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Taurillon énervé, maire condamné

Cass crim 10 juin 2008 N° de pourvoi : 07-87134 Non publié au bulletin

Le maire ne saurait se désintéresser des questions de sécurité s’agissant des manifestations organisées par le comité des fêtes. En effet la responsabilité pénale du président du comité n’exclut pas celle du maire qui n’a pas usé de ses pouvoirs de police.

A l’occasion de la traditionnelle fête du village, un comité des fêtes souhaite faire preuve d’originalité en organisant un lâcher de vaches landaises. Nous sommes dans le Maine-et-Loire, autant dire dans une région peu habituée à ce genre d’attractions.
Une convention est signée avec un prestataire qui livre des arênes démontables et met à disposition un animateur. Un jeu par équipes consistant à faire passer un taurillon dans des cerceaux est proposé aux enfants âgés de huit à douze ans. Les enfants reçoivent la consigne de se réfugier derrière les dispositifs de protection en cas de charge de l’animal.

Mais dès sa sortie du corral, le taurillon se précipite sur un enfant âgé de neuf ans qui, avec l’accord de ses parents, s’était porté volontaire. Tétanisé, l’enfant ne fait aucun geste pour esquiver l’animal qui lui porte un coup de tête au ventre et le projette en arrière. L’enfant arrive à gagner les dispositifs de protection et sort de l’arène avec l’aide d’un spectateur sans qu’il y ait interruption du jeu.

Un pompier volontaire, venu en spectateur, se propose d’examiner l’enfant et, craignant une facture de la cage thoracique, conseille son transfert à l’hôpital pour examen approfondi. Un "traumatisme splénique avec fracture de la rate" est diagnostiqué nécessitant une hospitalisation de douze jours. L’état clinique de l’enfant évolue favorablement lequel sort sans aucune séquelle de l’accident.

Sur plainte des parents, une enquête pénale est ouverte. Deux ans après les faits, le maire de la commune et le président du comité des fêtes, sont cités à comparaître devant le tribunal de Police d’Angers du chef de blessures involontaires sur le fondement de l’article R 625-2 du code pénal. Ils sont tous les deux condamnés à une peine symbolique de 1 000 euros d’amende avec sursis.

Plusieurs éléments à charge sont retenus contre les deux prévenus :


1° A l’encontre du président du comité des fêtes :

 la convention signée entre le comité des fêtes et le loueur de vaches "n’est qu’un simple contrat de prestation de service et ne mentionne aucune disposition sur la sécurité" des participants. Aucune délégation à la charge du prestataire n’y est prévue, une clause du contrat excluant même toute responsabilité de celui-ci (il est tout de même surprenant que le prestataire n’ait pas lui même été mis en cause).

 "alors que la nature du jeu qui devait se dérouler dans une région peu habituée à ce genre d’attraction appelait des mesures particulières, aucune précaution n’est prise". La présence de quelques panonceaux et les annonces dans la presse locale, invitant les personnes intéressées à venir "tenter leur chance à leurs risques et périls" s’apparente plus aux yeux du tribunal à des encarts publicitaires qu’à une véritable mise en garde.

 aucune exonération tirée de l’acceptation du risque par les participants n’est jugée recevable dès lors qu’un tel moyen "ne peut s’appliquer qu’à des risques parfaitement connus et acceptés par les victimes" alors qu’en l’espèce l’animateur avait incité les enfants à prendre part au jeu sans aucune information préalable.

 sur le plan administratif l’autorisation préfectorale ne visait que l’organisation d’un vide-grenier.

 il n’existait sur place aucun secours "pour une manifestation qui attendait selon les organisateurs environ quinze mille personnes et qui prévoyait une animation comportant des risques sérieux de blessures", l’évacuation rapide de l’enfant vers l’hôpital n’étant due qu’à "l’intervention fortuite d’un pompier volontaire qui n’était
pas en service ce jour là".

Et le tribunal de conclure que "l’ensemble de des éléments montre une prise en compte nettement insuffisante du caractère dangereux de l’animation proposée par le comité des fêtes, un sous-dimensionnement des moyens destinés à la sécurité des personnes et caractérise une grave faute d’imprudence ou de maladresse des responsables de l’organisation de cette manifestation qui n’ont pas mis en oeuvre des moyens nécessaires pour prévenir les accidents dont le risque de probabilité était élevé, et assurer leur prise en charge. Cette faute a exposé le jeune garçon à un risque d’une particulière gravité qui était parfaitement prévisible, compte-tenu de la nature de l’animation proposée à un public volontaire, et notamment à des enfants". Le prévenu en sa qualité de responsable de l’organisation de la fête pouvait d’autant moins ignorer ce risque que c’est lui qui a signé le contrat avec le prestataire de service.


2° A l’encontre du maire :

 il s’est "désintéressé de l’organisation d’une manifestation sur sa commune qu’il a autorisé" sans connaître le programme exact des manifestations alors que "dans le cadre de ses pouvoirs de police, il était tenu de veiller à ce que toutes les mesures tendant à assurer la sécurité des personnes avaient été prises et ne pouvait s’en remettre à la bonne volonté des organisateurs comme il l’a reconnu à l’audience".

 "Les problèmes de sécurité n’ont donné lieu à aucune synthèse entre les responsables de la commune, les services de secours et les organisateurs".

 L’information sur le caractère dangereux de la manifestation était insuffisante.

 Les secours sur place étaient inexistants.

Et le tribunal de conclure par une motivation, qui n’est pas sans rappeler celle retenue par la Cour d’appel de Montpellier, (Fêtes populaires : gare aux bricolages électriques que le maire n’a donc pas accompli les diligences normales au regard des compétences, du pouvoir dont il disposait et n’a pas pris les mesures de difficultés propres aux missions qui lui sont confiées. Il a délégué de fait, et sans exercer de contrôle, l’organisation de la manifestation au comité des fêtes et ne peut pas s’abriter sur la modestie des moyens de sa commune. S’agissant d’une petite collectivité locale de 2500 habitants, il se devait d’être d’autant plus présent et impliqué dans l’organisation d’une fête dont la dimension et les risques particuliers afférents à l’organisation d’une attraction avec des vaches landaises exigeaient de sa part une particulière vigilance (...) Ce désengagement de Monsieur B. constitue à l’évidence une faute qui a exposé Dylan à un risque d’une particulière gravité, et que Monsieur B., en sa qualité de maire, ne pouvait ignorer".

La sévérité des attendus tranche avec le caractère symbolique de la peine prononcée contre les prévenus qui "tient compte de l’absence de conséquences de cet accident pour la jeune victime".

La Cour d’appel d’Angers (arrêt du 19 avril 2007), puis la Cour de cassation (arrêt du 10 juin 2008) confirment la condamnation de l’élu dès lors "qu’il s’est borné à déléguer à deux associations locales l’organisation de la manifestation, qui devait attirer plus de 10 000 personnes dans une localité de 2 500 habitants, qu’il s’est désintéressé du programme prévu et qu’il a négligé d’examiner, avec les organisateurs et les services de secours, les questions de sécurité relevant des pouvoirs de police dont il disposait en sa qualité de maire".