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La jurisprudence de la semaine du 4 au 8 mai 2015

Domaine public / Elections / Marchés publics, DSP et contrats

(dernière mise à jour le 06/07/2015)

Domaine public

 Le juge administratif peut-il liquider une astreinte à l’encontre d’une personne privée occupant irrégulièrement le domaine public bien que cette faculté ne soit pas prévue par la loi ?

Oui : la faculté reconnue aux juges de prononcer une astreinte à l’encontre de personnes privées en vue de l’exécution de leurs décisions, dont découle celle de liquider cette astreinte en cas d’inexécution, a le caractère d’un principe général. S’il n’appartient qu’au législateur de déterminer, d’étendre ou de restreindre les limites de cette faculté, le juge peut, en l’absence de dispositions législatives en ce sens, en faire usage sans texte, le cas échéant d’office.

Ne s’agissant pas d’une peine ou d’une sanction au sens de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, cette faculté ne méconnait aucune disposition à valeur constitutionnelle, et notamment pas l’exigence de séparation des pouvoirs.

Cette possibilité ouverte au juge ne viole pas plus les dispositions de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [1]. En effet selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ces stipulations, en mentionnant " les conditions prévues par la loi ", visent à la fois le droit écrit et le droit non écrit, et exigent seulement que ce droit soit, d’une part, suffisamment accessible et, d’autre part suffisamment précis et prévisible pour que le citoyen, en s’entourant le cas échéant de conseils éclairés, soit à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à découler d’un acte déterminé. Or tel est bien le cas en l’espèce puisque la faculté d’assortir sa décision d’une astreinte est employée de manière constante, depuis plusieurs décennies, par le juge administratif statuant en matière d’occupation irrégulière du domaine public. Ainsi la personne faisant l’objet d’une action contentieuse devant le juge administratif pour occupation irrégulière du domaine public est en mesure de prévoir que ce juge peut assortir l’injonction de libérer les lieux d’une astreinte, qui sera en principe liquidée si, à l’issue du délai fixé par le jugement, celui-ci n’a pas été entièrement exécuté.

Conseil d’État, 6 mai 2015, N° 377487

Elections

 Le juge de l’élection est-il tenu de prononcer l’inéligibilité d’un candidat dont les comptes de campagne ont été rejetés ?

Non : en dehors des cas de fraude, le juge de l’élection ne prononce l’inéligibilité d’un candidat que s’il constate un manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales. Pour déterminer si un manquement est d’une particulière gravité, le juge de l’élection doit apprécier, d’une part, s’il s’agit d’un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales, d’autre part, s’il présente un caractère délibéré. En cas de manquement aux dispositions de l’article L. 52-8 du code électoral [2], il incombe en outre au juge de tenir compte de l’importance de l’avantage ou du don irrégulièrement consenti et de rechercher si, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, il a été susceptible de porter atteinte, de manière sensible, à l’égalité des candidats. Tel n’est pas jugé le cas en l’espèce s’agissant de l’achat par la commune de publi-reportages dans un journal pour faire la promotion de la gestion de la commune et de la distribution gratuite de ce journal par les services municipaux. En effet, eu égard notamment à la date de parution des publications litigieuses, au caractère restreint de leur diffusion, au montant limité de l’avantage dont a bénéficié le candidat tête de liste et à la circonstance, cet avantage n’a pas été de nature à porter atteinte, de manière sensible, à l’égalité entre les candidats.

Conseil d’État, 6 mai 2015, N° 385865

 Un maire sortant peut-il utiliser la page Facebook de la mairie pendant la campagne à des fins de propagande électorale ?

Non : l’utilisation par le maire sortant, durant la campagne électorale, d’une page Facebook, de statut public au sens des règles de confidentialité de ce réseau social, est de nature à créer une confusion dans l’esprit des électeurs et constitue une manœuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin. En l’espèce, cette page, intitulée "Mairie de Hermes" illustrée par une vue de la commune et une photo de l’hôtel de ville, et dont le ton était proche de celui d’un bulletin municipal puis progressivement polémique à mesure que s’approchait la date du scrutin, mélangeait des informations institutionnelles et de la propagande électorale [3] constituant une manœuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin, eu égard à l’écart de cinq voix séparant la liste du maire sortant à celle de son opposant. Par conséquent, c’est à bon droit que les juges du fond ont annulé les opérations électorales.

Conseil d’Etat, 6 mai 2015, N° 382518

Marchés publics, DSP et contrats

 Résiliation anticipée d’une délégation de service public (DSP) : le délégataire peut-il obtenir l’indemnisation de la part non amortie des biens de retour bien que l’exploitation de la délégation soit structurellement déficitaire et que les pertes auraient été plus conséquentes si la DSP avait été poursuivie ?

Oui : en cas de résiliation d’une délégation de service public avant son terme et quel qu’en soit le motif, le délégataire a droit à être indemnisé de la valeur non amortie des biens de retour. Peu importe que l’exploitation de la délégation aurait été déficitaire pendant la durée restant à courir de la convention et que l’indemnisation de la valeur non amortie des biens excèderait la valeur actualisée des pertes d’exploitation que le délégataire aurait dû subir de manière prévisible pendant toute la durée de la convention.

Conseil d’État, 4 mai 2015, N° 383208


 [4]

[1" Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

[2Prohibant aux personnes morales à l’exception des partis ou groupements politiques, les dons en nature ou en espèces sous quelque forme et de quelque montant que ce soit à un candidat.

[3Lien vers le site de la commune, actualité municipale, échanges épistolaires entre le maire et ses administrés, extrait du bulletin de service interne de la police municipale, commentaires valorisants sur l’action du maire, composition de la liste conduite par le maire avec un lien vers le site de sa liste, commentaires sur la liste adverse...

[4Photo : © Treenabeena