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Le pouvoir de police du maire s’exerce aussi sur les sentiers non aménagés et faisant l’objet d’un balisage sauvage

Cour administrative d’appel de Bordeaux, 12 juillet 2016, N° 16BX00070

Les communes doivent-elles informer les randonneurs des dangers d’un sentier conduisant à un site pittoresque bien que celui-ci ne soit pas aménagé, ni officiellement balisé ?


Oui dès lors que le site , très fréquenté et dûment répertorié par les principaux guides touristiques et de randonnée, est particulièrement dangereux, son accès n’étant possible qu’en traversant des terrains extrêmement instables. La commune ne peut en effet ignorer l’existence du sentier permettant d’y accéder même si celui-ci fait l’objet d’un balisage non officiel, lequel est de nature à induire les randonneurs en erreur sur son aménagement. Il appartient au maire de faire procéder à l’effacement du balisage non officiel et à la fermeture de cet itinéraire ou d’afficher sur place une mise en garde à l’attention des randonneurs.

En avril 2002, au cours d’une randonnée sur le territoire de la commune de Cilaos [1], une famille est victime de deux éboulements successifs de roches et de terre émanant de la falaise en surplomb. Bilan : un mort et un blessé.

L’enquête établit qu’après avoir emprunté un sentier de randonnée balisé appartenant à l’ONF, une mère et sa fille ont entrepris de poursuivre jusqu’à un site naturel [2] signalé par les guides touristiques. Elles ont quitté à cette fin le sentier pour rejoindre, grâce aux indications d’un balisage sauvage, le lit de la rivière.

Les victimes et leurs ayants droit recherchent dans un premier temps la responsabilité de l’Office national des forêts (ONF) et de l’Etat. En effet l’ONF était chargé par le préfet de la Réunion d’assurer l’affichage des arrêtés d’interdiction temporaire de circuler consécutifs au passage d’un cyclone et de contrôler l’état des chemins.

Pas de responsabilité de l’Etat et de l’ONF

La Cour administrative d’appel de Bordeaux [3] écarte toute responsabilité de l’ONF ou de l’Etat :


 "la configuration des lieux permettait à l’évidence aux promeneurs, et a fortiori à ceux qui se revendiquent, comme les requérants, randonneurs expérimentés, de mesurer les risques auxquels ils s’exposaient du fait de l’instabilité des parois sub-verticales surplombant le lit du Bras rouge , très étroit à cet endroit, qui ne peut être regardé comme un chemin ouvert à la circulation du public" ;


 l’accident "résulte de la réalisation d’un aléa naturel et de la propre décision des victimes de s’écarter du chemin régulièrement balisé pour suivre le balisage sauvage qui ne donnait accès à aucun chemin, mais seulement au lit de la rivière qui n’était pas aménagé".

Les requérants changent alors leur fusil d’épaule et recherchent la responsabilité.... de la commune reprochant au maire une défaillance dans l’exercice de son pouvoir de police.

Condamnation de la commune en première instance

On aurait pu penser que les mêmes raisons conduisent aux mêmes effets. Il n’en est rien. Le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion retient la responsabilité de la commune :

 les "vasques d’eau chaude" que tentaient de rejoindre les victimes "sont un site pittoresque très fréquenté, dûment répertorié par les principaux guides touristiques et de randonnée de la Réunion et pour lequel la Maison de la Montagne à Cilaos délivre des informations et conseils" ;

 le site présente en lui même un caractère particulièrement dangereux, son accès n’étant possible qu’en traversant des terrains extrêmement instables ;

 le danger inhérent à ce site était aggravé par le récent passage du cyclone Harry qui avait justifié la fermeture des sentiers de randonnée par arrêté préfectoral ;

 la commune ne pouvait ignorer l’existence du sentier permettant d’y accéder, lequel était doté, d’une esquisse de marquage de nature à inciter le public à l’emprunter alors même que ce marquage ne résultait pas d’une initiative officielle.

Et le tribunal d’en conclure :

"qu’en s’abstenant de toute mesure destinée à informer le public ou à interdire l’accès à ce site présentant un danger particulier et connu, le maire de Cilaos a commis une faute dans l’exercice des pouvoirs qu’il tient des dispositions de l’article L2212-2 du code général des collectivités territoriales".

Si le tribunal reconnaît que les victimes ont commis "une imprudence en quittant le sentier de randonnée dûment balisé pour tenter de rejoindre un site naturel dont l’accès n’était possible que par un itinéraire non aménagé empruntant le lit d’un cours d’eau", cette circonstance est simplement de nature à atténuer la responsabilité de la commune à hauteur de 25 %. Les trois quarts des conséquences de l’accident restent donc à la charge de la commune.

