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Décentralisation Acte III : présentation du projet de loi Lebranchu

Par Me Solenne Daucé

Me Solenne Docé du cabinet Seban & associés nous présente les dispositions phares du projet de loi Lebranchu.

 [1]


L’engagement du processus pour l’adoption d’un acte III de la décentralisation a conduit à la présentation en conseil des ministres le 10 avril dernier de trois projets. Seul le premier, intitulé « Projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles » fait, à ce stade, l’objet d’un examen parlementaire. Ce projet, débattu au Sénat à compter du 30 mai 2013, a d’ores et déjà été amendé par la Commission des lois. Nous nous attacherons ici à en présenter les dispositions phares en matière d’organisation des compétences et d’intercommunalité.

I/ Organisation des compétences entre personnes publiques locales

A. Clause générale de compétence et financements croisés

Lors des débats en 2010 sur la loi de réforme des collectivités territoriales, la question de l’existence de la clause générale de compétences des départements et régions, ainsi que celle de l’enchevêtrement des financements (le second constat étant considéré comme étant, au moins partiellement, lié à cette clause générale d’intervention), avaient été particulièrement discutées devant les assemblées parlementaires, pour aboutir, in fine, à la suppression de cette clause et à l’instauration d’un article L. 1111-10 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) venant limiter les financements entre collectivités locales.

La volonté affichée tant du gouvernement que des membres de la Commission des lois est celle d’un rétablissement de la clause générale, avec toutefois quelques ajustements rédactionnels dont la teneur demeure à définir, et la disparition des notions de compétences « exclusives » et « partagées ». Par ailleurs, les règles relatives aux financements croisés de l’article L. 1111-10 du CGCT auraient en revanche vocation à perdurer.

B. Organisation des compétences locales

Le projet de loi vise également à « clarifier l’action publique locale » et désigne, dans cette perspective, la catégorie de collectivité « chef de file » pour un domaine de compétence donné, chargée de coordonner cette compétence, d’en organiser les modalités d’exercice (nouvelle version de l’article L. 1111-9 du CGCT et donc suppression des conférences des exécutifs et des schémas d’organisation des compétences et de mutualisation des services). La commission du Sénat a, sur ce point, quelque peu retouché le texte initial, en octroyant la qualité de chef de file aux régions pour l’aménagement et le développement durable du territoire, le développement économique et touristique (le tourisme ayant initialement été « confié » aux départements), à l’innovation et à la complémentarité entre les modes de transports (quand, dans sa version antérieure, le texte mentionnait « l’organisation des transports », tandis que les communes étaient alors chefs de file en matière de mobilité durable).

S’agissant des départements, ils seraient chefs de file pour les compétences en matière d’action sociale et cohésion sociale, d’autonomie des personnes, d’aménagement numérique et de solidarité des territoires. Les compétences mentionnées pour les communes (ou leurs EPCI à fiscalité propre) chefs de file devraient, compte tenu du caractère plus général de la formulation retenue, vraisemblablement être examinées à l’aune de ce qui vient d’être exposés pour les autres collectivités : accès aux services publics de proximité, développement local et aménagement du territoire.

Concrètement, les modalités de l’action commune des collectivités dans ces domaines de compétence, devraient être définies dans le cadre de la « conférence territoriale de l’action publique », également créée par le projet de loi et ayant vocation à succéder aux conférences de l’exécutif. Cette conférence, instituée au niveau de chaque région, serait, à l’issue du travail de réécriture mené par la Commission des lois et, outre l’attribution précédemment évoquée, habilitée à donner des avis sur tous les sujets relatifs à l’exercice des compétences et toutes les politiques publiques nécessitant une coordination ou une délégation de compétences entre différents niveaux de collectivités. Sa composition a été amendée, notamment pour éviter une assemblée pléthorique et réajuster la représentation entre communes urbaines et rurales.

