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Diffamation et campagnes électorales : attention à l’effet boomerang !

Par Me Levent Saban

Mieux vaut y réfléchir à deux fois avant d’engager une action en diffamation en période électorale : le débat sur la vérité des faits peut donner lieu à une véritable contre communication pour l’adversaire pendant la campagne...

 [1]


Dans le contexte des élections et des campagnes qui les précèdent, le contenu des tracts échangés, les propos tenus publiquement au cours de réunions ou d’entretiens sur les ondes radiophoniques ou à la télévision, sont autant de sujets de polémiques que l’on décide parfois de porter sur le champ judiciaire.

La lecture et l’analyse des décisions rendues en matière de droit de la presse suite à des scrutins électoraux montrent la réserve des magistrats à sanctionner effectivement les délits de presse dans les périodes de « polémique électorale », et laissent une place plus large à la polémique politique, au nom de la liberté d’expression qui autorise un débat en principe plus ouvert sur les mérites d’un candidat qui se présente aux suffrages.

"Bonne foi" et polémique électorale autorisée

En matière de droit de la presse, sur le plan technique, la « bonne foi » vient effacer tous les effets juridiques du délit pénal. En d’autres termes, la bonne foi est un fait justificatif qui exclut la déclaration de culpabilité de la personne poursuivie. Outre les conditions juridiques habituelles de la bonne foi (but légitime poursuivi, existence d’une enquête sérieuse préalable, prudence dans l’expression, absence d’animosité personnelle), il faut que les imputations, exprimées dans le contexte du débat électoral, concernent l’activité publique de la personne mise en cause, en dehors de toute attaque contre sa vie privée et de toute dénaturation de l’information.

 Ainsi, malgré la violence des termes employés, la bonne foi a pu être retenue pour l’auteur d’un tract, qui démontrait sa volonté d’informer les électeurs de la réalité de la situation financière de la commune après le départ de son ancien maire, et qui écrivait : « Hausse de la fiscalité : François Y..., le pompier pyromane... Parce que [la commune] est malade, malade d’une gestion politicienne de la ville qui a conduit Y... et ses apparatchiks à truquer les comptes en minorant les dépenses et en inventant des recettes fictives pour éviter, avant les élections, l’augmentation des impôts que leur imposait l’état de faillite dans lequel ils avaient mis la ville... Les apparatchiks sont partis mais Y..., le pompier incendiaire qui a mis le feu à la ville, tente toujours d’en faire porter la responsabilité à l’équipe de François Z... » [2].

 La bonne foi était également reconnue à des journalistes poursuivis du chef de diffamation, qui avait publié deux articles, l’un quelques jours avant les élections présidentielles, et l’autre avant les élections législatives, contenant des propos destinés à informer les électeurs sur le passé d’un candidat : « Attendu que, pour confirmer le jugement frappé d’appel par la partie civile, l’arrêt énonce que les articles litigieux ont été publiés dans des périodes électorales comportant des enjeux d’une importance telle qu’il était légitime de la part du journal d’informer ses lecteurs sur le comportement, pendant la guerre d’Algérie, du lieutenant X..., candidat au second tour des élections présidentielles et chef d’un parti présentant des candidats aux élections législatives ; que les juges retiennent, en outre … que la journaliste a mené une enquête sérieuse ; qu’ils relèvent ensuite que cette dernière a fait preuve de prudence dans l’expression dès lors que, si les termes employés sont forts, elle s’est attachée à rapporter les déclarations des témoins qu’elle a entendus sans assortir leurs dires de commentaires qui puissent en altérer le sens ou en renforcer la portée ; qu’enfin les juges constatent que les écrits litigieux sont dépourvus de toute manifestation d’animosité personnelle à l’égard de la partie civile » [3].

