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Principe de précaution : montagne ou souris ?

Gadget, protection nécessaire pour le citoyen et/ou facteur supplémentaire d’insécurité juridique pour les décideurs territoriaux ?
Sur fond de maïs transgénique et d’antennes ionisantes, la montagne médiatique accouchera-t-elle d’une souris ? A moins que, sous-estimée par le législateur, la petite souris introduite dans le préambule de la Constitution ne finisse par engendrer une montagne de contentieux !

  • Définition

Le principe de précaution est né en Allemagne, dans les années 1970, tant sur le plan conceptuel sous la plume du philosophe Hans Jonas (“Le principe de Responsabilité”), que sur le plan pratique avec les lois sur les pluies acides.
Il a connu depuis un succès certain et a étendu progressivement son champ d’action de l’environnement à la santé et à sécurité alimentaire.
Réponse aux crises sanitaires chroniques de ces dernières décennies, il répond ainsi à une forte demande du corps social, en matière de développement durable mais aussi de transparence dans la recherche et la mises en oeuvres des innovations technologiques.
Le Conseil d’Etat (Rapport public du Conseil d’Etat 2005 p.278) décèle aussi dans cet “engouement soudain du public dans ce “slogan refuge” (...) l’expression d’une défiance nouvelle à l’égard des responsables (...) et la traduction d’une recherche d’une plus grande responsabilité des décideurs”.
De fait, certains redoutent que l’invocation de ce principe ne constitue un frein à l’action publique nationale et territoriale : les administrés ne vont-ils pas trouver là un outil redoutable pour contester toute décision - ou absence de décision - des décideurs publics et rechercher leur responsabilité ? C’est à cette problématique à laquelle l’Observatoire de la SMACL était invité à répondre, par l’Association des ingénieurs territoriaux de France, au cours de ses Assises du 9 juin 2005 à Reims.
Politiquement sensible, la réponse à cette question est juridiquement délicate. En effet, il est fait référence au principe de précaution dans des textes de portée très inégale et selon des termes qui ne sont pas toujours compatibles entre eux.

Il faut cependant raison garder : si l’intégration, en mars 2005, du principe de précaution au bloc de constitutionnalité via l’adoption de la Charte de l’environnement, constitue une nouvelle étape dont les effets restent à mesurer, il n’en demeure pas moins que, pour l’heure, les juridictions, communautaires comme nationales, font une application plutôt mesurée du principe et rappellent que les mesures prises doivent (compte-tenu des connaissances scientifiques du moment) être proportionnées au risque éventuel et à la gravité du dommage redouté.

  • Les enjeux

Le débat sur le principe de précaution est passionné. En témoignent les contributions en ligne sur dossiersdunet.com. Principalement, trois conceptions s’affrontent.

> une interprétation maximaliste qui conduit à inverser purement et simplement la charge de la preuve en imposant l’abstention tant que la preuve de l’innocuité d’un produit ou d’un processus n’est pas scientifiquement démontrée. C’est, selon les détracteurs de cette conception, refuser purement et simplement toute innovation technologique.

> Une interprétation minimaliste tend au contraire à ne mettre en œuvre le principe de précaution que lorsque l’état des connaissances scientifiques permet, avec quasi certitude, de penser que l’innovation considérée aura des conséquences irréversibles et graves sur l’environnement. Le principe conduirait alors à prendre des mesures destinées à supprimer ou limiter le risque. Une telle interprétation revient à assimiler principe de précaution et prévention. Le principe de précaution suppose en effet une incertitude liée à la réalité, la nature ou la gravité des risques encourus. Si le risque est identifié, évalué, mesuré on tombe dans le domaine de la prévention des risques pure et simple (“Quand on sait on fait de la prévention, quand on ne sait pas on fait de la précaution”, Richard Robert cité en bibliographie). Les détracteurs de cette conception considèrent donc qu’elle revient à enlever toute portée au principe de précaution et à privilégier l’innovation au détriment de la protection de l’environnement et de la santé publique.

> Une conception présentée comme médiane et équilibrée tend à faire du principe de précaution un guide d’action et de procédure ayant pour objectif de lever, par des expertises indépendantes, l’incertitude scientifique et d’adopter des mesures proportionnées à une étude coût/avantages. Les tenants de cette thèse considèrent qu’il faut comparer les risques (environnementaux mais aussi sociaux et économiques) qui résultent de l’innovation avec ceux qui résultent de son abandon ou de son gel. Selon cette acception, les pouvoirs publics se doivent d’être particulièrement réactifs à l’état d’avancement des connaissances scientifiques.

Le rapport du Conseil d’Etat pour l’année 2005 (p. 278), en conclut que “les débats sur le principe de précaution tiennent moins au principe lui-même qu’aux décalages importants apparus entre ses énoncés raisonnables et les conceptions extrêmes qui ont pu prévaloir dans les esprits de ses partisans ou de ses détracteurs”.

Pour sa part, le philosophe Jean-Pierre Dupuy (voir bibliographie) dresse un long réquisitoire très argumenté contre le principe de précaution. Pour résumer sa pensée, au risque de la dénaturer, il oppose au postulat de l’incertitude scientifique qui constitue la base du principe, la certitude que le pire va se réaliser. Le catastrophisme éclairé qu’il appelle de ses vœux doit conduire à “obtenir une image de l’avenir suffisamment catastrophiste pour être repoussante et suffisamment crédible pour déclencher les actions qui empêcheraient sa réalisation, à un accident près”. Tout comme l’efficacité de la dissuasion nucléaire repose sur la crédibilité de l’emploi de l’arme atomique en cas de conflit, “le catastrophisme éclairé consiste à penser la continuation de l’expérience humaine comme résultant de la négation d’une autodestruction - une autodestruction qui serait comme inscrite dans son avenir figé en destin. Avec l’espoir, comme l’écrit Borges, que cet avenir, bien qu’inéluctable, n’ait pas lieu”.

  • Le principe de précaution en droit international

La Conférence internationale sur la protection de la mer du Nord en novembre 1987 a été la première à se référer au principe, mais c’est la Déclaration de Rio du 13 juin 1992 ratifiée par la France le 20 juin 1994 qui est considérée comme sa véritable reconnaissance internationale.
Cette déclaration énonce en effet dans son principe 15 que “pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les Etats selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement.”
Notons qu’il est fait référence à des dommages graves OU irréversibles et qu’il s’agit là plus d’une déclaration de principe que l’édiction d’une norme juridique ayant valeur contraignante.

La Cour internationale de justice, visiblement génée par l’invocation du principe de précaution, a par trois fois, éludé la question :

> lors de la reprise des essais nucléaires par la France en 1995, la Nouvelle Zélande invoquant le principe de précaution demandait à la France de prouver la totale innocuité de ces essais nucléaires, ce à quoi l’Etat français répondait par l’absence de caractère contraignant du principe de précaution. La cour a débouté la Nouvelle Zélande mais pour des motifs de procédure (CIJ, ordonnance du 22 septembre 1995, rôle général n°97)

> Saisie par l’OMS de la question de la légalité de l’emploi d’armes nucléaires dans les conflits armés, la Cour refuse de délivrer l’avis consultatif demandé estimant que l’OMS n’ a aucune compétence en la matière (CIJ, avis du 8 juillet 1996, rôle n°93).