Si le projet de loi de Madame Lebranchu proposait l’instauration d’un « pacte de gouvernance territoriale », constitué de l’ensemble des schémas d’organisation sectorielle des collectivités avec un système incitatif pour son adoption (impossibilité de procéder à des délégations de compétences et à des cumuls de subventions en l’absence de pacte), la Commission des lois du Sénat a choisi de supprimer ce dispositif, considéré comme un facteur de complexification et dont la constitutionnalité, au regard du principe de non tutelle d’une collectivité sur une autre, pourrait être contestée.

II/ L’intercommunalité

A. Les spécificités du texte concernant l’Ile-de-France

L’article 11 du projet de loi organise les modalités d’achèvement et de rationalisation de la carte intercommunale en petite couronne parisienne, seul territoire sur lequel les communes avaient été exemptées, par la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010, dite loi RCT,, de l’obligation d’intégration d’un EPCI à fiscalité propre. Ainsi, un schéma interdépartemental de coopération intercommunale devrait être élaboré par le préfet de la région Ile-de-France, portant sur les départements des Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne « en tenant compte » des SDCI. Le projet de schéma devrait être présenté à la commission interdépartementale de coopération intercommunale avant le 1er mars 2015, pour un schéma arrêté avant le 31 octobre de la même année. Le processus de mise en œuvre, déjà connu, pourrait alors être engagé par les préfets des trois départements précités, qui disposeraient de la possibilité de « passer outre » le désaccord de la majorité des communes concernées.

Compte tenu du niveau actuel d’intégration intercommunale des communes de la petite couronne, les conséquences de l’achèvement de la carte seront particulièrement importantes sur le mode d’exercice de certaines compétences, lorsque l’on sait, par exemple, que le transfert de compétences obligatoires ou optionnelles à une communauté d’agglomération emporte normalement le retrait des syndicats auxquels les communes avaient préalablement confié la compétence en cause.
Sur ces questions, un point fera, à n’en pas douter, l’objet d’importants débats au Sénat, il concerne le seuil de population des EPCI à fiscalité propre d’Ile-de-France : si le projet de loi, dans sa version d’origine, envisageait un plancher en petite comme en grande couronne, tel n’est plus le cas avec le texte de la Commission, lequel impose la constitution d’EPCI de plus de 200.000 habitants uniquement en petite couronne.
S’agissant toujours des spécificités de l’Ile-de-France, on ne saurait omettre de mentionner la création de « Grand Paris Métropole » [2], établissement public dont les missions seraient, à l’issue de la rédaction proposée par la Commission, principalement axées sur l’aménagement et le logement.

On relèvera notamment :

 la possibilité de mettre en œuvre des opérations d’aménagement d’intérêt métropolitain et d’obtenir de l’Etat des compétences dérogatoires en matière de création et réalisation de zones d’aménagement concerté de délivrance d’autorisations de construire ;

 l’éventuelle mise à disposition des établissements publics d’aménagement de l’Etat ;

 l’élaboration d’un plan métropolitain de l’habitat ;

 les délégations possibles de l’Etat en matière d’habitat (aides à la pierre, gestion des réservations de logement).

Pour être complet, on indiquera que l’article 13 du projet de loi envisage la mise en place d’un schéma régional de l’habitat et de l’hébergement en Ile-de-France destiné à favoriser la création de logements ; la Commission des lois a par ailleurs supprimé l’article 14 consacré au fonds de solidarité en Ile-de-France, « à titre conservatoire, afin de marquer sa nette opposition aux modalités du fonds (…) telles qu’elles sont conçues par le projet de loi, tout en souhaitant que puissent être définis des critères objectifs de prélèvement et de reversement ». Les articles 15 à 17 consacrés au STIF (extension des compétences du syndicat aux questions de « mobilité durable », cohérence des programmes d’investissement menés par le syndicat et la Société du Grand Paris et coordination entre les actions de la Société du Grand Paris et le syndicat), examinés par la Commission développement durable, n’ont pas fait l’objet de modifications par la Commission des lois tandis que cette dernière a quelque peu amendé les dispositions consacrées à l’établissement public de gestion du quartier d’affaires de La Défense [3].

B. Le nouveau régime des métropoles

Grand Paris Métropole n’est pas une « métropole » au sens générique du terme, tel que l’envisage le Code général des collectivités territoriales. Créée par la loi RCT, cette catégorie d’EPCI fait ici l’objet d’une refonte.

