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Prise illégale d’intérêts : le maire complice du conseiller intéressé

Tribunal correctionnel de Marseille, 29 avril 2013, n° 2782

Un maire peut-il être considéré comme complice d’un conseiller municipal dont l’entreprise a été attributaire d’un marché public bien qu’il ait demandé à l’intéressé de s’abstenir de participer au vote portant sur le choix de l’offre ?

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Oui répond le tribunal correctionnel de Marseille dès lors que la simple abstention du conseiller intéressé au moment du vote ne suffit pas à écarter toute prise illégale d’intérêts. En l’espèce ce délit est bien caractérisé dès lors que, sur sollicitation du maire, le conseiller municipal a aidé la collectivité à rédiger le cahier des charges et lui a fourni un devis pour permettre une estimation du budget. En outre même s’il n’a pas participé au vote, il a pris part aux débats de la séance au cours de laquelle l’offre de son entreprise a été retenue. Connaissant la double casquette du conseiller municipal, poursuit le tribunal, le maire aurait dû déclarer le marché infructueux et s’opposer à ce que l’intéressé participe aux débats. Peu importe que le maire ait invité l’intéressé à sortir au moment du vote. Dans cette affaire les deux élus sont également condamnés pour favoritisme, le cahier des charges contenant des spécifications techniques favorables à l’entreprise du conseiller. De fait sur les six entreprises qui avaient retiré un dossier de candidature, seule l’entreprise gérée par l’élu avait ainsi finalement pu présenter une offre...

Une commune de 5000 habitants décide d’installer une nouvelle plate-forme de communication téléphonique afin de gérer efficacement l’accueil et de permettre la distribution automatique des appels téléphoniques réceptionnés par le standard de la mairie.

Un appel public à la concurrence est publié sur le site internet de la commune et sur un portail spécialisé. Six entreprises retirent un dossier mais une seule se porte finalement candidate.

Le choix est donc vite fait : en procédure adaptée, la commission d’appel d’offres (CAO) se réunit et propose de retenir la seule offre présentée pour un montant de 9000 euros. Le conseil municipal entérine ce choix.

Nous sommes alors en octobre 2007.

Au scrutin de mars 2008, une nouvelle majorité remporte les élections. La nouvelle équipe dénonce les conditions dans lesquelles le marché a été attribué. En effet l’entreprise retenue pour le changement du standard téléphonique est gérée par un conseiller municipal de l’ancienne majorité, par ailleurs membre de la CAO.

Le nouveau maire en exercice, ancien conseiller d’opposition, porte plainte pour prise illégale d’intérêts et favoritisme, ce qui vaut au conseiller intéressé, mais également au maire, d’être cités devant le tribunal correctionnel.

Sortir au moment du vote ne suffit pas

L’ex-conseiller municipal se défend en relevant qu’il n’était pas présent lors de la réunion de la CAO qui a proposé de retenir l’offre de son entreprise et qu’il s’est abstenu de participer au vote du conseil municipal retenant l’offre.

Autant de précautions qui sont jugées insuffisantes par le le tribunal correctionnel de Marseille qui retient le prévenu dans les liens de la prévention.

En effet, il ressort du procès verbal du conseil municipal que l’intéressé était "présent lors de cette séance délibérative, qu’il a eu la parole pour présenter le produit proposé par sa société et que ce n’est qu’au moment du vote qu’il est sorti de la salle".

Ce d’autant que :

 le cahier des charges a été rédigé sur les conseils de l’élu, la fonctionnaire territoriale en charge du dossier n’ayant pas les compétences techniques pour ce type de marché. Comme par hasard le cahier des charges impose des références de matériel qui correspondent à une marque précise que l’entreprise de l’élu utilise... De fait quatre entreprises qui avaient envisagé de déposer une offre ont déclaré aux enquêteurs avoir finalement renoncé en raison de ces spécifications techniques ;

 l’élu a également rédigé en amont de la procédure un premier devis pour aider la collectivité à rédiger le cahier des charges et à prévoir le budget nécessaire.

Ainsi l’élu est intervenu en amont de la préparation du dossier et, profitant de ses compétences et de son autorité technique, a pu imposer ses préférences et son avis et influencer ainsi les personnes chargées de formaliser le marché.

"Le fait qu’il n’ait ni participé à la commission ayant retenu son offre, ni voté, ne change rien à sa participation à l’opération qui résulte de l’ensemble des faits ayant émaillé la préparation et l’élaboration du marché".

Les précautions prises par l’élu au moment du vote se retournent même contre lui, prouvant qu’il était conscient du conflit d’intérêts :

"son abstention au vote concourt à établir qu’il avait conscience qu’il ne pouvait pas cumuler sa fonction de conseiller municipal avec la prise d’un intérêt personnel dans l’opération".

Avec la complicité du maire

Quant au maire en exercice au moment des faits, sa responsabilité est également retenue en sa qualité de complice dès lors qu’il connaissait la double qualité du conseiller municipal. Selon le tribunal, le maire aurait dû :

 s’opposer à ce que la société de son conseiller soumissionne ;

 déclarer le marché infructueux ;

 s’opposer à ce que le conseiller intéressé participe à la séance du conseil municipal portant sur le choix de l’entreprise.

Peu importe à cet égard que le maire ait demandé à l’intéressé de ne pas participer au vote et l’ai invité à sortir de la salle du conseil. C’était déjà trop tard compte-tenu de l’implication de l’élu en amont de la délibération.

Clause technique sur mesure

Le délit de favoritisme est également constitué : l’obligation faite aux candidats d’utiliser un matériel d’une marque déterminée matérialise l’insertion dans le cahier des charges d’une clause technique sur mesure pour l’entreprise retenue, de telles spécifications techniques ayant découragé les concurrents à présenter une offre.

Ici c’est l’ancien maire qui est condamné comme auteur principal de l’infraction, le tribunal retenant que c’est lui qui a sollicité l’intervention de son conseiller pour la rédaction du cahier des charges. L’ex-conseiller municipal n’échappe pas pour autant à toute responsabilité. Il est également condamné, ainsi que son entreprise, mais du chef de recel de favoritisme puisqu’ils sont bénéficiaires du marché litigieux et avaient conscience de l’illégalité de la passation.

Les deux élus sont condamnés chacun à 10 000 euros d’amende et à trois ans d’inéligibilité, l’entreprise attributaire écopant pour sa part de 25 000 euros d’amende.

Tribunal correctionnel de Marseille, 29 avril 2013, n° 2782

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