Dans une autre affaire opposant la Slovaquie et la Hongrie au sujet d’un grand projet d’aménagements d’écluses sur le Danube, la Cour internationale a préféré se placer sur le terrain de la force majeure sans se référer au principe de précaution (CIJ, 25 septembre 1997, rôle général n°92)

S’agissant de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le principe de précaution n’apparaît en filigrane que dans les seules dispositions de l’accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires autorisant des clauses de sauvegarde provisoires s’agissant du commerce des denrées alimentaires. Mais en aucun cas un Etat ne saurait fonder une mesure de protection sur la base d’une incertitude scientifique.
Dans l’affaire de l’embargo adopté par l’Union européenne sur la viande aux hormones américaine et canadienne, l’organe d’appel de l’OMC a manifesté le même embarras que la CIJ : clairement invité à reconnaître au principe une valeur de règle coutumière générale du droit international ou de principe général de droit, il a jugé superflu et imprudent de prendre position sur cette “question importante mais abstraite”. S’il relève que l’accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires fait allusion au principe de précaution, il estime néanmoins que c’est la libre circulation des marchandises qui doit primer en l’absence de preuve scientifique des risques (rapport Kourilsky p58 et 71)
L’organe d’appel de l’OMC confirmera cette position dans deux autres espèces : l’une du 30 octobre 1998 concernant une décision d’embargo prononcée par l’Australie sur du saumon canadien, l’autre du 22 février 1999 au sujet de mesures restrictives prises par le Japon pour l’importation de certains produits agricoles (rapport Kourilsky p 72).

Le rapport 2005 du Conseil d’Etat (p.292) relève néanmoins un début de reconnaissance du principe de précaution en droit commercial international avec la signature, par 128 pays du protocole de Carthagène portant sur la prévention des risques biotechnologiques qui permet d’opposer le principe de précaution à l’importation d’OGM. Il reste que tous les pays membres de l’OMC, et non des moindres (dont les USA), ne sont pas signataires de ce protocole et que sa “conciliation avec les règles de l’OMC peut s’avérer délicate”...

  • Le principe de précaution en droit communautaire

Le principe de précaution a été introduit dans le droit communautaire par l’article 130 R paragraphe II du traité de Maastricht du 7 février 1992 (aujourd’hui l’article 174 du Traité des communautés européennes) en vertu duquel la politique de la communauté dans le domaine de l’environnement “est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur. Dans ce contexte, les mesures d’harmonisation répondant aux exigences en matière de protection de l’environnement comportent, dans les cas appropriés, une clause de sauvegarde autorisant les Etats membres à prendre, pour des motifs environnementaux non économiques, des mesures provisoires soumises à une procédure communautaire de contrôle”.
Des références au principe de précaution figuraient déjà dans le droit dérivé [(cité par le rapport 2005 du Conseil d’Etat p 297), dans la directive 90/219/CEE du Conseil, du 23 avril 1990, relative à l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés ;

et ont depuis été confirmées par :

> la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement qui définit des procédures et des critères communs d’évaluation des risques couplé à un “système indépendant de résolution des conflits”.

> le Règlement CE n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil Européen et du Conseil du 28 janvier 2002 qui institue l’autorité européenne de sécurité des aliments.

Le conseil européen de Nice, dans sa résolution du 4 décembre 2002, considère “qu’il y a lieu de recourir au principe de précaution dès lors que la possibilité d’effets nocifs sur la santé ou l’environnement est identifiée et qu’une évaluation scientifique préliminaire, sur la base de données disponibles, ne permet pas de conclure avec certitude sur le niveau de risque” (cité par le Rapport public du Conseil d’Etat 2005 p. 296).

  • La jurisprudence communautaire

La Cour de justice de la Communauté européenne (CJCE) et le Tribunal de première instance des communautés (TPI) se sont prononcés en faveur de l’application directe du principe de précaution.

> Filets maillants dérivants (CJCE 24 novembre 1993 cité par rapport Kourilsky p 59)

une société d’armement qui contestait un règlement interdisant la pêche dans l’Atlantique-Nord au moyen des filets maillants dérivants d’une longueur supérieure à 2km500, faisait observer qu’aucune menace pour les stocks de thon blanc n’avait été scientifiquement démontrée. L’avocat général lui avait opposé le principe de précaution. Si la Cour ne se réfère pas explicitement au principe pour débouter le demandeur, elle le met en œuvre : “les mesures de conservation des ressources de pêche ne doivent pas être pleinement conformes aux avis scientifiques et l’absence ou le caractère non concluant d’un tel avis ne doit pas empêcher le Conseil d’adopter les mesures qu’il juge indispensables pour réaliser les objectifs de la politique commune de la pêche”.

> Vache folle
(CJCE 5 mai 1998 C-180/96 et CJCE 5 mai 1998 C-157/96)

A la suite de la crise de la vache folle, un embargo avait été décidé par l’Union européenne sur la viande bovine britannique. Dans un premier temps le Royaume-Uni avait demandé, en référé, la suspension provisoire de cette mesure. Prononcée le 12 juillet 1996, l’ordonnance rendue par la Cour est sans équivoque : “la maladie de Creutzfled-Jakob et plus particulièrement la variante découverte récemment n’est encore qu’imparfaitement connue des scientifiques” mais “son caractère mortel a été rappelé au cours de l’audience(...). Vu le fait que l’explication la plus probable de cette maladie mortelle est une exposition à l’ESB, aucune hésitation n’est permise. Tout en admettant les difficultés d’ordre économique et social engendrées au Royaume-Uni par la décision de la commission, la Cour ne fait que reconnaître l’importance prépondérante à accorder à la protection de la santé”.

Les deux arrêts rendus sur le fond le 5 mai 1998 sont encore plus nets : “lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des protections sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soit pleinement démontrée”. Et la Cour de viser expressément l’article 130-R du traité de la communauté européenne devenu l’article 174 du traité d’Amsterdam. Cette décision est d’autant plus remarquée qu’elle fait application du principe de précaution dans le domaine de la santé alors même qu’il n’a été consacré dans les textes que s’agissant de l’environnement.

Pour autant la Cour de justice veille au respect du principe de proportionnalité et vérifie que le principe de précaution ne soit pas invoqué de manière abusive pour contourner les règles de libre circulation des marchandises : “il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés”. C’est d’ailleurs sur la base de ce principe que l’Union européenne a décidé, dès le 1er août 1999, une levée de l’embargo conditionnée au respect de certaines procédures. Estimant ces garanties insuffisantes sur la base d’un avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), le gouvernement français estimait ne pas être en mesure de lever l’embargo ce qui lui a valu une condamnation par la Cour de justice (CJCE 13 décembre 2001, C-1/00).

> Huiles solaires à l’essence de bergamote (TPI 16 juillet 1998, T.199/96)

Un fabricant demandait réparation de son préjudice résultant d’une directive limitant la proportion autorisée d’une molécule composant l’essence de bergamote dans les huiles solaires. Cette directive faisait suite à un débat scientifique controversé où certaines études dénonçaient le caractère cancérigène de cette substance. Le tribunal à cette occasion fait sienne la position de la Cour de justice : “lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des consommateurs, les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées”.

> Compléments nutritionnels (CJCE 2 décembre 2004 C-41/02)

La législation hollandaise restreignait l’importation de produits alimentaires enrichis de vitamines ou de sels minéraux. La Cour de justice reconnaît à l’Etat le droit d’invoquer le principe de précaution mais rappelle que les mesures prises doivent être proportionnées au risque :

“Le droit communautaire ne s’oppose donc pas, à ce que la réglementation d’un Etat membre, en application du principe de précaution, interdise, sauf autorisation préalable, la commercialisation de denrées alimentaires lorsque des substances nutritives autres que celles dont l’adjonction est déclarée licite par ladite réglementation, y ont été ajoutées. En effet, il ressort de l’article 130 R du traité CE (devenu, après modification, article 174 CE) que la protection de la santé des personnes relève des objectifs de la politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement, que cette politique, qui vise un niveau de protection élevé, se fonde, entre autres, sur le principe de précaution et que les exigences de cette politique doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des autres politiques de la Communauté. En outre, il découle de la jurisprudence de la Cour que le principe de précaution a également vocation à s’appliquer dans la politique de protection de la santé humaine, qui, selon l’article 129 du traité CE (devenu, après modification, article 152 CE), vise pareillement à atteindre un niveau élevé de protection.

Toutefois, en exerçant leur pouvoir d’appréciation relatif à la protection de la santé publique, les Etats membres doivent respecter le principe de proportionnalité. Les moyens qu’ils choisissent doivent donc être limités à ce qui est effectivement nécessaire pour assurer la sauvegarde de la santé publique ; ils doivent être proportionnés à l’objectif ainsi poursuivi, lequel n’aurait pas pu être atteint par des mesures restreignant d’une manière moindre les échanges intra-communautaires (...)

