Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative

Elus entrepreneurs : attention à la prise illégale d’intérêts

Tribunal correctionnel des Sables-d’Olonne, 18 octobre 2012, N° 935

Un maire peut-il librement faire travailler l’entreprise qu’il dirige pour le compte de la collectivité dès lors que cette dernière n’est pas lésée par le contrat ?

Non sous peine de se rendre coupable de prise illégale d’intérêts. S’il existe des dérogations pour les communes de moins de 3501 habitants, c’est à la condition de respecter de strictes conditions de fond et de forme qui sont cumulatives. En particulier l’entreprise du maire ne peut pas fournir de prestations pour un montant dépassant le seuil annuel de 16 000 euros. Est ainsi condamné à 10 000 euros d’amende un maire qui a fait travailler le garage et l’entreprise de transport qu’il dirigeait pour le compte de la collectivité au-delà de ce montant. Peu importe qu’aucun enrichissement personnel n’ait été constaté, ni que la collectivité n’ait pas été lésée par le marché. Il est tout aussi indifférent que le trésorier payeur n’ait soulevé aucune irrégularité.

A l’occasion d’un contrôle de la chambre régionale des comptes (CRC), il est constaté que la commune (1000 habitants) a contracté avec une entreprise de transports et un garage pour des montants cumulés annuels allant de 16 484 euros à 28 416 euros.

Jusqu’ici rien d’illégal. Sauf que les deux entreprises en question sont dirigées par... le maire de la commune. Or si l’article 432-12 du code pénal tolère, sous certaines conditions, que le maire d’une commune de moins de 3501 habitants puisse contracter avec la commune, c’est à la condition notamment que le montant des factures ne dépasse pas annuellement 16 000 euros.

Poursuivi pour prise illégale d’intérêts le maire invoque pour sa défense
l’absence d’autres entreprises sur le secteur. Il relève également avoir, à plusieurs reprises, prêté à la commune des véhicules pour l’organisation de manifestations. S’il reconnaît une négligence s’agissant du dépassement du seuil de 16 000 euros annuels, il impute ce dysfonctionnement à un manque de personnel au sein de la collectivité pour vérifier la légalité des factures. En outre, poursuit-il, le trésorier payeur n’a jamais soulevé la moindre difficulté quant au paiement des factures litigieuses.

Peu importe répond le tribunal qui condamne l’élu à 10 000 euros d’amende, le maire ayant pris le risque d’user de la dérogation prévue par les textes sans prendre de précautions pour éviter de dépasser le plafond autorisé :


 "l’absence d’enrichissement personnel est sans influence puisque seul l’abus de fonctions est pénalement sanctionné et porte atteinte à l’intérêt public" ;


 "l’infraction est constituée même s’il en résulte ni profit pour les auteurs, ni préjudice pour la collectivité" (...) et "même si l’opération litigieuse n’a pu aboutir. En conséquence l’inaction du trésorier payeur est sans incidence sur les faits reprochés".

Quant à l’élément intentionnel il est réalisé dès lors que le maire a accompli en connaissance de cause l’élément matériel constitutif du délit.

Traduction : c’est sciemment que le maire a fait travailler son entreprise pour le compte de la collectivité et cela suffit. La circonstance qu’il n’ait pas fait attention au franchissement du seuil, à la supposer avérée [1], est indifférente.

Tribunal correctionnel des Sables-d’Olonne, 18 octobre 2012, N° 935

[1Ce dont doute fortement le procureur de la République, au regard du montant des factures en constante augmentation d’une année sur l’autre, pour atteindre près du double du seuil de tolérance la dernière année .