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Refus illégal d’un maire d’autoriser l’ouverture d’une mosquée malgré les injonctions du juge des référés : le pouvoir hiérarchique du préfet n’est pas optionnel

Conseil d’État, 19 janvier 2016, N° 396003 (ordonnance du juge des référés)

Le juge des référés peut-il enjoindre à un préfet d’exercer son pouvoir hiérarchique sur un maire qui persiste à refuser, malgré injonction, de délivrer une autorisation d’ouverture d’un lieu de culte (ici une mosquée) ?

Oui : le refus d’un préfet de prendre, dans le cadre de son pouvoir hiérarchique, une mesure ordonnée par le juge des référés porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit à un recours effectif ainsi que, par voie de conséquence, aux libertés fondamentales que cette mesure a pour objet de sauvegarder. Si l’exécution d’une décision du juge administratif doit en principe être assurée dans les conditions et selon les procédures prévues par le code de justice administrative, le représentant de l’Etat dans le département peut recourir aux pouvoirs qu’il tient de l’article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales afin de prendre, en lieu et place du maire qui refuserait ou négligerait de le faire, les mesures qu’appelle nécessairement l’exécution d’une décision juridictionnelle. Injonction est ainsi faite à un préfet d’exercer son pouvoir hiérarchique sur un maire qui persiste à refuser de délivrer une autorisation d’ouverture d’un lieu de culte (ici une mosquée) malgré les injonctions du juge des référés. Peu importe que des infractions d’urbanisme aient été relevées conduisant à l’engagement de poursuites pénales contre l’association, son président et l’ancien maire qui avait délivré le permis. En effet, dans une précédente ordonnance portant sur la même affaire, le juge des référés du Conseil d’Etat avait précisé que la circonstance que la délivrance des autorisations d’urbanisme qui ont permis la réalisation de ce lieu de culte fasse l’objet par ailleurs d’instances contentieuses est sans incidence sur l’appréciation de la condition d’urgence par le juge des référés en vue de prendre, à titre provisoire, des mesures permettant la sauvegarde des libertés fondamentales auxquelles il est porté une atteinte grave et manifestement illégale.

Une association musulmane obtient, en avril 2011, un permis de construire pour l’édification d’une mosquée et la démolition de garages servant antérieurement de lieu de culte. Trois ans plus tard, à la faveur d’un changement de majorité municipale, le nouveau maire met en demeure cette association d’interrompre les travaux entrepris sur le terrain d’assiette du projet. Il invoque des entorses aux règles d’urbanisme et le non-respect du plan de prévention des risques d’inondations (PPRI). Des poursuites pénales sont d’ailleurs engagées contre l’association confessionnelle et l’ancien maire.

Des travaux achevés mais pas d’autorisation d’ouverture

Le juge des référés du tribunal administratif suspend l’exécution de la mise en demeure faite par la nouvelle municipalité, permettant ainsi à l’association d’achever les travaux entrepris.

Une fois la construction achevée, l’association demande donc au maire la délivrance d’une attestation d’achèvement et de conformité des travaux ainsi que l’autorisation d’ouverture de la mosquée, requise par les dispositions du code de la construction et de l’habitation relatives aux établissements recevant du public. En dépit de l’avis favorable émis le 18 juin 2015 par la sous-commission départementale de sécurité, le maire rejette implicitement cette demande, interdisant ainsi de facto l’ouverture de la mosquée.

D’où une nouvelle saisine du juge des référés lequel enjoint au maire d’accorder à l’association musulmane, à titre provisoire, l’autorisation permettant l’ouverture au public de la mosquée et décide une astreinte de 500 euros par jour de retard.

Sans plus de succès. Le juge des référés du Conseil d’Etat procède donc à la liquidation de l’astreinte. Parallèlement à ces procédures, l’association cultuelle demande au préfet, qu’il donne suite au courrier du 21 octobre 2015 par lequel il avait mis en demeure le maire de délivrer, sous quinzaine, l’autorisation d’ouverture au public de la mosquée et indiqué qu’en l’absence de décision en ce sens, il userait du pouvoir hiérarchique que lui confère l’article L. 2131-5 du code général des collectivités territoriales.