Il doit être admis qu’un Etat membre peut, en vertu du principe de précaution, prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Toutefois, l’évaluation du risque ne peut pas se fonder sur des considérations purement hypothétiques. Une application correcte du principe de précaution présuppose, en premier lieu, l’identification des conséquences potentiellement négatives pour la santé de l’adjonction proposée de substances nutritives, et, en second lieu, une évaluation globale du risque pour la santé fondée sur les données scientifiques disponibles les plus fiables et les résultats les plus récents de la recherche internationale.

Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour la santé publique persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives, sous réserve qu’elles soient non discriminatoires et objectives”. En l’espèce le gouvernement hollandais n’ayant “produit aucune étude scientifique concluant que tout dépassement de l’apport journalier recommandé pour l’une ou l’autre des six substances nutritives en cause, quelle qu’en soit l’importance, entraîne un risque réel pour la santé publique”, les mesures restrictives à l’importation sont jugées illégales. En effet “une substance nutritive déterminée peut ne pas répondre à un besoin nutritionnel, parce que la ration alimentaire moyenne fournit déjà l’apport journalier recommandé en cette substance nutritive, sans que sa commercialisation entraîne un dépassement du plafond toxicologique au-delà duquel il y a, en l’état actuel des connaissances scientifiques, un risque réel pour la santé publique”.

C’est ce qu’avait déjà jugé la Cour dans une affaire identique pour des mesures restrictives prises les gouvernements danois (CJCE 23/09/2003 C192-01) et français (CJCE 5 février 2004, C-24/00)

> OGM (CJCE 9 septembre 2003 C236-01)

Le gouvernement italien contestait l’application de la procédure simplifiée pour la mise sur le marché de produits contenant de résidus de protéines transgéniques. Là encore la Cour rappelle que si la clause de sauvegarde permet, sur la base du principe de précaution, aux Etats membres d’apporter des restrictions à l’importation d’un produit, encore faut-il que soit respecté le principe de proportionnalité sur la base préalable d’une “évaluation des risques aussi complète que possible”.

  • Loi Barnier et Charte de l’environnement

En droit interne, il est fait référence pour la première fois référence au principe de précaution dans la loi Barnier 95-101 du 2 février 1995 (article L110-1 du code de l’environnement) qui dispose que les politiques de l’environnement s’inspirent du principe de précaution “selon lequel l’absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable”. Cette définition se rapproche de celle retenue par la conférence de Rio à la nuance près que la mise en œuvre du principe de précaution suppose en droit interne l’existence d’un risque “de dommages graves ET irréversibles à l’environnement” (alors que la conférence de Rio visait les dommages graves OU irréversibles). C’est dire qu’en droit interne la crainte d’un dommage grave mais non irréversible, ou un dommage irréversible mais de faible gravité, n’est pas suffisant pour déclencher la mise en œuvre du principe de précaution, au demeurant limité au domaine de l’environnement.

En outre la valeur normative du principe, telle qu’il résulte de la loi Barnier, est incertaine. Tout au plus est-il précisé que le principe doit “inspirer” la législation de l’environnement.

L’incorporation controversée du principe de précaution dans la charte de l’environnement(Texte adopté le 28 Février 2005 par le Parlement réuni en Congrès et promulgué le 1er Mars 2005) désormais visé par le préambule de la constitution (au même titre que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et que le préambule de la Constitution de 1946), est d’une toute autre portée : désormais intégré au bloc de constitutionnalité, le principe pourra être soumis au contrôle du juge constitutionnel (pour une première application par le Conseil constitutionnel : décision 2005-514 DC du 28 avril 2005) où des parlementaires ont soulevé, en vain, que la loi relative à la création du registre international français organisaient en faveur des armateurs le moins disant social préjudiciable à la sécurité maritime et donc à la protection de l’environnement tel que garanti par la Charte)

Quant à la définition retenue, elle supprime la référence à la notion de “coût économiquement acceptable” et impose aux pouvoirs publics, outre l’adoption de “mesures provisoires et proportionnées”, la mise en œuvre de “procédures d’évaluation des risques” :

“ Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage”.

Plusieurs remarques ont été formulées sur cette définition :
 il est relevé que le principe de précaution, tel que consacré dans la charte de l’environnement, s’impose aux seules autorités publiques et non aux particuliers et aux industriels ;
 son champ d’action est limité au domaine de l’environnement ;
 enfin “les termes par application du principe de précaution laissent planer un doute sur l’existence d’autres attributs de ce principe” (Rapport public du Conseil d’Etat 2005, Responsabilité et socialisation du risque, La documentation française, p. 280).

  • Vers un retour de la responsabilité pour faute ?

Le principe de précaution est essentiellement invoqué dans des contentieux de la légalité dans le cadre de recours pour excès de pouvoir dirigés contre des arrêtés (un contrôle classique est exercé sur la légalité externe quant au respect des procédures ; s’agissant de la légalité interne sur le bien fondé de la décision, le juge contrôle l’erreur manifeste d’appréciation quant à l’existence du danger et un contrôle de proportionnalité sur les mesures prises). Le contentieux de l’urgence, via des demandes en référé de suspension d’une décision menaçant de façon grave et immédiate un intérêt public, peut aussi constituer un terreau favorable au principe.

En revanche le contentieux de la responsabilité ne semble pas, pour l’heure, se développer même si, comme le relève le rapport Kourilsky (p.86), on peut envisager à l’avenir des actions de ce chef non seulement en cas d’insuffisance de précaution mais aussi en cas d’excès de précaution (cas par exemple d’un fabricant qui demanderait à être indemnisé d’un retrait abusif d’un produit). D’aucuns pronostiquent à cet égard le retour de la faute dans le droit de la responsabilité, tandis que d’autres objectent que le principe de précaution est le terrain de prédilection de la responsabilité pour risques (sur le sujet voir développements consacrés par le rapport Kourilsky p 81 à 84)

Dans son rapport 2005 (p.284), le Conseil d’Etat relève : « on voit bien les risques d’une démarche systématique de la carence fautive : une conception trop large d’une telle carence consacrerait l’interprétation maximaliste du principe de précaution, transformé en principe rétrospectif qui conduirait à condamner tout comportement qui n’aurait pas choisi l’interdiction ou l’abstention face à un risque.

Il n’est toutefois pas évident d’anticiper l’interprétation que les juges feront de la définitions d’obligations positives par l’article 5 de la Charte de l’environnement quand ils auront à l’appliquer. Un déplacement de la ligne de partage entre la responsabilité pour risque et la responsabilité pour faute ne peut être exclu. Le juge pourrait ainsi sanctionner à l’avenir le défaut de précaution, en qualifiant de fautives des décisions ayant entraîné des dommages qui ne pouvaient être précisément anticipés mais dont la probabilité était importante. Cette démarche ne serait pas sans fondement et s’inscrirait dans le mouvement d’extension du champ de la faute lié à la multiplication des obligations pesant sur le décideur. Lorsque le juge aura considéré qu’une autorité administrative a méconnu le principe de précaution, il lui sera difficile d’écarter ensuite l’idée d’une responsabilité.

Certains auteurs voient dans le principe de précaution la solution pour restaurer le sens des responsabilités : face à des situations où existeraient des soupçons de risque, ne conviendrait-il pas d’établir une distinction entre celles où des mesures ont été prises pour développer les recherches ou diminuer l’occurrence de dommages, et celles, les seules visées par un défaut de précaution, où aucune mesure n’ayant été prise, le dommage résulte d’une carence fautive. “Ce qui relevait auparavant du fatalisme peut désormais relever de la carence fautive” (Marie-Angèle Hermitte, Le sang et le droit. Essai sur la transfusion sanguine, seuil, 1996). Une telle évolution n’irait cependant pas sans difficultés et dangers. L’établissement d’un lien de causalité entre le fait et le dommage serait particulièrement délicat et ouvrirait la voie à de longues batailles d’experts. De façon générale, le juge se trouvera confronté à la difficulté de l’expertise : pour juger ou non du défaut de précaution, exercice rendu particulièrement délicat par le décalage entre le risque virtuel et le risque avéré ; pour évaluer les dommages subis. Pour les risques diffus, tels que les risques environnementaux, la causalité serait “distendue” et l’écoulement d’un temps long avant l’apparition du dommage poserait la question de la prescription ».