 A été encore retenue la bonne foi, dans une affaire où quatre tracts diffamatoires avaient été distribués portant sur le « caractère autocrate d’un maire sortant », et sur sa gestion des affaires municipales ; l’auteur du tract joignait en outre, au verso des tracts, une décision du Conseil d’Etat qui avait annulé le précédent scrutin électoral en pointant des faits qualifiés de « fraude électorale ». La Cour de Cassation approuvait les motifs de la Cour d’Appel, qui avait retenu pour justifier sa décision de relaxe, l’existence chez l’auteur du tract de l’intention d’éclairer les électeurs sur le mérite d’un candidat dès lors que les imputations ne concernaient que l’activité publique de la personne mise en cause, en dehors de toute attaque contre sa vie privée, et dès lors que leur publication était faite dans des conditions et dans un temps permettant la réplique [4].

 Il était encore jugé que n’était pas diffamatoire le fait, dans un tract d’écrire que « le maire cache l’endettement réel de la commune ». La Cour d’Appel de Montpellier avait ici retenu la bonne foi en écrivant : « que tout citoyen dispose de la liberté d’opinion et du libre droit de critique et qu’en matière de polémique politique la notion de bonne foi, invoquée par les prévenus, doit être appréciée plus largement ; qu’il s’agit en l’espèce d’un débat de chiffres, habituel dans le cadre de toutes les élections politiques, chaque candidat ayant le souci de présenter ceux-ci au mieux de ses intérêts, et son contradicteur ayant la possibilité de leur opposer d’autres chiffres et d’autres sources… en l’espèce dès lors que les prévenus, en faisant connaître leurs propres chiffres aux électeurs, ont poursuivi un but légitime, n’ont fait preuve d’aucune animosité personnelle, ont justifié de leurs affirmations dans le tract et ont conservé la prudence et la mesure dans l’expression ; qu’en conséquence leur bonne foi sera retenue et qu’ils seront relaxés » [5].

 Ne contient pas d’imputation diffamatoire le fait de dire d’un candidat qu’il a eu recours à un « stratagème » et à des pratiques « réservées à des républiques dites bananières » pour faire de son investiture un « plébiscite par défaut ». Le juge pénal indiquait d’ailleurs que de tels propos, devaient s’inscrire « dans le cadre d’une critique acceptable dans un régime de libre expression démocratique dans une campagne électorale au cours de laquelle le candidat doit accepter les critiques » [6] !

 N’a pas non plus été jugé diffamatoire le simple fait d’affirmer que des fonds publics n’ont pas été utilisés à bon escient, ce qui n’induit pas, selon la Juridiction, l’existence d’une imputation de malversation. La Cour de Cassation approuvait en effet ici la Cour d’Appel de Saint-Denis de la Réunion, qui avait motivé sa décision de relaxe en retenant qu’ « il apparaît nécessaire de permettre aux candidats à une élection d’interroger les élus sortants sur leur gestion ; que le simple fait d’affirmer que des fonds n’ont pas été utilisés à bon escient ne suppose pas automatiquement une insinuation de détournement à des fins personnelles » [7].

En définitive, dans le cadre du débat électoral, le juge pénal retient assez largement la notion de bonne foi, ce qui a pour conséquence immédiate de faire échapper l’auteur des propos à une déclaration de culpabilité, même si la « bonne foi » demeure encadrée par des conditions juridiques : existence d’un but légitime (intention d’éclairer les électeurs sur le mérite d’un candidat), les imputations ne doivent concerner que l’activité publique de la personne mise en cause en dehors de toute attaque contre sa vie privée, absence d’animosité personnelle, prudence et mesure dans l’expression, enquête préalable sérieuse (vérification du bien fondé des imputations), enfin, la publication faite dans des conditions et dans un temps permettant la réplique. A défaut, les conditions d’un débat loyal ne seraient pas réunies [8].

