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Laïcité : ne pas confondre cérémonie cultuelle et temps libre de prière

Conseil d’État, 4 mai 2012, N° 336462, 336463, 336464, 336465

Des temps libres de prière proposés en marge d’une rencontre internationale pour la paix confèrent-ils automatiquement à la manifestation associative un caractère cultuel prohibant l’attribution de subventions publiques ?

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Non dès lors que la manifestation ne comporte la célébration d’aucune cérémonie cultuelle, l’association organisatrice se bornant à prévoir un horaire libre, afin que les fidèles des différentes confessions puissent, s’ils le souhaitaient, participer, dans des édifices cultuels de leur choix, à des prières. Sont ainsi légales les subventions octroyées par des collectivités pour l’organisation d’une telle manifestation réunissant plusieurs centaines d’invités dont des dignitaires religieux. Les retombées économiques et d’image confèrent bien à la manifestation un intérêt public local justifiant l’octroi de subventions publiques.

La ville de Lyon [2] octroie une subvention à une association [3] pour la tenue d’une rencontre internationale pour la paix. Cette manifestation organisée sous forme de tables rondes et de conférences consacrées au « courage d’un humanisme de paix » doit réunir plusieurs centaines d’invités et plusieurs milliers de participants.

Dénonçant le caractère confessionnel d’une telle manifestation à laquelle doivent prendre part plusieurs dignitaires religieux et en marge de laquelle des temps de prières sont proposés, la fédération locale de la libre pensée conteste le bien fondé des subventions publiques au nom du principe de laïcité.

Le tribunal administratif fait droit à sa requête, mais la cour administrative d’appel de Lyon valide les subventions litigieuses, ce que confirme le Conseil d’Etat dans un arrêt tout en nuances.


Qu’est-ce qu’une association ou une manifestation à caractère cultuel ?

Le Conseil d’Etat précise en premier lieu quelles sont les associations qui sont concernées par l’interdiction de subventionnement posé par la loi de 1905 et opère une très subtile distinction :


 "une association dont l’une des activités consiste en l’organisation de prières collectives de ses membres, ouvertes ou non au public, doit être regardée, même si elle n’est pas une " association cultuelle " au sens du titre IV de la loi du 9 décembre 1905, comme ayant, dans cette mesure, une activité cultuelle" ;

 "tel n’est pas le cas, en revanche, d’une association dont des membres, à l’occasion d’activités associatives sans lien avec le culte, décident de se réunir, entre eux, pour prier".

Poursuivant son raisonnement , le Conseil d’Etat en conclut que :

"les seules circonstances qu’une association se réclame d’une confession particulière ou que certains de ses membres se réunissent, entre eux, en marge d’activités organisées par elle, pour prier, ne suffisent pas à établir que cette association a des activités cultuelles".

Ainsi ce n’est pas parce qu’en marge d’une manifestation, certains participants se réunissent librement pour prier, que ladite manifestation présente nécessairement un caractère cultuel prohibant l’attribution de subventions publiques.

Organisée sous forme de tables rondes et de conférences, la manifestation litigieuse ne comporte en effet la célébration d’aucune cérémonie cultuelle, l’association organisatrice se bornant à prévoir un horaire libre, afin que les fidèles des différentes confessions puissent, s’ils le souhaitent, participer, dans des édifices cultuels de leur choix, à des prières.

Peu importe à cet égard que des personnalités religieuses figurent parmi les participants et que certaines conférences portent sur des thèmes en rapport avec les différentes religions représentées.


Communication sur demande des comptes et statuts de l’association aux conseillers municipaux

Sur la forme l’association requérante reprochait à la commune l’absence de communication des comptes et des statuts de l’association
aux conseillers municipaux préalablement à l’adoption de la délibération décidant d’octroyer une subvention à cette association.

Le Conseil d’Etat rejette le moyen : les dispositions de l’article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales n’imposent pas une telle communication en l’absence de demande des conseillers municipaux en ce sens. En outre l’information délivrée aux membres du conseil municipal a été suffisante pour leur permettre d’exercer leurs attributions.


Intérêt public local

Encore faut-il pour que la subvention soit légale que la manifestation organisée présente un intérêt public local. Sur ce point non plus, le Conseil d’Etat n’y trouve rien à redire compte-tenu des retombées économiques et d’image pour la ville :

"la tenue à Lyon de la 19ème rencontre internationale pour la paix, qui respectait le principe de neutralité à l’égard des cultes, était, eu égard au nombre important des participants, notamment étrangers, et à l’intervention au cours des tables rondes de nombreuses personnalités nationales et internationales, positive pour " l’image de marque " et le rayonnement de la commune de Lyon et qu’elle était de nature à contribuer utilement à la vie économique de son territoire".


Incompétence de la communauté urbaine

Suivant le même raisonnement, le Conseil d’Etat valide également les subventions octroyées pour cette manifestation par le conseil général du Rhône et par le conseil régional Rhône-Alpes.

En revanche la subvention accordée par la communauté urbaine de Lyon est jugée illégale : les retombées économiques de la manifestation ne suffisent pas à justifier la compétence du conseil communautaire en la matière au titre des " actions de développement économique " mentionnées par les dispositions de l’article L. 5215-20-1 du code général des collectivités territoriales. De telles actions doivent en effet avoir pour objet et pour but le développement économique, ce qui n’est pas le cas de la manifestation organisée.

L’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler que les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ne peuvent exercer que les compétences que leur attribue la loi et ne disposent d’aucune compétence générale pour régler, par leurs délibérations, les " affaires de la communauté " et prendre toute décision justifiée par l’existence d’un " intérêt public communautaire ".

Conseil d’État, 4 mai 2012, N° 336462 (ville de Lyon)

Conseil d’État, 4 mai 2012, N° 336463 (communauté urbaine de Lyon)

Conseil d’État, 4 mai 2012, N° 336464 (conseil général du Rhône)

Conseil d’État, 4 mai 2012, N° 336465 (conseil régional Rhône-Alpes)

[1Photo : © Sextoacto

[2Ainsi que la communauté urbaine de Lyon, le conseil général du Rhône et la conseil régional Rhône-Alpes.

[3Communauté Sant’Egidio France