  • Jurisprudence administrative

Une étude de la jurisprudence administrative montre toute l’étendue des déclinaisons possibles du principe de précaution. Si peu de ces décisions concernent des arrêtés pris des collectivités locales (essentiellement arrêtés anti-OGM ou décisions d’urbanisme relatives à l’implantation d’antenne de téléphonie mobile), il reste que les autres espèces sont aussi riches d’enseignements sur la méthode d’approche du juge administratif.

> Périmètre de protection d’un captage d’eau (CE 4 janvier 1995 N° 94967)

La doctrine estime que c’est par un arrêt Rossi du 4 janvier 1995 (soit avant même l’adoption de la loi Barnier) que le Conseil d’Etat a, pour la première fois, implicitement mis en œuvre le principe de précaution. Saisi de la contestation du périmètre de protection rapprochée d’un captage d’eau dans une commune de l’Hérault, le Conseil d’Etat a confirmé le jugement du TA de Montpellier ayant estimé le périmètre insuffisant et annulé en conséquence « l’arrêté de déclaration d’utilité publique. Les magistrats ont effet estimé que le fait que le test d’infiltration à la fluorescéine n’ait pas permis de confirmer de tels risques ainsi que le fait que le rapport hydrogéologique prévu par l’article 4.1 du décret du 1er août 1961 précité n’ait pas estimé que le périmètre de protection rapprochée était insuffisant ne sont pas de nature à démontrer, à eux seuls, l’absence de nécessité d’élargir le périmètre de protection rapprochée en cause afin de garantir la qualité des eaux. »

> OGM

 L’association Greenpeace-France demande le sursis à exécution d’un arrêté du 5 février 1998 ayant permis l’inscription au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France de trois variétés de maïs transgénique. Si le Conseil d’Etat n’avait pas à se prononcer sur le fond, il devait néanmoins apprécier s’il existait un moyen sérieux d’annulation. Alors que les magistrats auraient pu se contenter de relever le vice de forme (commission d’étude ayant émis un avis sur la base d’un dossier incomplet) ils se réfèrent explicitement au principe de précaution introduit par la loi Barnier et incorporé alors dans l’article 200-1 du Code rural pour faire droit à la requête de l’association eu égard "à la nature des conséquences que l’exécution de l’arrêté attaqué pourrait entraîner".
Cet arrêt est d’autant plus remarquable que le commissaire du Gouvernement avait, pour sa part, invité le Conseil d’Etat à ne pas reconnaître au principe la valeur d’une règle de droit d’application directe et à ne pas se référer à l’article 200-1 du code rural.

CE 25 septembre 1998 N° 194348

 Saisi par plusieurs associations qui contestaient la régularité d’autorisation de mise en culture d’une variété de maïs transgénique, le Conseil d’Etat ne relève aucune violation du principe de précaution dès lors "que les autorités communautaires ont examiné les risques liés aux semences en cause après consultation de comités scientifiques placés auprès d’elles".
CE 22 novembre 2000 n° 194348 195511 195576 195611 195612

 En juin 2000 le gouvernement français fait savoir, par communiqué de presse, qu’il a refusé de détruire des cultures de maïs issues de semences traditionnelles parmi lesquelles les services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes avaient détecté la présence d’organismes génétiquement modifiés et qu’il a engagé les professionnels concernés à étiqueter en conséquence les récoltes issues de ces cultures et à détruire les semences contenant l’un des organismes génétiquement modifiés dont la présence avait été détectée. Greenpeace conteste cette position en réclamant, sur la base de la violation de la procédure d’autorisation de mise sur le marché et du principe de précaution, la destruction de toute la culture.

Le Conseil d’Etat ne suit pas cette argumentation et valide la position du gouvernement français. Il relève en effet "qu’eu égard au caractère involontaire et fortuit de la présence d’organismes génétiquement modifiés dans les semences importées par la société Golden-Harvest-Zelder, et à la très faible proportion de cette présence, qui est de l’ordre de 2 pour mille, la décision de ne pas détruire les cultures issues de ces semences ne peut, dans les circonstances de l’espèce, être regardée comme une décision autorisant la mise en culture de variétés contenant des organismes génétiquement modifiés". Quant à l’application du principe de précaution, le Conseil d’Etat concède que l’une des trois variétés de maïs génétiquement modifiée dont la présence avait été constatée, n’avait pas fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché français. Pour autant, il considère que l’avis favorable émis par la communauté européenne pour sa mise sur le marché, mise en _uvre par le Royaume-Uni, était une preuve suffisante de son innocuité et ce quand bien même cette mise sur le marché, en France, avait été suspendue sur avis de l’agence française de sécurité sanitaire des aliment. Et le Conseil d’Etat d’en conclure que "compte tenu de la très faible proportion de maïs issue de l’espèce BT 11 dans les cultures litigieuses et de l’absence de risque précisément identifié lié à la mise en culture de cette variété (...) alors même que la culture de l’un e des variétés génétiquement modifiées contenues dans les lots de semences en cause n’était pas autorisée, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en s’abstenant de prononcer la destruction des cultures litigieuses, l’auteur de l’acte attaqué ait commis une erreur manifeste dans l’appréciation des risques, ni qu’il ait pris une décision disproportionnée aux risques ainsi appréciés et méconnu le principe de précaution"
CE 1 octobre 2001 N° 225008

 Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les arrêtés municipaux interdisant la culture d’OGM sur le territoire de la commune soit systématiquement annulés. Tel est le cas non seulement des arrêtés posant une interdiction générale, mais également de ceux qui limitent cette interdiction à un périmètre de protection de cultures biologiques. C’est ce qu’a par exemple jugé le Tribunal administratif de Toulouse le 18 janvier 2005, n°042388 (Jurisclasseur - Droit administratif mai 2005) par assimilation des règles relatives aux installations classés : le maire ne peut s’immiscer dans le pouvoir de police spécial appartenant en l’espèce au ministère de l’agriculture qu’en cas de danger grave ou imminent au sens des dispositions de l’article L2212-4 du Code général des collectivités territoriales

. C’est, semble-t-il, à la même analyse à laquelle s’est livré le Tribunal administratif de Poitiers en juin 2005.

Pour sa part, le Tribunal administratif de Pau (TA Pau 6 avril 2005, Journal des accidents et catastrophes n°55 juin 2005, note de Hervé Arbousset, maître de conférences à l’UHA, membre du Cerdacc)
a annulé une délibération par laquelle un conseil général, se déclarant opposé à tous les essais et à toutes les cultures d’OGM, invitait les maires du département à prendre des arrêtés d’interdiction et leur proposait une assistance dans l’hypothèse de recours contentieux. Le tribunal relève en effet que "s’il ne peut être exclu que les maires puissent, sans excéder leurs compétences, réglementer sur le territoire de leur commune la dissémination d’OGM (...) dans la mesure où les polices édictées se fonderaient sur l’urgente nécessité de faire face à des risques graves et caractérisés, les autorités départementales, ne disposent en revanche d’aucune compétence pour agir directement en la matière ou, même, par la voie d’un v_u adressé aux autorités municipales compétentes".

> Stockage d’uranium appauvri

Un arrêté préfectoral autorisant la COGEMA à exploiter, sur un site industriel, un entreposage d’oxyde d’uranium appauvri est attaqué par une association locale de protection de l’environnement. Celle-ci conteste également la délibération du conseil municipal ayant donné un avis favorable à l’installation de l’entrepôt en cause sur son territoire.

