bien qu’il n’ait pas été poursuivi spécialement de ce chef, n’était pas à l’origine d’un défaut d’information du salarié sur les risques encourus en cas d’éloignement de sa zone de travail et, partant, si cette carence de l’employeur ne constituait pas une faute entrant dans les prévisions de l’article 221-6 du code pénal, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision".

Une nouvelle démonstration de l’importance d’une bonne évaluation des risques professionnels.

Cour de cassation, chambre criminelle, 15 mars 2016, N° 13-88530

Responsabilités

 Le juge judiciaire doit-il d’office constater son incompétence pour condamner personnellement un élu local ou un agent public à indemniser une victime en l’absence de faute personnelle détachable du service ?

Oui : l’incompétence du juge judiciaire est en pareil cas d’ordre public et doit être soulevée d’office. En effet l’agent d’un service public ne peut être personnellement déclaré responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions. Ce n’est que si les juridictions judiciaires caractérisent expressément une telle faute, qu’elles peuvent condamner un agent public à indemniser une partie civile. Peu importe donc que l’avocat de l’élu poursuivi n’ait pas pensé à soulever cette exception. En l’espèce un élu avait été condamné pénalement pour avoir diffamé un opposant. Les juges d’appel s’étaient aussi prononcés sur les intérêts civils et l’avaient condamné à des dommages et intérêts. Mais sans caractériser à son encontre de faute personnelle détachable du service. D’où la censure de l’arrêt par la chambre criminelle sur le visa de la loi des 16-24 août 1790. Ce qui ne veut pas dire que la cour d’appel de renvoi ne pourra pas condamner l’élu à indemniser les parties civiles. Il faudra simplement qu’elle caractérise une faute personnelle détachable du service en s’appuyant, le cas échéant, sur les critères récemment définis par le Conseil d’Etat (arrêts du 30 décembre 2015) pour caractériser une telle faute.

Cour de cassation, chambre criminelle, 15 mars 2016, N° 14-87237

 Une durée excessive de l’enquête préliminaire, est-elle une cause de nullité de la procédure dès lors que la personne suspectée (ici un sénateur-maire) n’a pas pu avoir accès au dossier ? L’autorité judiciaire est-elle compétente pour porter une appréciation sur la conformité d’une procédure de levée d’immunité parlementaire ?

Non. En l’espèce un maire poursuivi pénalement des chefs d’infractions au code électoral, blanchiment, complicité et recel, invoquait la nullité de la procédure. Il relevait en effet que durant plusieurs années ayant précédé sa mise en examen, il n’avait pas pleinement bénéficié des droits de la défense en raison de la durée de l’enquête préliminaire au cours de laquelle il était privé d’un accès au dossier. La Cour de cassation approuve la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’avoir rejeté ce moyen, un tel grief ne constituant pas un motif de nullité de la procédure.

Dans le même arrêt, la Cour de cassation précise que l’autorité judiciaire n’est pas compétente pour porter une appréciation sur la conformité aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme de la procédure suivie au sein d’une assemblée parlementaire, sans porter atteinte au principe de la séparation des pouvoir. Ainsi les juridictions judiciaires ne peuvent se prononcer sur le caractère inéquitable de la procédure au terme de laquelle le Bureau du Sénat a levé l’inviolabilité parlementaire de l’intéressé, permettant ainsi son placement en garde à vue.

Cour de cassation, chambre criminelle, 15 mars 2016, N° 15-85362

 Le juge pénal qui déclare un maire coupable de harcèlement moral est-il automatiquement compétent pour condamner aussi l’élu au paiement de dommages-intérêts (150 000 euros en l’espèce) en réparation du préjudice subi par les agents plaignants ?

Non : les juridictions judiciaires doivent caractériser à l’encontre de l’élu (ou de l’agent) poursuivi une faute personnelle détachable du service pour pouvoir le condamner personnellement à indemniser les victimes. En effet :

 les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public en raison d’un fait dommageable commis par l’un de leurs agents ;

 l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions.

En l’espèce les juges d’appel, après avoir retenu la responsabilité pénale d’un maire pour harcèlement moral sur plainte de deux agents mis au placard, l’avaient condamné à verser 150 000 euros de dommages-intérêts sur ses deniers personnels aux victimes. Mais sans caractériser expressément à l’encontre de l’élu une faute personnelle détachable du service. D’où la censure de la Cour de cassation qui rappelle une nouvelle fois que ces règles de compétence sont d’ordre public et doivent être relevées au besoin d’office par le juge. Ce qui ne veut pas dire pour autant que l’élu ne devra pas assumer financièrement les conséquences civiles de l’infraction. La cour d’appel de renvoi pourra en décider ainsi si elle caractérise contre l’élu une faute personnelle détachable du service. De fait, dans un précédent arrêt, la Cour de cassation a déjà jugé qu’un élu pouvait être déclaré civilement responsable des agissements de harcèlement moral dont il s’était rendu coupable.

Cour de cassation, chambre criminelle, 15 mars 2016, N° 15-80567