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Mariage blanc ou forcé : pouvoirs et responsabilités du maire

Cass civ, 6 février 2007, n° de pourvoi : 06-10403 Publié au bulletin

Un maire peut-il refuser de prononcer un mariage, qu’il supecte être blanc, en l’absence d’opposition ou de décision de sursis du procureur de la République ?

Les faits

En avril 2005 un couple dépose un dossier de mariage dans une mairie d’arrondissement de Paris. Le service de l’état civil, constatant que le futur marié est en situation irrégulière et que les requérants ont une différence d’âge de 29 ans, signale au procureur de la République une suspicion de mariage de complaisance. Après avoir demandé au maire de surseoir à la célébration du mariage, le procureur de la République lui notifie finalement son absence d’opposition, l’enquête ne lui ayant pas été retournée dans les délais.

Le maire prend acte de cette absence d’opposition et une date est fixée pour la célébration. Mais le jour du mariage, “au vu du comportement des futurs époux”, le maire procède à leur audition séparée et acquiert la conviction que le projet n’est pas fondé sur un consentement éclairé de la mariée dont la vulnérabilité médico-psychologique lui semble exploitée par son fils, également témoin. Le maire saisit de nouveau le procureur de la République sur le fondement de l’article 175-2 du code civil. A la suite de l’enquête, le ministère public notifie son opposition au jugement. Entre temps, le couple assigne le maire en référé aux fins de lui voir enjoindre sous astreinte de célébrer leur mariage et obtenir l’allocation de dommages-intérêts.


Voie de fait pour les juges de première instance

Par ordonnance du 27 juillet 2005, le président du TGI de Paris,considère que le maire a commis une voie de fait en ne prononçant pas le mariage malgré l’absence d’opposition du procureur de la République, et condamne l’élu à verser un euro de dommages-intérêts à titre de provision.

Le maire a pourtant la conviction d’avoir respecté la loi et la circulaire ministérielle du 2 mai 2005 en procédant à un second signalement au fondement totalement différent du premier. A l’appui de son appel il relève qu’aucun texte ne limite le nombre de signalement.


Trouble manifestement illicite pour les juges d’appel

Cour d’appel de Paris 16 novembre 2005

Les magistrats de la Cour d’appel (CA Paris 14è chambre 16 novembre 2006 ) n’ont pas la même lecture de la circulaire du 2 mai 2005. Selon eux “le maire, en cas de doute n’avait le jour du mariage que deux possibilités :

 soit le consentement exprimé, ou sur le point de l’être, était contredit par des éléments matériels, tels que contrainte, menaces, attitudes menaçantes, traces de coups etc... et l’officier d’état civil devait interrompre la cérémonie et saisir le procureur de la République ;

 soit il existait un doute sur la sincérité du consentement donné ou sur le point de l’être (l’alinéa 1er de l’article 175-2 du code civil se réfère à l’article 146 du même code qui concerne le consentement au mariage) et l’officier d’état civil devait procéder au mariage, puis, faire rapport au procureur de la République”.

Et les magistrats de considérer que si les premiers juges ont conclu un peu vite à l’existence d’une voie de fait en l’absence d’irrégularité grossière, il n’en demeure pas moins que les faits reprochés à l’élu sont constitutifs “d’un trouble manifestement illicite”. A titre de provision en réparation du préjudice le maire est condamné à verser un euro à chacun des intéressés.


Responsabilité de l’Etat pour les juges de cassation

Le maire se pourvoit en cassation en reprochant principalement aux juges d’appel d’avoir fondé leur jugement sur une circulaire qui n’a aucune valeur normative. Les magistrats de la Cour de cassation n’en confirment pas moins la position des juges du fond par un attendu de principe : “si l’officier d’état civil peut, sur le fondement de l’article 175-2 du code civil, saisir à nouveau le procureur de la République s’il a recueilli des indices nouveaux laissant présumer une absence de consentement au mariage, il ne peut pas, en ce cas, refuser de procéder à sa célébration à la date fixée, en l’absence d’opposition ou de décision de sursis du procureur de la République”.