Dans un premier temps, le tribunal administratif de Limoges, annule l’arrêté et condamne la COGEMA au versement de dommages-intérêts. Mais la Cour d’appel de Bordeaux annule ce jugement en relevant que "le principe de précaution mentionné à l’article L.200-1 du code rural, qui n’a pas été méconnu en l’occurrence, n’implique pas que des normes d’application future soient anticipées" et que "l’association ne peut se prévaloir des limites fixées par la directive 96/29 EURATOM du conseil des communautés européennes du 13 mai 1996, dont le délai de transposition n’est pas expiré".

Ainsi est-il clairement affirmé que le principe de précaution n’implique pas d’anticiper sur les législations futures. Affirmation qui prend d’autant plus de valeur, en l’espèce, que la réglementation française devait évoluer sous l’impulsion d’une directive communautaire non encore transposée.
(CAA Bordeaux 5 novembre 1998 N° 98BX01320)

> Ligne à très haute tension

Une association locale attaque un arrêté ministériel déclarant d’utilité publique un projet de ligne à très haute tension et approuvant les nouvelles dispositions des plans d’occupation des sols des communes concernées. Le conseil d’Etat, pour débouter les requérants, relève "qu’il ressort des pièces du dossier que l’atteinte aux paysages et aux sites ainsi qu’au patrimoine culturel, à la flore et à la faune ou au cadre de vie et au développement touristique de la zone intéressée n’est pas, compte tenu notamment des mesures prises pour la limiter et satisfaire aux exigences du principe de précaution énoncé à l’article L. 200-1 du code rural, de nature à retirer à l’ouvrage son caractère d’utilité publique" et "qu’il n’appartient pas au juge de l’excès de pouvoir d’apprécier l’opportunité de la décision d’Electricité de France de ne pas procéder à l’enfouissement total ou partiel de la ligne".

Cette affaire peut être rapprochée d’une autre jugée en Grande-Bretagne (cité par le Rapport Kourilsky p 60) opposant, en 1995, le gouvernement britannique à des parents d’enfants leucémiques qui lui reprochaient de ne pas s’être opposé à la pose de câbles électriques dans un quartier de Londres. Les demandeurs s’appuyaient sur l’hypothèse évoquée par certains scientifiques de l’effet cancérigène des champs électromagnétiques émis par les lignes à haute-tension. Les juridictions britanniques déboutent les requérants en considérant que le principe de précaution n’avait pas d’application directe en Angleterre.

Le résultat est le même, mais l’approche est différente : tandis que le Conseil d’Etat considère, compte-tenu des éléments de l’espèce, que le principe de précaution n’a pas été méconnu, la juridiction britannique dénie au principe toute portée juridique.
(CE 28 juillet 1999 n°184268)

> Vache folle
 

Le conseil d’Etat (CE 21 avril 1997 n°180274) rejette la requête en annulation d’un arrêté ministériel suspendant pour un an la commercialisation d’un médicament à base de tissus bovins : "en estimant, à la date d’intervention de l’arrêté attaqué et compte tenu des précautions qui s’imposent en matière de protection de la santé publique, que la fabrication, l’importation, la mise sur le marché et l’utilisation du produit Artecoll-Arteplast contenant du collagène bovin et utilisé sur le corps humain, devaient être suspendues pour une durée d’un an, les signataires de l’arrêté du 28 mars 1996 n’ont pas entaché leur décision d’une appréciation manifestement erronée au regard des dispositions combinées des articles L. 221-5 et L. 221-8 du code de la consommation".

Par cet arrêt la juridiction administrative reconnaît ainsi implicitement que le domaine d’application du principe de précaution n’est pas limité, comme le laisse l’entendre les textes, au domaine de l’environnement, mais s’applique aussi à celui de la santé publique.

Cette position sera par la suite confirmée s’agissant :
 d’un arrêté similaire interdisant l’emploi de certains tissus d’origine bovine dans les aliments pour bébés (CE 24 février 1999 n°192465)
 :« Considérant qu’il résulte des pièces du dossier que de nouvelles données scientifiques font état d’une possible transmission de l’agent de l’E.S.B. au mouton ; qu’en outre, comme l’a relevé notamment le comité d’experts sur les encéphalopathies subaiguës sponfigormes transmissibles, si la "transmission placentaire" de l’agent de l’E.S.B. ne semble pas être constatée à ce jour, il n’est pas possible cependant de conclure avec certitude sur ce point ; qu’en décidant au vu de ces éléments, et eu égard aux mesures de précaution qui s’imposent en matière de santé publique, d’édicter les interdictions faisant l’objet du décret attaqué, qui s’appliquent à des aliments destinés à des enfants en bas âge ainsi qu’à des compléments alimentaires qui peuvent contenir de s quantités élevées des tissus en cause, le Premier ministre n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. »

 d’un arrêté interdisant la commercialisation de médicaments homéopathiques fabriqués à partir de souches d’origine humaine (CE 30 juin 1999 N° 202814) :
« Considérant qu’en estimant, compte tenu des précautions qui s’imposent en matière de protection de la santé publique, que la prescription, l’importation, la fabrication, la préparation, la distribution en gros, le conditionnement, l’exploitation, la mise sur le marché, la publicité, la délivrance au détail, à titre gratuit ou onéreux, et l’utilisation des médicaments homéopathiques ci-dessus mentionnés et des souches servant à leur fabrication, devaient être interdits, eu égard au risque de transmission de virus conventionnels et d’agents pathologiques non conventionnels présenté par les produits biologiques d’origine humaine dont il s’agit, l’auteur de l’arrêté du 28 octobre 1998 n’a pas entaché sa décision d’une appréciation manifestement erronée, au regard des dispositions de l’article L. 665-15-1 du code de la santé publique. »

En revanche le Conseil d’Etat (CE 24 novembre 2003 n°221747) suivra la position de la CJCE et annule la décision française de refus d’appliquer la levée de l’embargo sur le bœuf britannique.

> Insecticide Gaucho
 Saisie d’une requête en annulation contre un arrêté retirant l’autorisation de mise sur le marché de l’insecticide Gaucho pour la culture du Tourneol, le Conseil d’Etat déboute les requérants et relève "qu’en estimant, après avoir eu connaissance des diverses études effectuées en laboratoire et sur le terrain au cours de l’année 1998 concernant les effets de l’insecticide "Gaucho" sur les abeilles, ainsi que des avis exprimés par la commission d’étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et du comité d’homologation, que l’autorisation de ce produit pour le traitement des semences de tournesol devait être "retirée provisoirement" et la mise en culture de ces semences interdite, le ministre de l’agriculture et de la pêche, compte tenu des précautions qui s’imposent en matière de protection de l’environnement, n’a pas entaché la décision attaquée d’erreur manifeste d’appréciation".
CE 29 décembre 1999 N° 206687 207303

 En revanche s’agissant des cultures de maïs et de betterave, le ministre de l’Agriculture refuse de retirer l’insecticide Gaucho. Sa décision est cette fois attaquée par l’Union nationale de l’apiculture. Le conseil d’Etat, se livrant à une appréciation au cas par cas, distingue le cas du maïs de celui de la betterave. S’agissant du maïs, le Conseil d’Etat, relève que le phénomène de dépopulation des ruches et de la diminution de production de miel se sont poursuivis après l’arrêté ministériel suspendant l’autorisation de mise sur le marché de l’insecticide pour le traitement des semences de Tournesol. En conséquence, poursuit le Conseil d’Etat, « il incombait au ministre (...) au vu de ces éléments nouveaux, de procéder au réexamen des causes possibles de ces troubles, en particulier de celles qui pourraient être liées aux utilisations encore autorisées du Gaucho". Et les magistrats d’en conclure "qu’en ne prenant pas en compte la fréquentation du maïs par les abeilles aux fins d’y prélever le pollen, que cette plante produit en abondance, et en ne recherchant ni l’ampleur exacte du prélèvement du pollen de maïs par les abeilles, ni la nature et l’intensité des éventuels effets directs ou indirects du contact des abeilles avec du pollen contaminé par l’imidaclopride, le ministre n’a pas examiné l’intégralité des éléments nécessaires à l’appréciation de l’innocuité du produit" et "que sa décision, en tant qu’elle concerne le maïs, doit par suite être regardée comme entachée d’une erreur de droit. »
S’agissant des semences de betterave, l’union nationale des apiculteurs relevait que le traitement pouvait laisser des traces de produits plusieurs années contaminant les cultures successives. Pour débouter le requérant sur ce point, le Conseil d’Etat prend appui sur une étude conjointe de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, du Centre national de la recherche scientifique et de l’Institut national de la recherche agronomique dont il ressort que la proportion résiduelle constatée dans les cultures « est très inférieure au seuil de dangerosité de l’imidaclopride pour les abeilles tel qu’il est actuellement connu. »