Exonération de la commune en appel

La Cour administrative d’appel de Bordeaux [4] censure le jugement du tribunal administratif et exonère la commune de toute responsabilité :

 il ne résulte pas de l’instruction que le risque d’éboulement dans le lit de la rivière du "Bras Rouge" représentait un danger particulier excédant celui auquel les promeneurs devaient normalement s’attendre sur les sites similaires de l’île de La Réunion ;

 par un arrêté du 13 mars 2002 affiché en mairie, consécutif au passage d’une tempête tropicale, le préfet du département avait interdit à la randonnée la partie du sentier de grande randonnée GR R2 située sur la commune ;

 si, avant la survenance de l’accident, les services de l’Office national des forêts avaient retiré l’affichage de cet arrêté au point de départ du sentier, alors que l’interdiction était toujours en vigueur, il ne résulte pas de l’instruction que les services municipaux en auraient été informés.

Et les juges d’appel de retenir "que dans les circonstances de l’espèce, notamment en l’absence d’accidents antérieurs, alors même que l’itinéraire litigieux était emprunté habituellement par les promeneurs, le maire de Cilaos n’a, en s’abstenant de faire procéder à l’effacement du balisage non officiel, à la fermeture de cet itinéraire ou à la publication d’une mise en garde à l’attention des randonneurs, pas commis de faute dans l’exercice de ses pouvoirs de police".

Censure par le Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat [5] censure l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux :

 le site des vasques d’eau chaude de la rivière Bras-Rouge est répertorié comme un site pittoresque et digne d’intérêt par les principaux guides touristiques de La Réunion et est, de ce fait, fréquenté par de nombreux randonneurs ;

 ces visiteurs sont conduits, pour l’atteindre, à quitter le GR R2 et à emprunter un itinéraire dont le caractère dangereux est avéré, y compris en l’absence de conditions météorologiques particulières ;

 cet itinéraire présente, en outre, un balisage non officiel dont la mairie de Cilaos ne pouvait ignorer l’existence et qui était de nature à induire les randonneurs en erreur sur son aménagement ;

 à la date des faits, le caractère dangereux de cet itinéraire était temporairement aggravé par le récent passage du cyclone Harry, qui avait justifié la fermeture des sentiers de randonnée de l’île par un arrêté préfectoral du 13 mars 2002, toujours en vigueur au moment de l’accident.

"Dans ces circonstances, alors même que les sentiers de randonnée de l’île de La Réunion présenteraient un danger supérieur au danger moyen des sentiers de randonnée et justifieraient de ce fait une prudence particulière de la part des promeneurs, et sans préjudice des obligations qui pouvaient également incomber à d’autres personnes morales telles que l’ONF ni des fautes éventuelles des victimes, il incombait au maire de Cilaos, en vertu des dispositions de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, de prendre toute mesure pour informer les randonneurs du danger"

Condamnation de la commune par la Cour d’appel de renvoi, quatorze ans après l’accident

Sur renvoi, la Cour administrative d’appel de Bordeaux prend acte de l’arrêt du Conseil d’Etat et condamne la commune faute pour le maire d’avoir affiché sur place une information spécifique sur les dangers du sentier menant aux vasques, et bien qu’aucun accident n’avait été jusqu’alors à déplorer sur cet itinéraire.

Cependant les victimes ont commis une faute en s’engageant, peu de temps après le passage du cyclone Harry, sur cet itinéraire menant dont la dangerosité et l’absence de balisage était en outre signalée dans le guide qu’elles avaient à leur disposition. Cette imprudence fautive est de nature à exonérer partiellement la responsabilité de la commune de Cilaos à hauteur d’un quart.

Quatorze après l’accident, la commune est ainsi reconnue responsable des conséquences dommageables de l’accident à hauteur des trois quarts. Il reste maintenant à attendre les résultats de l’expertise prescrite par le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion pour l’évaluation du montant du préjudice...

Tribunal administratif de Saint-Denis, 4 octobre 2012, N°1000710

Cour administrative d’appel de Bordeaux, 13 mai 2014, N° 12BX03269

Conseil d’Etat, 7 janvier 2016, N° 382634

Cour administrative d’appel de Bordeaux, 12 juillet 2016, N° 16BX00070

[1Réunion

[2"Les vasques d’eau chaude"

[3Cour Administrative d’Appel de Bordeaux, 23 décembre 2010, N° 10BX00079

[4Cour administrative d’appel de Bordeaux, 13 mai 2014, N° 12BX03269

[5Conseil d’Etat, 7 janvier 2016, N° 382634