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Jurisprudence

Prix bas et pratiques anti-concurrentielles

Conseil de la concurrence 18 janvier 2008 n° 08-D-01

Un acheteur public peut-il être assimilé à un "consommateur" au sens de l’article L420-5 du code de commerce prohibant les prix abusivement bas ?


Un centre hospitalier lance en décembre 2005 un appel d’offres pour une mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage relative à la construction d’un établissement d’hébergement de personnes âgées dépendantes. Le marché est attribué à la direction départementale de l’équipement (DDE) du Gard.

Une société évincée, estimant que l’offre retenue est abusivement basse, saisit le conseil de la Concurrence sur le fondement de l’article L 420-5 du code de commerce. Aux termes de cet article sont en effet prohibées "les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’éliminer d’un marché ou d’empêcher d’accéder à un marché une entreprise ou l’un de ses produits".

Le conseil de la concurrence déboute la société concurrente. Il rappelle en effet que la qualification de prix abusivement bas suppose la réunion de trois conditions cumulatives :
1° Le prix en question doit être un prix de vente au consommateur
2° Le niveau de prix proposé doit être insuffisant au regard des coûts de production
3° Le prix pratiqué doit traduire une volonté d’éviction ou bien comporter une potentialité d’éviction du concurrent ou du produit concurrent.

Or s’agissant du premier critère la Cour d’appel de Paris (3 juill. 1998, n° 97/15750) a défini la notion de "consommateur" comme "la personne physique ou morale qui, sans expérience particulière, dans le domaine où elle contracte, agit pour la satisfaction de ses besoins personnels et utilise dans ce seul but le produit ou le service acquis". Toujours selon cette juridiction, "l’exigence [qui pèse sur les personnes responsables de la passation des marchés d’analyser la composition des offres et notamment les prix anormalement bas], suppose une compétence technique dans le domaine où elle intervient, présumée par la loi, qui est incompatible avec la notion de "consommateur" au sens de l’article L420-5 du code de commerce".

Autrement dit la notion de consommateur suppose une relative inexpérience qui est inconciliable avec les compétences présumées de l’acheteur public par le droit de la commande publique. Et le conseil de la concurrence d’en déduire qu’en l’espèce le centre hospitalier ne saurait être assimilé à un consommateur dépourvu d’expérience dès lors "qu’il a élaboré lui-même un dossier d’étude administratif et technique sur le projet de construction" et "qu’il a établi, pour l’appel d’offres en cause, un cahier des charges et un cahier des clauses administratives qui définissent les prestations dans le détail ainsi que la définition des critères qui permettront la sélection des candidats". Certes poursuit le Conseil de la Concurrence, "sa demande d’assistance révèle que le centre hospitalier peut être considéré comme "sans expérience particulière" pour ce qui concerne le futur marché de la construction de l’établissement d’hébergement, mais son analyse des propositions d’aide à la maîtrise d’ouvrage, seul objet du présent marché, témoigne de son expérience dans la sélection de cette aide".

De surcroît le troisième critère (exigence d’une stratégie prédatrice) n’est pas plus rempli. En effet, ce critère ne peut être appliqué "lorsqu’un prix n’est inférieur au coût variable moyen que de façon épisodique" et suppose une stratégie prédatrice crédible au regard notamment de la part détenue par la société en cause sur le marché concerné. Or, en l’espèce, aucun indice ne permet au conseil d’en déduire que le comportement de la DDE dans ce seul marché est susceptible de produire un effet d’éviction sur le marché général puisqu’au contraire il ressort du dossier que le chiffre d’affaires de la société requérante a augmenté en deux ans de près de 50 %.

Ce qu'il faut en retenir

1) Le conseil de la concurrence ne peut sanctionner des pratiques de prix abusivement bas que si trois critères cumulatifs sont réunis :
1° Le prix en question doit être un prix de vente au consommateur
2° Le niveau de prix proposé doit être insuffisant au regard des coûts de production
3° Le prix pratiqué doit traduire une volonté d’éviction ou bien comporter une potentialité d’éviction du concurrent ou du produit concurrent.

2) Une collectivité publique peut difficilement être qualifiée de consommateur sans expérience au sens de l’article L420-5 du code du commerce dès lors que la soumission des acheteurs publics aux règles de la commande publique présume une certaine compétence. Une société évincée d’un marché public peut d’autant donc difficilement invoquer ces dispositions pour faire sanctionner une pratique jugée déloyale. Ce d’autant plus qu’elle doit rapporter la preuve d’une véritable stratégie d’éviction du marché. Un comportement isolé sur un seul marché ne peut suffire, surtout si, comme en l’espèce, le chiffre d’affaires de la société requérante a augmenté.

3) Rappelons qu’aux termes de l’article 55 du code des marchés publics "si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu’il juge utiles et vérifié les justifications fournies (...) Pour les collectivités territoriales et les établissements publics locaux (...) c’est la commission d’appel d’offres qui rejette par décision motivée les offres dont le caractère anormalement bas est établi". S’en suit une liste de considérations pouvant être prise en compte. Si cette liste n’est pas limitative, compte-tenu de l’emploi de l’adverbe "notamment", s’en écarter c’est prendre le risque que le juge pénal y décèle un indice de favoritisme.