Le ministre de l’Agriculture s’incline et prend, après étude, un arrêté de suspension de l’utilisation de gaucho pour les semences de maïs, ce que valide le Conseil d’Etat sur recours du fabricant (CE 22 juillet 2004 n° 269104) dès lors que « la commission d’études de la toxicité a indiqué que le risque pour les abeilles résultant du traitement des semences de maïs par le gaucho , tout en étant moins important que celui qui résulte de l’enrobage des semences de tournesol, reste préoccupant. »

> Jouets en PVC souple

Le conseil d’Etat rejette le recours en annulation contre un arrêté interdisant l’utilisation de certaines substances dans la fabrication de produits de puériculture et de jouets pour enfants. Le Conseil d’Etat relève :
 qu’il ressort des pièces du dossier que plusieurs évaluations scientifiques récentes concernant les phtalates "Di-éthyl-hexyl phtalate (DEHP)" et "Di-iso-nonyl phtalate (DINP)" qui sont ajoutés au polychlorure de vinyle (P.V.C.) pour rendre le plastique souple ont conclu aux effets nuisibles de ces deux substances sur la santé des jeunes enfants, essentiellement par migration des phtalates dans la salive lors de la mise en bouche prolongée des jouets et des articles de puériculture fabriqués en P.V.C. souple, et sur le caractère potentiellement dangereux de quatre autres phtalates ;
 « qu’en estimant, compte tenu des mesures de précaution qui s’imposent en matière de protection de la santé publique, que la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché des "jouets et articles de puériculture destinés à être mis en bouche par des enfants de moins de trois ans, notamment les anneaux de dentition, les hochets de puériculture, fabriqués en P.V.C. souple » contenant les substances incriminées, devaient être suspendues pour une durée d’un an et lesdits articles retirés du marché, eu égard au risque que présente la migration des phtalates dans la salive des enfants de moins de trois ans, les auteurs de l’arrêté attaqué n’ont pas fait une appréciation manifestement inexacte de la gravité du danger présenté par les jouets et les articles de puériculture contenant ces substances pour la santé des jeunes enfants, non plus que de son caractère immédiat (...) ;
 « que la mesure édictée n’est pas disproportionnée au regard des risques que représentent les produits considérés pour la santé des jeunes consommateurs. »
(CE 28 juillet 2000 N° 212115 212135)

> Antenne de téléphonie mobile
CE 22 août 2002 n° 245 622, 245623, 2456324, 245 625, 245 626 et 245 627

Les maires de deux communes du Sud-est s’opposent à l’implantation d’antennes de téléphonie mobile. Saisi en référé par la société SFR d’une requête de suspension de cette décision de refus, le Conseil d’Etat fait droit à la requérante au motif :
 « que le rapport établi par un groupe d’experts et remis au directeur général de la santé au mois de janvier 2001 ne retenait pas l’hypothèse de risques pour la santé résultant des installations de base et précisait que les mesures de précaution préconisées, qui ne devaient pas être comprises comme validant l’existence de ces risques, étaient seulement destinées à rassurer la population » ;
 « qu’eu égard, d’une part, à l’intérêt qui s’attache à la couverture du territoire par le réseau de téléphonie mobile et, d’autre part, aux intérêts de la SOCIETE SFR, résultant notamment des autorisations qui lui ont été délivrées, et en l’absence de risques sérieux prouvés pour la santé publique, l’urgence justifie la suspension de la décision attaquée. »
En conséquence les maires des communes concernées sont tenus, sous astreinte, d’instruire les demandes de permis de construire dans un délai de 15 jours.

 Invoquant le principe de précaution, le maire de Dijon interdit l’implantation d’une station de radiofréquences de téléphonie mobile dans un rayon de moins de 100 mètres d’une zone sensible. La Cour administrative de Lyon (CAA Lyon 17 juin 2004 n°02LYO2333) reconnaît compétence au maire pour user de son pouvoir de police général du fait de la carence du détenteur du pouvoir de police spécial (avant l’intervention du décret susvisé n° 2002-775 du 3 mai 2002), « pour prendre les précautions convenables qu’appelaient les risques liés à l’exposition du public aux champs électromagnétiques émis par des stations de radiofréquences de téléphonie mobile implantées sur le territoire de la commune. »

Il considère néanmoins que le maire a commis une erreur manifeste d’appréciation dès lors :
 « qu’en l’état des connaissances scientifiques, il n’apparaît pas que les installations de téléphonie mobile auraient des effets dits non thermiques dangereux pour la santé publique et que dans la limite de ces seuils, aucune des études réalisées ne met en évidence l’existence de dangers avérés pour l’organisme humain » ;
 « que si lesdites études formulent des conseils de prudence en ce qui concerne les effets thermiques susceptibles d’être provoqués par les champs électromagnétiques émis par les téléphones portables, elles écartent tout risque de cette nature pour les populations situées dans le faisceau des antennes des stations de radiofréquences. »

 Une association locale d’administrés attaque la décision du maire d’une commune de laisser implanter une antenne de téléphonie mobile sur le territoire de la commune. Leur requête est rejetée en première instance mais la Cour administrative d’appel de Marseille considère que le maire « en ne s’opposant pas à ces travaux, a méconnu le principe de précaution alors énoncé à l’article L. 200-1 du code rural et désormais repris à l’article L. 110-1 du code de l’environnement ». Le Conseil d’Etat (CE 20 avril 2005 N° 248233) infirme la décision des juges d’appel en considérant pour sa part que « ces dispositions ne sont pas au nombre de celles que doit prendre en compte l’autorité administrative lorsqu’elle se prononce sur l’octroi d’une autorisation délivrée en application de la législation sur l’urbanisme » et « que le moyen tiré de ce que le maire de Cagnes-sur-Mer aurait dû s’opposer, sur le fondement du principe de précaution, aux travaux déclarés par la SOCIETE BOUYGUES TELECOM, doit être écarté ».

> Huiles solaires
Nous avons vu que le recours introduit par un fabricant d’huile solaire à l’essence de bergamote avait été rejeté par les juridictions communautaires. Un autre tenta sa chance devant les juridictions nationales en recherchant la responsabilité de l’Etat pour publication au journal officiel de l’avis la commission de la sécurité des consommateurs émettant un doute sur l’innocuité du produit. Dans un premier temps, la Cour administrative d’appel de Paris fait droit à cette demande indemnitaire et condamne l’Etat à verser plus de 23 000 000 francs. Le conseil d’Etat (CE 31 mars 2003, N° 188833) annule cette condamnation en considérant que l’Etat n’a pas commis de faute compte-tenu des "connaissances scientifiques de l’époque" :
 « de nombreuses études et publications scientifiques ont, à partir de 1981, fait état de risques pour la santé des consommateurs engendrés par les produits solaires contenant des psoralènes et notamment du 5-MOP (...) »
 « ces faits justifiaient que la commission de la sécurité des consommateurs se saisisse de cette question" et "qu’en recommandant l’interdiction de tels produits, cette commission, en l’état des connaissances scientifiques de l’époque, n’a pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat. »
 « en confirmant cet avis en 1995, alors même que son avis du 17 septembre 1986 n’avait été suivi d’aucune interdiction ou limitation de l’emploi des psoralènes dans les produits solaires et que le conseil supérieur de l’hygiène publique en France avait émis en 1993 un avis plus favorable à ces produits, la commission de la sécurité des consommateurs n’a pas davantage commis de faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat » ;
 « d’ailleurs, à la suite de plusieurs demandes d’organismes et de personnalités scientifiques et sanitaires français et étrangers, une directive du Conseil des communautés européennes du 10 juillet 1995, toujours en vigueur, a limité la présence des psoralènes et notamment du 5-MOP à un niveau très bas, très nettement inférieur aux teneurs des mêmes substances dans les produits B. »