Un raisonnement en quatre temps

Sans réaction du préfet, l’association confessionnelle saisit à nouveau le juge des référés d’une demande tendant à ce qu’il soit enjoint audit préfet de se substituer au maire pour assurer l’exécution de l’ordonnance du 9 novembre 2015 du juge des référés du Conseil d’Etat. Mais cette fois le juge des référés du tribunal administratif ne suit pas l’association et la déboute.

A tort tranche le Conseil d’Etat qui donne raison à l’association par un raisonnement en quatre temps :

1° L’autorisation d’ouverture d’un établissement recevant du public est délivrée au nom de l’Etat soit par le préfet soit par le maire. Or dans ce cadre, le préfet exerce un pouvoir hiérarchique sur le maire l’autorisant à procéder d’office à l’exécution des mesures que le maire a négligé de prendre.

2° Les décisions du juge des référés sont exécutoires et obligatoires. Ainsi les obligations qui en découlent, qu’il s’agisse de la suspension de l’exécution d’une décision administrative comme de l’édiction des mesures ordonnées par le juge, sont bien prescrites par la loi ;

3° La situation d’urgence particulière est bien caractérisée : le juge des référés du Conseil d’Etat, dans son ordonnance du 9 novembre 2015, l’avait déjà constatée et l’urgence se trouve encore aggravée par le défaut prolongé d’exécution de cette ordonnance. A ce titre le ministère de l’intérieur ne peut utilement invoquer la nécessité de prolonger l’instruction de la demande de l’association requérante afin de permettre au préfet de s’assurer du respect des normes de sécurité puisque la sous-commission départementale de sécurité a émis, le 18 juin 2015, un avis favorable à l’ouverture de la mosquée de Fréjus. Le ministère de l’intérieur ne peut pas plus se prévaloir de l’existence d’une instance pénale en cours et des réquisitions du ministère public tendant à la démolition de la mosquée, ces circonstances ayant déjà été portées à la connaissance du juge des référés du Conseil d’Etat qui a estimé, dans son ordonnance du 3 décembre 2015, qu’elles ne faisaient pas obstacle à la liquidation de l’astreinte.

4° Il incombe aux différentes autorités administratives de prendre, dans les domaines de leurs compétences respectives, les mesures qu’implique le respect des décisions juridictionnelles. De fait, même si l’exécution d’une décision du juge administratif doit en principe être assurée dans les conditions et selon les procédures prévues par le code de justice administrative, le représentant de l’Etat dans le département peut recourir aux pouvoirs qu’il tient de l’article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales afin de prendre, en lieu et place du maire qui refuserait ou négligerait de le faire, les mesures qu’appelle nécessairement l’exécution d’une décision juridictionnelle.

Et le juge des référés du Conseil d’Etat de conclure :

"le refus du préfet du Var de prendre, dans le cadre de son pouvoir hiérarchique, la mesure ordonnée par le juge des référés du Conseil d’Etat porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit à un recours effectif ainsi que, par voie de conséquence, aux libertés fondamentales que cette mesure a pour objet de sauvegarder"

Injonction est donc faite au préfet de faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales pour assurer l’exécution de l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat du 9 novembre 2015 dans un délai de 72 heures.

Précisons que depuis cette ordonnance, le tribunal correctionnel de Draguignan s’est prononcé le 26 février 2016 sur les infractions d’urbanisme reprochées à l’association. Il a reconnu les infractions caractérisées, mais n’a pas suivi les réquisitions du parquet demandant la démolition de l’ouvrage. L’association est condamnée à 60 000 euros d’amende, son président à 15 000 euros. Egalement poursuivi l’ancien maire est condamné pour délivrance frauduleuse du permis à une peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis, 100 000 euros d’amende et cinq ans d’interdiction d’exercer toute fonction publique.

Conseil d’État, 19 janvier 2016, N° 396003