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Agent ostracisé, harcèlement moral caractérisé ?

Cour de cassation, chambre criminelle, 26 janvier 2016, N° 14-80455

L’isolement d’un agent dans une équipe, qui se traduit par des refus de lui adresser la parole et d’aides ponctuelles consécutivement à un traitement de faveur dont il aurait bénéficié pour l’aménagement de son planning, suffit-elle à caractériser le délit de harcèlement moral en l’absence d’autres agissements ?

Potentiellement oui : si l’article 222-32-2 du code pénal exige des agissements répétés, il ne requiert pas l’imputation d’actes de nature différente. La répétition d’agissements de même nature suffit à caractériser l’infraction. Tel peut ainsi être le cas d’une mise à l’écart prolongée d’un agent dans une équipe. De même le texte d’incrimination n’exige pas que cet ostracisme ait eu initialement pour objet ou pour effet d’attenter à la dignité et à la santé de l’intéressé. En l’espèce un agent avait été pris en grippe dans une équipe après un aménagement de son planning perçu comme un traitement de faveur. Le sentiment d’injustice avait été exacerbé par le refus de l’encadrement de faire bénéficier du même régime un collègue en difficulté. La mésentente s’était traduite par des refus de lui adresser la parole, ou de l’aider ponctuellement dans certaines situations. Condamnés pour harcèlement moral en première instance, les fonctionnaires membres de l’équipe concernée avaient été relaxés en appel. Les juges relevaient en effet, d’une part, que la répétition d’actes de même nature ne pouvait suffire à caractériser l’infraction, d’autre part, que la mise à l’écart de l’agent n’avait pas eu initialement pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou à sa santé. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt, reprochant aux juges d’appel d’avoir ainsi ajouté à la loi des conditions qu’elles ne prévoit pas.

A la suite d’un signalement de la médecine du travail, corroboré par une enquête interne, une information est ouverte dans un hôpital du chef de harcèlement moral. Il en ressort qu’une aide soignante aurait été victime, de la part de collègues, d’une mise à l’isolement.

L’élément déclencheur : un traitement de faveur dont elle aurait bénéficié quant à l’aménagement de son planning. Sentiment d’injustice qui a été exacerbé au sein de l’équipe par le refus de l’encadrement de faire bénéficier cet aménagement à une collègue en difficulté. Toujours est-il que l’aide soignante ainsi avantagée se retrouve ostracisée par ses collègues qui refusent désormais de lui adresser la parole ou de l’aider ponctuellement dans certaines situations, notamment pour des demandes de remplacement.

Sur plainte de l’intéressée, le tribunal correctionnel déclare les aides soignantes coupables en retenant, notamment, la mise à l’isolement accompagnée d’un comportement général comprenant des actes diversifiés et réitérés, l’ensemble ayant pour conséquence la dégradation des conditions de travail de la victime pouvant porter atteinte à son intégrité physique et psychologique.

Mais la cour d’appel prononce une relaxe générale. Après avoir rappelé "qu’aucune règle ou convention n’exige que les relations entre collègues soient nécessairement conviviales", les magistrats relèvent en effet :

 d’une part que la seule mise à l’écart de la plaignante ne peut suffire pour constituer le délit reproché, cet agissement de même type qui a perduré devant être conforté par d’autres agissements de nature différente ;

 d’autre part qu’il n’est pas établi que cette décision de mise à l’écart ait eu initialement pour objet ou effet d’attenter à la dignité et à la santé de l’intéressée.

La Cour de cassation, dans un arrêt publié au bulletin, censure cette position, considérant qu’en statuant ainsi la cour d’appel a ajouté à la loi des conditions qu’elle ne comporte pas. En effet l’article 222-32-2 du code pénal n’exige pas que :

 que soient constatés des agissements répétés de nature différente ;

 ni que ces agissements ait initialement eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à la dignité et à la santé de la victime.

Ce qui ne veut pas dire pour autant que l’infraction soit nécessairement caractérisée. Il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de se prononcer sur ce point mais en statuant conformément à la loi et donc sans ajouter de conditions non prévues par le texte.

Cour de cassation, chambre criminelle, 26 janvier 2016, N° 14-80455