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Diffamation : de la libre critique aux attaques personnelles.

cass. crim. 20 janvier 2004

Arnaque, tromperie, scandale... Attention aux mots qui dépassent la pensée dans le feu du débat municipal. Témoin cet élu ulcéré par un projet foncier de son maire : la cour de cassation vient de le rappeler à plus de mesure verbale.

Le maire d’une commune de Midi-Pyrénées de 25 000 habitants soumet au vote du conseil municipal un projet d’acquisition de terrains destinés à l’édification de logements sociaux. Un conseiller municipal de l’opposition fait alors savoir que son groupe ne votera pas le projet, non pas qu’il conteste le besoin, mais il juge "scandaleux" le prix demandé par la SEM pour l’achat du terrain.

Relevant que les mêmes terrains avaient été vendus par la commune au prix de 13 francs le m2, avant d’être rachetés "pour un coût incroyable de plus de 500 francs le m2", le conseiller considère que l’opération est une "arnaque" et une "tromperie".

Le maire, estimant que de tels propos mettent en doute sa probité et dépassent la libre critique politique, décide de porter plainte pour diffamation publique contre le conseiller.

Il obtient gain de cause en première instance, mais en appel, la Cour de Montpellier (le 3 décembre 2002) relaxe le prévenu. Les magistrats héraultais considèrent en effet que "replacées dans le contexte du discours dont elles font partie intégrante, les expressions, "arnaque", "tromperie", voire "prix scandaleux", pour malheureuses qu’elle soient, ne "désignaient pas une opération frauduleuse à laquelle le maire aurait concouru mais qualifiaient l’opération en cas de vote favorable de l’assemblée communale, sans que le maire ait été spécialement visé".

En outre, poursuivent les magistrats, "ces mots ont été employés pour attirer l’attention des élus locaux sur l’étendue de leurs responsabilités, sans pour autant nuire à l’image du maire" et "ce n’est que la réaction de ce dernier aux propos tenus qui était de nature à donner à ceux-ci la coloration qui leur est reprochée, en les retirant du contexte dans lequel ils étaient prononcés".

Estimant avoir été directement visé et interpellé par le conseiller municipal, le maire se pourvoit en cassation. Dans un arrêt rendu le 20 janvier 2004 (n° de pourvoi 03-81127), la Cour de cassation lui donne raison et relève que les propos incriminés le visaient personnellement en lui imputant "d’avoir prêté son concours à une opération frauduleuse". L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence pour être à nouveau jugée conformément à la loi.