Les abus d’expression sanctionnés

A l’inverse, on citera ici une série d’exemples où le juge pénal décidait de retenir le délit comme constitué, soit parce que les termes de l’imputation étaient violents, soit parce que l’auteur des propos affichaient une animosité personnelle dans les termes utilisés, soit enfin pour des raisons de contexte tirés du cas d’espèce qui lui était soumis et qui amenait le Juge à analyser les propos poursuivis comme étant diffamatoires.

 A été jugé comme diffamatoire le fait, pour un ancien premier adjoint d’un maire, dans un article portant sur les questions d’occupation du domaine public, de dire : « pour avoir une terrasse, ce n’est pas la peine de donner une enveloppe au maire » [9]

 A été jugé diffamatoire à l’égard d’un maire, la publication sur un blog d’un billet intitulé « Le maire invalidé...et toujours là » et comportant les propos suivants : « Un maire du canton, il y a plusieurs mois a été invalidé par le tribunal, car il avait financé son entreprise avec des fonds communaux. Il n’a plus le droit d’être Maire et est inéligible pendant 5 ans. Il est pourtant toujours en place, car le préfet n’a pas demandé sa démission ! » ; La cour de Cassation confirmait la condamnation de l’auteur du blog et lui refusait le bénéfice de la bonne foi en estimant que : « M. X... impute à M. Y... d’avoir commis, en sa qualité de maire de la commune (...), un détournement de fonds publics au profit d’une entreprise lui appartenant, délit établi par une procédure judiciaire, alors qu’il s’agissait d’une prise illégale d’intérêts, et de se maintenir dans ses fonctions, en dépit d’une inéligibilité résultant de cette décision de justice, alors que, lors de la publication du premier billet sur son "blog", la partie civile avait recouvré, par jugement, sa capacité électorale » [10].

 Ou encore le fait, pour un maire et en qualité de directeur de publication, de publier dans le magazine municipal un article intitulé « note de la rédaction » imputant à des conseillers municipaux de lui avoir proposé de l’argent pour pouvoir figurer sur sa liste de candidats aux élections municipales de 2001, alors qu’il s’agissait en réalité de l’envoi, par les conseillers municipaux en question, d’un chèque au titre de leur participation financière à la campagne (que le maire refusait). De même, sont diffamatoires les propos qui accusaient dans le même article d’anciens élus municipaux d’avoir, « sans scrupules », continué à percevoir leurs indemnités de fonction, en sous-entendant que ces élus ont encaissé ces indemnités sans aucune contrepartie d’activité [11].

 Sont injurieux, même dans une période de polémique électorale, les termes publiés par un journal visant un maire, candidat à sa succession, le qualifiant de « grand manipulateur dont la trahison a des allures de vocation », avec également en illustration d’une photographie, la légende suivante : « l’équipe pose encore incomplète, il y a quelques jours. C’était avant l’arrivée du grand manipulateur, menteur et bonimenteur » [12]

 A été jugé coupable du délit d’injures publiques, le fait, pour un candidat, de déclarer devant la presse à propos d’un autre candidat « moi, je ne vote ni pour un stalinien ni pour un nazi »  [13].

 A été déclaré coupable du délit de provocation à la discrimination raciale une diffusion de profession de foi intitulée « Islamistes dehors, remettons de l’ordre en France » par un candidat à des élections cantonales partielles. La Cour de cassation approuvait d’ailleurs la cour d’Appel qui relevait que le contenu de la profession de foi que doit diffuser la commission de propagande électorale restait de la seule responsabilité du candidat [14]

 A été jugé diffamatoire, la parution, avant le premier tour des élections municipales, sous le titre « agression ou provocation », d’un article selon lequel un tract avait été distribué par Bernard A..., candidat à ces élections, qui relatait une agression dont aurait été victime Françoise B..., candidate sur la même liste, ainsi que son fils et le gendre de Bernard A... à la sortie d’une réunion électorale ; Les Magistrats retiennent ici que « l’article insinue que l’agression a été inventée, exagérée, voire organisée par les victimes elles-mêmes et que cette imputation porte atteinte à l’honneur et à la considération des parties civiles ». La bonne foi a été ici écartée au motif que « l’article est tendancieux et d’une ambiguïté imprudente sur des faits relatifs à la vie privée des personnes visées », et que le journaliste a manqué à son devoir d’objectivité en ayant sollicité l’opinion de certains candidats mais non celle de la personne visée [15].

