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Antécédents judiciaires des hommes politiques : le droit à l’oubli prime sur la liberté d’expression

Cour de cassation, chambre civile 1, 16 mai 2013, N° 12-19783

Peut-on publiquement rappeler les antécédents judiciaires d’un homme politique ?

Pas si la condamnation a été amnistiée. Ainsi un journaliste ne peut pas, plus de 40 ans après les faits, et même sur un ton humoristique dénué de toute animosité, rappeler la condamnation pour vols de deux hommes politiques. Si l’auteur d’une diffamation peut s’exonérer en établissant sa bonne foi, le rappel de condamnations amnistiées reste interdit sous peine de sanction pénale.

En décembre 2009 plusieurs sites internet mettent en ligne différents articles diffusant une ancienne coupure de presse d’un journal local datant du 11 novembre 1965 relatant et précisant que deux jeunes parisiens avaient défrayé la chronique sur la côte varoise.

Un journal de la presse quotidienne régionale s’en fait l’écho sur un ton sarcastique. Il y est notamment expliqué que « les deux compères s’étaient fait remarquer durant ce fameux été 1965 pour une affaire de siphonnage et plusieurs vols » et qu’ils avaient été condamnés par le tribunal correctionnel à un an de prison avec sursis et trois ans de mise à l’épreuve.

Plus de 40 ans après les faits, de l’eau a coulé sous les ponts. Et les deux jeunes délinquants se sont bien réinsérés : ce sont désormais des hommes publics, ayant obtenu des mandats municipaux et législatifs et exercé des fonctions ministérielles.

Jugeant l’article attentatoire à son honneur et à sa considération, l’un des intéressés fait assigner le directeur de publication du journal aux fins de le voir condamner pour diffamation publique envers un particulier.

Mais les juges du fond relaxent le prévenu au bénéfice de la bonne foi jugeant "légitime, pour les journalistes, de rendre compte à leurs lecteurs, d’un fait d’actualité, à savoir les nombreux articles, circulant sur des sites internet, relatifs aux agissements, dans leur jeunesse, de deux hommes publics". Les juges ne relèvent en outre aucune animosité personnelle de l’auteur de l’article dont le ton est jugé plutôt humoristique et bienveillant à l’égard du plaignant et de son camarade. Ce d’autant que le journaliste n’ a pas manqué de rappeler que les faits [1] ont été amnistiés et que « la prescription l’emporte pour ces faits datant de plus de 40 ans ».

Peu importe rétorque la Cour de cassation qui casse l’arrêt de la cour d’appel :

"si la circonstance que les écrits incriminés ont eu pour objet de porter à la connaissance du public les agissements dans leur jeunesse de deux hommes politiques peut justifier en cas de bonne foi de leur auteur, la diffamation, il ne saurait en être ainsi, sauf à violer les textes précités [2], lorsqu’elle consiste dans le rappel de condamnations amnistiées, lequel est interdit sous peine de sanction pénale."

Ainsi le rappel des condamnations amnistiées constitue une ligne rouge à ne pas franchir, y compris sur un ton humoristique. Du moins pour la Cour de cassation. Pas sûr que la Cour européenne des droits de l’homme, particulièrement attachée au droit à l’information des citoyens sur les responsables qui les gouvernent, suivra le même raisonnement.

Cour de cassation, chambre civile 1, 16 mai 2013, N° 12-19783

[1Qualifiés de « connerie de jeune » par un parlementaire de la même famille politique que les élus concernés.

[2Article 10, alinéa 2, de la Convention européenne des droits de l’homme et articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881