En revanche sur le plan indemnitaire l’arrêt de la Cour d’appel est annulé : “les actes accomplis par le maire en sa qualité d’officier d’état civil, qui concernent le fonctionnement du service public de l’état civil placé sous le contrôle de l’autorité judiciaire, le sont au nom et pour le compte de l’Etat”. La responsabilité personnelle du maire ne peut être engagée à ce titre que si les faits qui lui sont reprochés sont constitutifs d’une faute personnelle détachable de ses fonctions d’officier d’état civil. Tel n’étant pas le cas en l’espèce, le maire ne pouvait être condamné à indemniser la victime sur ses deniers personnels


Les articles référents du Code civil

 Article 175-2 (pouvoirs du maire en cas de doute)

 Article 63 (audition séparée des époux)

 Article 146 (pas de mariage sans consentement)

 Article 180 (causes de nullité du mariage)


Ce qui a changé avec la loi du 14 novembre 2006

loi 2006-1376 du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages et son décret d’application n° 2007-773 du 10 mai 2007

(Extraits de l’exposé des motifs accessible sur le site www.legifrance.gouv.fr)

(...)

“La réforme a pour ambition de créer les conditions d’un contrôle plus efficace en matière de mariages, qu’ils soient célébrés en France ou à l’étranger.

Ainsi, s’agissant des mariages contractés en France, il est d’abord proposé de préciser les formalités préalables au mariage, dont l’accomplissement doit permettre à l’officier de l’état civil de saisir en temps utile le ministère public s’il nourrit un doute quant à la validité du mariage envisagé. Par ailleurs, il est également proposé de supprimer le délai de caducité de l’opposition du parquet.

S’agissant des mariages contractés par des ressortissants français à l’étranger, le projet institue un contrôle de validité avant même la célébration du mariage et renforce le contrôle effectué dans le cadre de la procédure de transcription à l’état civil.

Enfin, le projet renforce le dispositif de lutte contre les mariages forcés.

Le contrôle des mariages célébrés en France

La réforme clarifie, d’une part, la chronologie des formalités préalables à la célébration du mariage et renforce, d’autre part, le pouvoir du parquet de s’opposer à celle-ci.

1° Clarification des formalités préalables au mariage

La nouvelle rédaction de l’article 63 du code civil fait apparaître plus clairement la chronologie des formalités préalables à la célébration du mariage : la publication des bans et, en cas de dispense de publication, la célébration du mariage, sont subordonnées aux deux formalités que sont la constitution d’un dossier complet et l’audition des candidats au mariage.

A cet égard, la composition du dossier de mariage est précisée. Il est en particulier prévu explicitement que chacun des futurs époux doit justifier de son identité par une pièce d’identité officielle. En effet, il s’agit là du seul moyen de vérifier avec certitude l’identité du futur époux.

Par ailleurs, l’article 70 est modernisé afin de supprimer la référence aux anciennes colonies et il est désormais prévu que chacun des futurs époux devra produire une copie intégrale de son acte de naissance, celle-ci reprenant l’ensemble des mentions figurant sur l’acte original.

Enfin, pour faciliter les auditions des futurs époux, il est prévu, lorsque l’un d’eux réside à l’étranger, que l’officier de l’état civil pourra déléguer l’agent diplomatique ou consulaire territorialement compétent pour y procéder. Il s’agit ainsi d’éviter que l’éloignement géographique de l’un des futurs époux soit considéré comme un cas d’impossibilité, et donc ne dispense, de procéder à l’audition.

L’accomplissement de ces formalités doit permettre à l’officier de l’état civil de saisir en temps utile le procureur de la République en cas de doute sur la validité du mariage envisagé.

