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Achat d’un bien communal par le fils du maire : prise illégale d’intérêts caractérisée !

Cour d’appel de Poitiers, 28 novembre 2013, N° 764/13

La SCI du fils du maire peut-elle se porter acquéreur d’un bien communal si le maire ne signe pas l’acte de vente et s’il ne participe pas au vote de la délibération du conseil municipal se prononçant sur la transaction ?

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Non : ces précautions pour nécessaires qu’elles soient ne sont pas suffisantes pour écarter toute prise illégale d’intérêts. En effet la seule présence du maire, même exclusive de tout vote, à une délibération portant sur cette transaction, vaut surveillance ou administration au sens de l’article 432-12 du code pénal peu important qu’en définitive une conseillère municipale et non le maire ait signé l’acte authentique de vente. Ce d’autant qu’en l’espèce le maire n’avait pas transmis au conseil municipal une offre concurrente présentée par un administré et avait d’abord tenté de faire acheter le bien par sa SCI avant finalement de se rétracter et d’aider son fils à créer une SCI... Précisons que s’agissant en l’espèce d’une commune de moins de 3501 habitants, le maire, en ne prenant pas part à la délibération motivée du conseil municipal, aurait pu en toute légalité acheter l’immeuble pour la création ou le développement de son activité professionnelle. Mais alors le prix de vente n’aurait pu être inférieur à l’évaluation du service des domaines (et ce même en l’absence d’offre concurrente supérieure à celle de l’élu).

En octobre 2007, une commune rurale (1000 habitants) décide la mise en vente de l’ancienne poste désaffectée. Le bâtiment d’une superficie de 135 m² est évalué par le service des domaines dans une fourchette de prix allant de 55000 à 65000 euros.

La vente du bien est confié à deux agences immobilières.

Mais le bien ne trouve pas preneur. Aussi, en août 2009, le maire propose au conseil municipal, pour rendre l’achat plus attractif, de démolir une construction en préfabriqué attenante au bâtiment. Ce qui est accepté.

Une fois les travaux réalisés, les services des domaines évaluent le bien entre 30000 et 35000 euros pour une superficie de 90 m². Le conseil municipal fixe le prix de vente à 50 000 euros et autorise le maire à négocier sur cette base. En septembre 2010 un acquéreur est enfin trouvé. Le prix proposé est inférieur de 5000 euros à celui escompté mais le conseil municipal donne son accord.

Mais au moment de la formalisation de l’acte le contrôle de la légalité émet des réserves. En effet la SCI qui souhaite se porter acquéreur du bien est gérée par le maire...

Qu’à cela ne tienne : c’est une autre SCI, nouvellement créée, qui se portera finalement acquéreur du bien. Cette nouvelle SCI n’est pas gérée par le maire lui même mais... par son fils et sa belle fille !

Le maire est conscient d’un possible conflit d’intérêts, d’autant que c’est lui qui a avancé les fonds à son fils pour la création de la SCI. Aussi se garde-t-il cette fois de signer lui même l’acte de vente. C’est une adjointe qui s’y colle.

Cette fois le contrôle de la légalité n’y trouve rien à redire et la vente est validée.

Mais en juillet 2011, un administré se présente à la gendarmerie pour déposer plainte. Il explique aux enquêteurs avoir présenté en 2009 une offre de 70 000 pour l’achat du bâtiment mais que sa proposition avait été rejetée comme insuffisante.

Ses déclarations sont confirmées par l’agence immobilière mandatée par la commune qui explique cependant que la somme de 70 000 euros correspondait au budget des acquéreurs, incluant les frais de notaire et d’agence et le coût des travaux, de sorte que, net vendeur, cela représentait 42 000 euros.

Toujours est-il que le maire n’a pas saisi le conseil municipal de cette offre concurrente et s’est contenté d’en parler à quatre de ses conseillers.

En outre le rôle du maire lors des débats portant sur l’offre présentée par les SCI gérée par son fils est examinée avec attention. En effet le notaire avait attiré l’attention du maire sur le fait que le procès-verbal initial ne mentionnait pas que l’élu était absent lors de la délibération et du vote. Le maire avait alors demandé à la secrétaire de mairie de modifier l’extrait en ce sens et d’y indiquer le nom d’un autre adjoint, celui désigné à l’origine étant indisponible...

Le tribunal correctionnel de Niort condamne le maire du chef de prise illégale d’intérêts à 7500 euros d’amende et à trois ans d’inéligibilité ce que confirme la Cour d’appel de Poitiers :

 si le montant exact de la proposition du plaignant n’est pas connu avec certitude, elle était d’au moins 42 000 euros et aurait dû être présentée au conseil municipal ;

 au vu des déclarations des conseillers municipaux et de la double rédaction de la délibération du 5 novembre 2010 il n’est pas établi que le maire n’était pas présent lors de la délibération et de la prise de décision du conseil autorisant la vente à la SCI ;

 le maire a reconnu que c’est parce que la vente à sa SCI n’était pas possible qu’il a décidé de créer une autre SCI par l’intermédiaire de son fils.

Et la Cour d’appel d’en conclure que le maire avait "des intérêts personnels patrimoniaux et affectifs directs et indirects dans la vente".

« Dans ces conditions, sa seule présence, même exclusive de tout vote, à une délibération portant sur cette transaction, vaut surveillance ou administration au sens de l’article 432-12 du code pénal peu important qu’en définitive une conseillère municipale et non le maire ait signé l’acte authentique de vente. »

« L’article 432-12 du code pénal n’exige, ni que l’intérêt pris ou par l’élu prévenu soit en contradiction avec l’intérêt communal, ni que l’élu en ait tiré un quelconque profit (...). »

« L’intention délictueuse est suffisamment caractérisée par le fait que l’auteur a sciemment accompli les actes constituant l’élément matériel du délit, même en l’absence de toute intention frauduleuse, étant précisé que nul n’est censé ignoré la loi et que, contrairement à ce qu’affirme le prévenu, le notaire lui avait signalé tous les risques d’une telle vente avant la signature de l’acte authentique en lui indiquant les précautions minimum à prendre, notamment sur les mentions du procès verbal de délibération du conseil municipal, et qu’il s’est contenté de ces précautions minimales, de surcroît en commettant matériellement un faux ».

En revanche la cour d’appel écarte la demande de dommages-intérêts pour le préjudice pécuniaire et moral qui résulterait pour le plaignant de la perte de chance d’acquérir le bien. Pour les juges d’appel en effet la commune est la "seule victime directe du délit d’ingérence".

Et les juges de préciser qu’à supposer même que la faute commise par le maire soit détachable du service et engage la responsabilité personnelle de son auteur, le plaignant ne verse aucune pièce aux débats démontrant qu’il a subi un préjudice en lien avec les faits sanctionnés. Ce faisant, les magistrats poitevins laissent clairement entendre que toute commission du délit de prise illégale d’intérêts n’est pas nécessairement synonyme de faute personnelle de nature à engager la patrimoine personnel de l’élu.

Cour d’appel de Poitiers, 28 novembre 2013, N° 764/13

[1Photo : © Kevin Lepp