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Marchés publics : extension du domaine du favoritisme ?

TC Draguignan 13 janvier 2005, 2005/98

Dans un article publié au JCP Collectivités territoriales n°21 du 23 mai 2005, Florian Linditch (Et le juge créa le délit de... "dé-favoritisme") commente un jugement du Tribunal correctionnel de Draguignan qui, s’il devait être confirmé, conduirait à une extension notable du champ du délit de favoritisme.

Depuis 30 ans, un exploitant organise des soirées festives pour la jet-set sur une plage d’une commune du littoral dont il a la concession, troublant ainsi la tranquillité de riverains mécontents. En octobre 1999, la commune procède au renouvellement des sous-concessions. Le maire de la commune interroge le sous-préfet sur l’opportunité de renouveler le lot ou non à l’intéressé.

La réponse du représentant de l’Etat est sans équivoque : "il n’est pas opportun de renouveler la concession de l’exploitant incapable malgré les avertissements délivrés d’assurer une exploitation de son établissement qui ne porte pas atteinte au repos et à la tranquillité du voisinage" et "qu’il serait très souhaitable d’abandonner toute exploitation d’un lot de plage à cet endroit et d’en prévoir le retour à l’état de nature".

Sur proposition de la commission d’attribution, le conseil municipal décide de ne pas attribuer le lot en question. L’exploitant déchu obtient la suspension de cette délibération devant les juridictions administratives pour manquement au principe d’égalité et en raison du caractère étranger au marché du motif invoqué pour l’abandon du lot.

Lorsque les effets de l’ordonnance de suspension expirent en mai 2000, le conseil municipal persiste et signe : par une nouvelle délibération, il décide d’attribuer pour 6 mois 35 autorisations temporaires d’occupation du domaine public à l’exception du lot litigieux conformément aux instructions reçues du sous-préfet.

L’exploitant refusant de se soumettre à cette décision, la municipalité fait constater par la gendarmerie l’occupation illicite du domaine public et poursuit l’intéressé devant les juridictions administratives pour contravention de grande voirie. Mais les juridictions administratives donnent raison à l’exploitant : la contravention de grande voirie n’est pas caractérisée, les délibérations du conseil municipal étant nulles pour violation de la procédure de mise en concurrence (la commune auraît dû relancer une nouvelle procédure annonçant les nouvelles autorisations temporaires d’occupation du domaine public).

Fort de cette décision administrative confirmée en appel, l’exploitant porte plainte au pénal pour délit de favoritisme.

La question soumise aux juridictions répressives est atypique. Le délit de l’article 432-14 du code pénal suppose en effet pour être caractérisé qu’un candidat ait reçu "un avantage injustifié par un acte contraire aux lois et règlements ayant pour objet la liberté d’accès et l’égalité des candidats et les délégations de service public". Or, en l’espèce, le lot n’a pas été attribué et donc aucun candidat n’a été favorisé. Ce qui conduit d’ailleurs le procureur de la République a requérir la relaxe.

Le tribunal correctionnel de Draguignan n’en condamne pas moins les prévenus :

 le retrait du lot litigieux a eu pour effet de priver l’exploitant "de la possibilité de reporter éventuellement son offre sur les autres lots" (...) ;

 l’avantage injustifié se "caractérise par la seule rupture d’égalité entre les candidats, l’article 432-14 du code pénal n’imposant pas de rapporter la preuve d’un lien de causalité entre cette rupture et l’attribution du lot" (...)

 "indépendamment même du but avoué, les prévenus ne peuvent se retrancher derrière une méconnaissance de ce qui relève uniquement du principe élémentaire d’égalité entre les candidats et donc du simple bon sens".