2° Suppression du régime de caducité de l’opposition du ministère public

Actuellement, l’opposition au mariage, faite par le parquet ou les parents, est caduque après un an. Il appartient donc au ministère public de renouveler celle-ci à l’extinction de ce délai.

Or, comme l’indique l’article 175-1 du code civil, aux termes duquel « le ministère public peut former opposition pour les cas où il pourrait demander la nullité », c’est en tant que gardien de l’ordre public qu’il est investi du pouvoir de s’opposer à la célébration du mariage.

Il est donc cohérent que sa décision persiste dans le temps, les candidats au mariage ayant en toute hypothèse la possibilité de saisir le tribunal d’une demande de mainlevée de l’opposition.

C’est pourquoi le projet modifie l’article 176 du code civil afin de prévoir que le délai de caducité d’un an ne s’appliquera pas à l’acte d’opposition du parquet, qui ne cessera de produire effets que sur décision du tribunal.

(...)

La lutte contre les mariages forcés

Il sera désormais mentionné à l’article 63 que l’officier de l’état civil pourra ne pas procéder à l’audition des futurs époux si celle-ci n’apparaît pas nécessaire au regard des articles 146 et 180 du code civil.

Cette nouvelle référence implique que chaque fois que les premiers éléments recueillis lors de la constitution du dossier de mariage laisseront supposer à l’officier de l’état civil qu’il s’agit d’un mariage forcé, celui-ci devra obligatoirement procéder à l’audition.

Si l’un des futurs époux est mineur, cette audition devra se tenir hors la présence de ses parents et de son futur conjoint. Il s’agit en effet de lui donner la possibilité de s’exprimer en toute liberté ».


Le mariage : une liberté constitutionnelle

La circulaire (Circulaire n° CIV/2005-09 / NOR : JUSC0520349C du 2 mai 2005 du ministère de la justice relative à la lutte contre les mariages simulés ou arrangés) sur laquelle s’était appuyée la Cour d’appel de Paris n’a pas été publiée. Une consultation des moteurs de recherche sur internet montre que son application suscite des controverses. Un internaute fait ainsi part des questions pour le moins intimes qui peuvent être posées au couple : “ avez-vous des relations sexuelles ? de quelle fréquence ? savez-vous que votre mari a déjà eu deux épouses dont il a divorcé ? Que pensez-vous des conditions dans lesquelles il a divorcé de sa dernière épouse ?...”.

Pour le Conseil Constitutionnel la lutte contre les mariages de complaisance ne doit pas se faire au détriment de la liberté du mariage garantie par la Constitution. C’est ainsi qu’il a censuré (Conseil constitutionnel nº2003-484 DC du 20 novembre 2003) les dispositions de la loi nº 2003-1119 du 26 novembre 2003 (modifiant l’article 175-2 du code civil) qui prévoyaient que “constitue un indice sérieux le fait, pour un ressortissant étranger, de ne pas justifier de la régularité de son séjour, lorsqu’il y a été invité par l’officier de l’état civil qui doit procéder au mariage”.

En effet, “le respect de la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l’intéressé (...) Si le caractère irrégulier du séjour d’un étranger peut constituer dans certaines circonstances, rapproché d’autres éléments, un indice sérieux laissant présumer que le mariage est envisagé dans un autre but que l’union matrimoniale, le législateur, en estimant que le fait pour un étranger de ne pouvoir justifier de la régularité de son séjour constituerait dans tous les cas un indice sérieux de l’absence de consentement, a porté atteinte au principe constitutionnel de la liberté du mariage”.

En d’autres termes le séjour irrégulier d’un ressortissant étranger peut constituer un indice parmi d’autres mais ne saurait, à lui seul, être déterminant. C’est toujours par respect dû à la liberté du mariage qu’ont été censurées les dispositions de la loi de novembre 2003 obligeant l’officier d’état civil à signaler sans délai au préfet la situation d’irrégularité.