> Amiante

Dans l’affaire de l’amiante, le Conseil d’Etat (CE 3 mars 2004 N° 241153) ne se place sur le terrain du principe de précaution. Il faut dire que le danger lié à l’exposition aux poussières d’amiantes est identifié depuis longtemps (dès le début du 20è siècle un inspecteur du travail l’avait relevé dans un rapport d’inspection) et que, s’agissant d’un risque connu et identifié, c’est une manque au devoir de prévention qui est explicitement sanctionné. Cependant, il faut relever que pour condamner l’Etat, le Conseil d’Etat approuve les premiers juges d’avoir retenu comme élément à charge le fait "qu’aucune étude n’a été entreprise avant 1995 pour déterminer précisément les dangers que présentaient pour les travailleurs les produits contenant de l’amiante alors pourtant que le caractère hautement cancérigène de cette substance avait été confirmé à plusieurs reprises et que le nombre de maladies professionnelles et de décès liés à l’exposition à l’amiante ne cessait d’augmenter depuis le milieu des années cinquante".
Faut-il y voir là les germes d’actions futures en responsabilités lorsque l’autorité publique n’aura pas entrepris des études sur la réalité d’un danger ?

> Chasse aux oiseaux de passages, aux gibiers d’eau et au... loup

Plusieurs associations de protection de l’environnement invoque "le principe de précaution constitutionnellement garanti" pour contester, en référé, les dates d’ouverture de la chasse aux oiseaux de passages et aux gibiers d’eau en 2005. Le Conseil d’Etat (CE 3 août 2005 n°283104) distingue le cas des limicoles pour lesquels le principe de précaution ne s’oppose pas à l’ouverture anticipée de la chasse du cas des canards qui compte-tenu "des données scientifiques actuellement disponibles (...) s ont encore, au mois d’août, en période de reproduction ou de dépendance".

Dans une espèce similaire, le Conseil d’Etat (CE 30 mars 2005 n° 249066) avait refusé de se prononcer sur le moyen tiré de manquement au principe de précaution dès lors que le requérant ne précisait pas suffisamment en quoi le principe aurait été violé.

En tout état de cause l’introduction du principe de précaution dans la Constitution ne semble pas avoir eu d’influence sur la méthode d’analyse du Conseil d’Etat. C’est toujours par une étude circonstanciée de l’espèce, prenant en compte les données scientifiques disponibles, que le Conseil contrôle si l’autorité publique n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

C’est à la même appréciation à laquelle s’est livrée le Conseil d’Etat dans plusieurs affaires concernant l’autorisation donnée pour des prélèvements de loups (CE 30 mars 2005 271216, CE 10 juin 2005 n°280890 et CE 21 juillet 2005 n°281856)

> Pollution de rivière

La Province de la Hollande septentrionale et la ville d’Amsterdam demandent à l’Etat français une indemnisation du préjudice causé par « le retard mis à diminuer les rejets de sel dans le Rhin provenant des Mines de Potasse d’Alsace » ayant entraîné, selon les requérants, un surcoût d’exploitation et de maintenance provoqué par une corrosion plus rapide des réseaux de distribution. Invoquant le principe de précaution, ils estiment que celui-ci induit une inversion de charge de la preuve et que c’est à l’Etat français de démontrer l’innocuité de ces rejets. Les requérants obtiennent gain de cause devant le tribunal de Strasbourg qui condamne l’Etat français à leur verser plus de 20 000 000 Francs. Si la Cour administrative d’appel de Nancy (CAA Nancy 21 mars 2005 n°00NC00733), ne se prononce pas expressément sur le principe de précaution, elle considère que le tribunal « a commis une erreur de droit en faisant supporter au défendeur la charge de la preuve de l’absence de lien de causalité entre les dommages allégués et les déversements litigieux ». On peut ainsi implicitement déduire de cet arrêt que le principe de précaution n’entraîne pas de renversement de charge de la preuve.

> Engrais au nitrate d’ammonium

A la suite de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, un arrêté suspend pour un an la commercialisation d’engrais contenant plus de 28% d’azote provenant de nitrate d’ammonium. Le Conseil d’Etat (CE 25 octobre 2004 n°251930) fait droit à la demande des requérants demandant l’annulation de cet arrêté en relevant :
 « qu’il ressort des pièces du dossier que les dangers potentiels associés à ce type d’engrais composés à haute teneur en azote (...) ainsi que les précautions permettant d’éviter la réalisation des risques qui en découlent, étaient connus de longue date lors de l’adoption de la directive n° 76/116/CEE » ;
 « que les auteurs de l’arrêté attaqué n’ont apporté, lors de l’adoption de cet arrêté ou devant le juge, aucun élément scientifique nouveau de nature à remettre en cause l’appréciation alors portée par les auteurs de cette directive, et qui les a conduits à instituer la libre circulation, au sein de la Communauté européenne, des engrais répondant aux exigences qu’elle édicte, en particulier, en matière de composition et d’emballage » ;
 « qu’enfin la Commission européenne, à laquelle les autorités françaises avaient notifié le 19 juin 2002 un projet d’arrêté dont la teneur et la motivation étaient identiques à celle de l’arrêté attaqué, a estimé, par une décision du 18 décembre 2002, que ces autorités n’établissaient pas la réalité de ce danger, en soulignant notamment que les risques invoqués étaient déjà pris en compte par la réglementation existante, et que le rapprochement avec l’explosion survenue à Toulouse le 21 septembre 2001 reposait sur des allégations sans consistance, dépourvues de portée scientifique et qui ne justifiaient pas l’application du principe de précaution » ;
 « qu’il ressort de l’ensemble de ces éléments qu’en se fondant sur l’existence d’un danger grave et immédiat pour prendre la mesure attaquée, plus de dix-huit mois après l’avis de la commission des substances explosives mentionné ci-dessus et plus d’un an après l’accident de Toulouse, les ministres compétents ont fait une appréciation manifestement erronée des risques présentés par les engrais concernés. »

> Rave-party
TA Châlons-en-Champagne, ordonnance du 29 avril 2005 n°0500828, 05008829 et 0500830 téléchargeable sur le site internet de la SCP Claisse et associés avec le commentaire de Me Frédéric Renaudin.

Des associations de protections de l’environnement contestant l’organisation d’une Rave-party demandent en référé au tribunal de Châlons-en-Champagne d’enjoindre au préfet de la Marne de prendre toute mesure utile à l’interdiction de la manifestation. Sans se référer au principe de précaution, ils invoquent la Charte de l’environnement estimant que cette manifestation porte une atteinte grave et manifestement illégal au droit de l’environnement. Le tribunal fait droit à cette requête dès lors que le site en question est d’une très haute valeur environnementale et « qu’en adossant à la Constitution une Charte de l’environnement qui proclame en son article 1er que "chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé" le législateur a nécessairement entendu ériger le droit à l’environnement en "liberté fondamentale" de valeur constitutionnelle. »

  • Principe de précaution et responsabilité pénale

La crainte d’une extension de la responsabilité pénale des décideurs publics, via le principe de précaution, a largement été exprimée. Les rapports Kourilsky (p.75 et s) comme du Conseil d’Etat (p 284 et s.) estiment cette crainte en grande partie infondée au regard principalement des principes de la légalité des délits et des peines et de l’interprétation stricte de la loi pénale.