 Constitue également le délit de diffamation publique l’imputation, dans un tract électoral, à un maire de « polluer l’eau de la commune » ; ici, le fait justificatif de la bonne foi tiré de la nécessité d’informer les électeurs sur les mérites d’un candidat était refusé [16].

 Ont été jugés diffamatoires le fait, pour un candidat aux élections législatives, d’avoir écrit dans un tract que son adversaire était responsable du « hold-up de (ses) bulletins » (les 60.000 bulletins de vote transmis à la mairie pour être distribués dans les divers bureaux de vote avaient disparu le jour des élections) et le fait d’avoir écrit sur une banderole que la mairie était le « bureau de la fraude » et des « vols » [17].

 Enfin, a été déclaré diffamatoire, le fait pour un candidat, dans le cadre d’un débat radiophonique en confrontation avec un autre candidat, d’avoir affirmé que son adversaire avait fait l’objet d’une condamnation pénale pour « avoir embauché des travailleurs clandestins » ; l’auteur des propos avait fait ici une confusion : si son adversaire avait bien fait l’objet d’une condamnation pénale récemment, c’était pour des faits « d’arrestation, séquestration ou détention arbitraire et immixtion dans une fonction civile ou militaire en accomplissant des actes réservés aux officiers de police judiciaire », tandis que la condamnation pour l’emploi de main d’œuvre clandestine avait été prononcée contre une autre personne (qui appartenait à la même famille politique que ce candidat adverse). La Cour de Cassation n’a pas reconnu ici de place pour la bonne foi, même si l’imputation avait été lancée dans le « feu du débat » sur une radio nationale à heure de grande écoute, et dans un contexte de polémique électorale manifeste. Il a été jugé ici que la polémique électorale ne pouvait autoriser à prononcer des accusations fausses et qu’il y avait eu négligence du fait de l’absence de vérification du bien-fondé des propos [18]

[1Photo : Me Levent Saban, avocat associé au Barreau de Saint-Etienne Cabinet Philippe Petit et associés

[2Cour de cassation, Ch. criminelle, 24 mai 2005, N°04-86181

[3Cour de cassation, Ch. criminelle, 27 septembre 2005, N°04-85956

[4Cour de cassation, Ch. Criminelle, 1er mars 2005, N°04-85042

[5Cour de cassation, Ch. Criminelle, 6 mai 2003, N°02-86486

[6Cour de cassation, Ch. Criminelle, 20 juin 2006, N°05-87036

[7Cour de cassation, Ch. Criminelle, 3 mai 2000, N°99-85668

[8Cour de cassation, Ch. Criminelle, 2 octobre 2012, N°11-83188

[9Cour de Cassation, Ch. Criminelle, 6 décembre 2011, N°10-87556

[10Cassation, Ch. Criminelle, 2 octobre 2012, N°11-84972

[11Cour d’appel de Versaille – 16 mars 2004 – 8ème Chambre corr.

[12Cour de Cassation, Ch. Criminelle, 30 mars 2005, N°04-85709)

[13Cour de cassation, Ch. criminelle, 21 juin 2005, N° 04-85778

[14Cour de cassation, Ch. criminelle, 2 mars 2004, N°03-82549

[15Cour de cassation, Ch. criminelle, 20 mai 2003, N°02-83451

[16Cour de cassation, Ch. criminelle, 14 janvier 2003, N°02-82242

[17Cour de cassation, Ch. criminelle, 19 décembre 2000, N° 00-82585

[18Cour de cassation, Ch. criminelle, 14 décembre 1999, N°99-81865