Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative

Imputabilité au service d’une tentative de suicide : le Conseil d’Etat rattrape et double la Cour de cassation

Conseil d’Etat, 16 juillet 2014, N° 361820

Le suicide (ou une tentative de suicide) d’un agent peut-il être assimilé à un accident de service même s’il ne s’est pas produit sur le lieu de travail et pendant les heures de service ?

Oui dès lors que le suicide présente un lien direct avec le service. Il en est, a fortiori de même, lorsque le suicide intervient sur le lieu de travail et pendant les heures de service en l’absence de circonstance particulière détachant cet évènement du service. Dans tous les cas, ce n’est pas à l’agent (ou à sa famille) de prouver que le passage à l’acte a eu pour cause certaine, directe et déterminante un état pathologique se rattachant lui-même directement au service mais c’est au juge administratif qu’il revient de se prononcer en fonction des circonstances de chaque espèce (pour sa part la Cour de cassation estime que c’est au salarié de rapporter la preuve que la tentative de suicide est survenue par le fait du travail si elle a eu lieu alors que l’intéressé ne se trouvait plus sous la subordination de l’employeur).

Une fonctionnaire municipale (ville de 15 000 habitants) tente de mettre fin à ses jours sur son lieu de travail pendant ses heures de service. Un mois plus tard elle adresse à la commune une déclaration d’accident de service.

L’expert désigné par la commission de réforme conclut à l’existence « d’un lien unique, direct et incontestable » entre la tentative de suicide et le service, et qualifie l’évènement comme étant imputable au service.

Le maire refuse de suivre l’avis de la commission de réforme considérant que le service est étranger à la tentative de suicide. La requête introduite par l’intéressée contre cette décision est rejetée par le tribunal administratif de Bordeaux qui donne raison au maire. Les juges reprochent en effet à la requérante de ne pas rapporter la preuve de ce que sa tentative de suicide avait eu pour cause certaine, directe et déterminante un état pathologique se rattachant lui-même directement au service.

Assouplissant sa jurisprudence, le Conseil d’Etat censure cette position en estimant que les premiers juges ne pouvaient ainsi faire supporter à l’agent la charge de la preuve de l’imputabilité au service de sa pathologie à l’origine de la tentative de suicide :


 "un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d’un accident de service" ;

 "il en va ainsi lorsqu’un suicide ou une tentative de suicide intervient sur le lieu et dans le temps du service, en l’absence de circonstances particulières le détachant du service".

 "il en va également ainsi, en dehors de ces hypothèses, si le suicide ou la tentative de suicide présente un lien direct avec le service".

Comme la Cour de cassation [1], le Conseil d’Etat admet qu’un suicide (ou une tentative de suicide) survenu en dehors du temps de travail ou du lieu de service, peut tout de même présenter le caractère d’un accident de service dès lors qu’il présente un lien direct avec le service.

"Dans tous les cas" [2], poursuit le Conseil d’Etat, c’est au juge administratif, saisi d’une décision de l’autorité territoriale refusant de reconnaître l’imputabilité au service d’un tel événement, qu’il revient de se prononcer au vu des circonstances de l’espèce. Ce n’est plus à l’agent (ou à sa famille) d’établir, comme l’exigeait jusqu’ici le juge administratif [3], que l’acte a eu pour cause déterminante un état maladif se rattachant au service. Sur ce point la jurisprudence du Conseil d’Etat semble même plus favorable que celle de la Cour de cassation [4] celle-ci estimant "qu’un accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l’employeur constitue un accident du travail dès lors que le salarié établit qu’il est survenu par le fait du travail". On peut néanmoins penser que le juge administratif se montrera plus exigeant pour apprécier l’imputabilité au service d’un suicide survenu en dehors du temps de travail, le lien de l’évènement avec le service ne pouvant alors être présumé.

Conseil d’Etat, 16 juillet 2014, N° 361820


 [5]

[1Cour de cassation, chambre civile 2,
22 février 2007, N° 05-13771 - Suivre le lien proposé en fin d’article.

[2Y compris donc lorsque le suicide intervient en dehors du lieu de travail et des heures de service.

[3Pour un exemple : Cour administrative d’appel de Bordeaux, 15 février 2005, N° 00BX02860

[4Op. cit.

[5Photo : ©- Herreneck