Mise en danger délibérée de la vie d’autrui (article 223-1 du code pénal)

Le délit de mise en danger permet de sanctionner, avant même tout accident, un comportement particulièrement dangereux inscrit dans une logique du "ça passe ou ça casse". Le risque de condamnation de ce chef de décideurs publics pour manquement au devoir de précaution semble, en l’état actuel des textes, minimes, voir nul. Aux arguments fournis par le rapport Kourilsky p.77 (nécessité de prouver d’une part une exposition directe à un risque immédiat de mort ou de blessures, et un élément moral proche de celui qui est requis pour les infractions intentionnelles), un autre élément nous apparaît de nature à limiter de façon importante le risque de condamnation de ce chef : pour que le délit soit caractérisé il faut que soit constatée une "violation manifestement délibérée d’une obligation PARTICULIERE de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement". Or interprétant strictement cette disposition, la Cour de cassation a déjà jugé que l’exercice des pouvoirs GENERAUX de police du maire ne constituait pas une telle obligation (Cass crim 25 juin 1996 Bull crim n°274) : une administrée avait porté plainte avec constitution de partie civile contre le maire et le préfet de police de Paris, leur reprochant "de s’être abstenus de prendre les mesures nécessaires pour pallier les effets de la pollution atmosphérique sur la santé publique, tels qu’ils avaient été constatés par l’Observatoire régional de santé d’Ile-de-France". La Cour de cassation approuve la juridiction d’instruction d’avoir ordonné un refus d’informer dès lors que "l’article L. 131-2.6° du Code des communes, alors en vigueur, qui confie au maire de façon générale le soin de prévenir et faire cesser tous les événements survenant sur le territoire de sa commune et de nature à compromettre la sécurité des personnes, ne crée pas à sa charge d’obligation particulière de sécurité au sens de l’article 223-1 du Code pénal, en raison du caractère général de ses prescriptions".

Ce n’est que lorsque le pouvoir législatif et réglementaire, réagissant à l’incertitude scientifique, édicte des règles particulières de sécurité, que la responsabilité d’un élu pourrait être envisagé en cas de violation manifestement délibérée de celles-ci. La question pourrait aussi se poser lorsque le maire s’abstient d’user de son pouvoir de police spéciale. Mais encore faudrait-il démontrer qu’il en est résulté un risque immédiat de mort ou de blessures graves. En aucun cas il ne peut être exigé d’un élu qu’il anticipe, au nom du principe de précaution, sur de législations futures plus restrictives.

Homicide et blessures involontaires

La responsabilité pénale d’un décideur public pour manquement au devoir de précaution des chefs de blessures ou d’homicide involontaires est conceptuellement plus plausible mais reste pratiquement délicate. Depuis la loi dite Fauchon du 10 juillet 2000 modifiant notamment l’article 121-3 du code pénal, deux types de faute peuvent engager la responsabilité des décideurs publics qui n’ont pas causé directement le dommage mais qui ont contribué à sa réalisation :
 soit la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence imposée par la loi ou le règlement ;
 soit une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque qu’ils ne pouvaient ignorer.

Le premier type de faute reprend les éléments de définition de mise en danger délibérée de la vie d’autrui. Le risque de condamnation de ce chef paraît tout aussi improbable. Il faut cependant relever que la preuve la preuve d’un lien de causalité entre les manquements constatés et le décès ou les blessures est, après un accident, toujours plus facile à établir que celle d’un risque immédiat de mort imputé à un comportement avant tout dommage constaté.
Le second type de faute est plus problématique dans la mesure où il laisse plus de marge d’appréciation aux juridictions. Il n’est en effet pas nécessaire d’établir la preuve de la violation d’une obligation précise de sécurité. Un défaillance dans l’exercice du pouvoir de police générale peut donc suffire à caractériser le délit dès lors qu’il en est résulté une atteinte à l’intégrité physique d’une personne. Il reste qu’il faudrait aussi démontrer que le prévenu ne pouvait ignorer ce risque. Or l’incertitude scientifique qui sert de postulat au principe de précaution semble difficilement conciliable avec cette connaissance. La responsabilité des élus peut théoriquement être envisagée dans deux hypothèses :
 soit lorsque le maire n’a pas fait usage de son pouvoir de police spéciale pour empêcher la réalisation du dommage.
 soit lorsqu’il n’a pas fait usage de son pouvoir de police général en cas de carence du détenteur du pouvoir de police spéciale (même si on peut penser que ce serait ce dernier qui serait en première ligne dans cette hypothèse).
En tout état de cause la faute de l’élu serait appréciée en tenant compte des connaissances scientifiques de l’époque et par comparaison des mesures prises par d’autres confrontés à des situations analogues. Sans préjuger de ce qui sera jugé sur le fond par respect pour le principe de présomption d’innocence, c’est à cette analyse à laquelle s’est livrée la Cour de cassation (Cass crim 7 juillet 2005 N° de pourvoi : 05-81119) pour valider les poursuites engagées dans l’affaire des hormones de croissance. Les attendus de la Cour de cassation sont sur ce point particulièrement instructifs de la méthode d’analyse du juge pénal :
« Attendu qu’il résulte des investigations du juge d’instruction que la communauté scientifique médicale a été progressivement informée, de 1980 à 1985, du risque puis de la réalité d’une corrélation entre le traitement du nanisme par l’administration d’hormone de croissance extractive et le développement chez certains patients de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ; que, dans le courant de l’année 1985, les autorités sanitaires des Etats-Unis, de Grande-Bretagne et de plusieurs autres pays ont interrompu la distribution de ce produit tandis que deux de ses plus importants distributeurs étrangers cessaient de l’écouler, l’un d’eux annonçant l’imminence de la mise sur le marché d’une hormone bio-synthétique ; que, pourtant, les dirigeants tant de l’association France-Hypophyse, chargée de la collecte des hypophyses et de la répartition de l’hormone de croissance, que de l’Institut Pasteur et de son laboratoire, l’Unité de radio-immunologie analytique (URIA), qui produisaient l’hormone, et de la Pharmacie centrale des hôpitaux de l’assistance publique de Paris, qui en assurait le conditionnement et la distribution, n’auraient pas tiré les conséquences de ces informations avant l’année 1988 ; que l’association aurait continué à faire prélever et collecter les hypophyses humaines sur des cadavres provenant de populations à risques, par des agents dépourvus de qualification et selon des techniques n’offrant pas les meilleures garanties de sécurité sanitaire ; que l’extraction, le poolage, le conditionnement et la distribution de l’hormone de croissance n’auraient pas répondu aux "bonnes pratiques de fabrication" appliquées par les laboratoires pharmaceutiques industriels ; que certains lots ayant échappé au test de contamination initial mis en place en 1985 ou aux procédés de purification les plus avancés, auraient été mélangés à d’autres lots ou écoulés sans égard aux impératifs de sécurité et de traçabilité. »

Les éléments soulignés attestent que ce sont d’abord et avant tout les manquements au devoir de prévention, qui s’agissant de dangers connus et identifiés, sont susceptibles d’engager la responsabilités des décideurs. Tout la difficulté est de savoir discerner le moment où l’on dépasse le stade de l’incertitude résultant de la controverse scientifique pour rentrer dans celui de le champ de la connaissance. Il appartient aux décideurs publics d’être, à ce titre particulièrement, réactifs à l’évolution des connaissances scientifiques et aux mesures prises dans d’autres pays.

  • Bibliographie :

    Articles
     Sur dossiers du net : différents points de vue exprimés par des scientifiques, des hommes politiques, des associations (Un site consacré à favoriser l’émergence du débat public sur les sujets de société) ;
     Valentine Heitz, le principe de précaution quelques précisions, Journal des accidents et catastrophes (JAC) n°22,
     Isabelle Bourdeaux, Charte de l’environnement, l’appel des scientifiques, JAC 44
    ¨ Claude Lienhard, Du nouveau avec le principe de précaution (commentaires sur le rapport Coppens), JAC 34

RAPPORTS
 Philippe Kourilsky et Geneviève Viney, Le principe de précaution, rapport remis au premier ministre, 15 octobre 1999, La documentation française
 Rapport de la Commission Coppens de préparation de la charte de l’environnement
 Rapport public du Conseil d’Etat 2005, Responsabilité et socialisation du risque, la documentation française.

OUVRAGE :
Jean-Pierre DUPUY, Pour un catastrophisme éclairé : quand l’impossible est certain, éditions le Seuil, Mars 2002.