Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative

L’administration peut, au nom de l’intérêt général, refuser de protéger des agents attaqués

Conseil d’État, 20 avril 2011, N° 332255

L’administration peut-elle refuser la demande de protection d’un agent qui souhaite se défendre contre des attaques dont il est l’objet bien que l’intéressé n’ait commis aucune faute personnelle ?

 [1]


Oui si l’administration peut justifier d’un motif d’intérêt général . En revanche, si l’agent est poursuivi pénalement, seule la commission d’une faute personnelle peut fonder un refus de protection.

Un hebdomadaire national révèle, en octobre 2008, qu’un ancien directeur central des renseignements généraux a centralisé, sur un carnet, des "notes blanches" concernant des personnalités politiques.

Des personnes fichées déposent plainte à l’encontre du fonctionnaire. Celui-ci demande la protection fonctionnelle à son ministre de tutelle pour assurer sa défense pénale et pour riposter aux commentaires de presse qu’il estime injurieux et diffamatoires à son égard.

Son administration lui répond, dans un premier temps, que sa demande de protection juridique n’entre pas dans le champ d’application des dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 , les carnets en cause ayant été tenus « à titre privé et sous la seule responsabilité de l’intéressé ».

Le Conseil d’Etat [2] invalide cette position dès lors que « les carnets de notes en cause comportent essentiellement (...) des informations recueillies par [le fonctionnaire] à raison de sa qualité de directeur central des renseignements généraux, obtenues grâce aux moyens du service et utilisées dans l’exercice de ses fonctions ».

Fort de cette décision, le fonctionnaire réitère sa demande de protection. Son administration la lui refuse considérant :

 d’une part, qu’il a commis une faute personnelle détachable du service en conservant à son domicile les carnets de notes personnelles en cause ;

 d’autre part, que ces carnets comportant des annotations susceptibles de jeter le discrédit sur des personnalités publiques et attentatoires à leur vie privée, l’intérêt général justifiait qu’il soit dérogé à l’obligation de protection statutaire à raison des attaques dont l’intéressé avait été l’objet.

Le Conseil d’Etat, dans un arrêt tout en nuances, distingue les deux demandes de protection :

1° S’agissant des poursuites pénales dirigées contre l’agent

Le Conseil d’Etat invalide le refus de protection estimant que le fonctionnaire n’a pas commis de faute personnelle :


 "les carnets de note en cause comportent essentiellement, outre quelques indications ayant trait à la vie privée de leur auteur, des informations recueillies par M. A à l’occasion de ses fonctions de directeur central des renseignements généraux et dont la vocation était d’être utilisées pour le service" ;


 "si le fait d’avoir, après avoir quitté ses fonctions, conservé à son domicile des documents ayant une telle vocation constitue une faute, celle-ci, dès lors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A ait conservé ces carnets en vue de s’en servir à des fins personnelles, n’a pas revêtu le caractère d’une faute personnelle, au sens des dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983".

Et le Conseil d’Etat de préciser, à cette occasion, que "les frais exposés en relation directe avec une plainte déposée à l’encontre du fonctionnaire peuvent donner lieu à cette protection, même si cette plainte aboutit ultérieurement à un classement sans suite".

2° S’agissant des attaques dont a été objet l’agent

Le Conseil d’Etat valide ici le refus de protection opposé par l’administration, estimant que celle-ci pouvait valablement invoquer un motif d’intérêt général. Les magistrats approuvent ainsi le ministre d’avoir considéré que "l’Etat ne saurait couvrir de son autorité les agissements d’un directeur central des renseignements généraux ayant recueilli sur des personnalités publiques, dont certaines investies de responsabilités nationales ou de mandats électifs, des informations sans lien avec les missions de service public dont il avait la responsabilité, et gravement attentatoires à l’intimité de la vie privée de ces personnes".

Derrière l’apparente contradiction de motivation, se cache une subtile distinction : alors que seule la commission d’une faute personnelle peut justifier un refus de protection d’un agent poursuivi pénalement, l’administration peut valablement invoquer un motif d’intérêt général pour décliner une demande de protection émanant d’un agent victime d’attaques dans l’exercice de ses fonctions, et ce quand bien même l’agent n’aurait pas commis de faute personnelle.

Ainsi :

 les dispositions du troisième alinéa de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 "établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des fonctionnaires, lorsqu’ils ont été victimes d’attaques à l’occasion de leurs fonctions, sans qu’une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d’intérêt général ;

 en revanche, les dispositions du quatrième alinéa du même article "instituent en faveur des fonctionnaires ou des anciens fonctionnaires qui font l’objet de poursuites pénales une protection qui ne peut être refusée que si les faits en relation avec les poursuites ont le caractère d’une faute personnelle".

Conseil d’État, 20 avril 2011, N° 332255

[1Photo : © Robybret

[2CE, 19 juin 2009, N° 323745