Immédiatement, on indiquera que la Métropole de Lyon et celle d’Aix-Marseille-Provence font l’objet de dispositions spécifiques.
La première (articles 20 à 29) a vocation à être érigée en collectivité à statut particulier (au sens constitutionnel), au territoire couvrant le département du Rhône et exerçant notamment, outre des compétences « métropolitaines » issues des compétences communales (dont la gestion pourrait, pour certaines, être déléguée aux communes situées sur son territoire), celles confiées aux départements. Cette nature hybride conduit à l’énoncé de dispositions légales spéciales.

La seconde, regroupant les communes d’une communauté urbaine (Marseille Provence Métropole), quatre communautés d’agglomération (Pays d’Aix-en-Provence, Salon Etang de Berre Durance, Pays d’Aubagne et de l’Etoile, Pays de Martigues) et un syndicat d’agglomération nouvelle (Ouest Provence), demeurerait un EPCI à fiscalité propre soumis au régime métropolitain de droit commun, sous réserve de spécificités tenant aux éléments constitutifs de son périmètre et aux conditions de collaboration entre les territoires pour conduire le projet métropolitain (instauration d’un conseil de territoire). La structure exercerait les compétences détenues à la date de sa création par les EPCI fusionnés, certaines pouvant toutefois êtres restituées aux communes membres et serait créée au 1er janvier 2016 (un an après la Métropole de Lyon).

Enfin, le régime de droit commun des métropoles est refondu [4], sans qu’il ne soit applicable « ni à la région Ile-de-France, ni à la communauté urbaine de Lyon ». En revanche, un statut d’« Eurométropole » est conféré à Lille et Strasbourg. A ce stade, la Commission des lois a finalement ouvert la possibilité d’obtenir ce statut aux EPCI formant un ensemble de plus de 450 000 habitants au sein d’une aire urbaine de 750 000 habitants ; elle a, en outre, souhaité alléger le dispositif en remplaçant les « conseils de territoire » par une « conférence métropolitaine ».

S’agissant des compétences transférées, il importe tout particulièrement de relever que l’accent est notamment mis sur la fonction d’autorité organisatrice de réseaux de la métropole, notamment en matière de voirie, de transports urbains, de communications électroniques, d’eau et d’assainissement, de collecte et de traitement des déchets, mais aussi d’énergie, compétences souvent exercées par des syndicats dits « techniques ». Ainsi en matière d’énergie, on indiquera que la métropole serait, à l’issue du texte amendé par la Commission des lois, compétente de plein droit en matière de « concession de la distribution publique d’électricité, de gaz et de chaleur ».

C. Les autres structures intercommunales

Le projet de loi, outre qu’il réduit le seuil de création des communautés urbaines (de 450 à 400.000 habitants et instauration de critères dérogatoires), vient étendre les compétences obligatoires des communautés urbaines dans des domaines variés (tourisme, enseignement supérieur et recherche, aires d’accueil des gens du voyage…), sans intégrer les compétences en matière énergétique précédemment évoquées pour les métropoles. Les compétences des communautés de communes et d’agglomération ne sont pas abordées dans le texte examiné mais uniquement dans le troisième projet de loi de développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale.
D’autres dispositions, dé portée plus générale devront faire l’objet d’un suivi attentif : évolution de l’article consacré au transfert des pouvoirs de police vers les EPCI [5], réécriture des règles en matière de services communs [6], article général sur les conséquences du changement d’employeur en matière d’intercommunalité [7].

sdauce@seban-associes.avocat.fr

[1Solenne Docé avocat à la cour, cabinet Seban & Associés

[2articles L. 5732-1 et suivants du CGCT

[3articles 18 et 19

[4articles L. 5217-1 et suivants du CGCT

[5article L. 5211-9-2 et notamment en matière de circulation

[6article L. 5211-4-2, comprenant une énonciations des missions concernées et un nouveau mode de gestion de ces services

[7article L. 5111-7 : conservation du régime indemnitaire et des avantages acquis, négociation sur l’action sociale)