À première vue, tous les ingrédients de la diffamation sont réunis dans ce tract qui semble jeter l’opprobre sur la politique du conseil municipal et sur la personne même du maire... Ce n’est pas l’avis de la Cour de cassation : il ne faut pas confondre libre critique, même vive voire acerbe, et diffamation !
Une commune d’Île-de-France de 1 000 habitants décide d’investir dans un réseau d’assainissement collectif et de construire en conséquence une station d’épuration. Une association locale conteste, par la diffusion d’un tract, la pertinence des critères techniques et économiques ayant présidé à ce choix.
Les auteurs du tract s’étonnent par ailleurs que le terrain agricole sur lequel doit être implantée la station appartienne à un membre de la famille du maire. Et le document de conclure en stigmatisant la politique de remembrement conduite par la commune, propre à favoriser la politique du "tout à l’égout".
Le maire estime que cette mise en cause est de nature à porter atteinte à son honneur et à sa considération.
Selon lui en effet, l’article incriminé :
– laisse insinuer qu’il a privilégié son intérêt personnel pour le choix du site de la station d’épuration et qu’il s’est rendu ainsi coupable de prise illégale d’intérêt ;
– l’expression "tout à l’égout", employée entre guillemets choisit cette image à dessein pour discréditer sa politique à la tête de la commune en la présentant comme sale et donc malhonnête.
Il décide en conséquence d’assigner en justice l’auteur du tract en le citant directement devant le tribunal correctionnel pour diffamation.
Dans un arrêt rendu le 2 septembre 2003, la Cour de cassation confirme la relaxe du prévenu et déboute le maire de ses demandes d’indemnités. Les magistrats relèvent en effet :
– que la contestation du choix d’un réseau d’assainissement collectif "n’est pas attentatoire à l’honneur et à la considération du maire mais relève de la libre critique que les habitants d’une commune peuvent exercer à l’égard des décisions prises par le conseil municipal à l’initiative du maire" ;
– "qu’il n’est pas contesté que le choix du site de la station d’épuration s’était, à l’époque de la diffusion du texte litigieux, porté sur un terrain appartenant à un membre de la famille du maire" et que "cette affirmation ne revêt, en elle-même, aucun caractère diffamatoire".
En effet poursuivent les magistrats, "aucun terme ou expression dans le texte n’induit l’idée que le maire tirerait un intérêt personnel ou privilégierait l’un des membres de sa famille par un tel choix, lequel a pu simplement être retenu, outre pour des motifs techniques, avec l’idée qu’il ne se heurterait pas à l’opposition du propriétaire du terrain et que, par conséquent, l’implantation de la station en serait facilitée" ;
– "qu’enfin, sur le dernier point, il est seulement avancé que le remembrement en cours dans la commune favorisera la mise en oeuvre de la politique du "tout à l’égout" à l’échelon communal, sans doute par l’échange de parcelles et leur regroupement en une seule destinée à accueillir la station d’épuration" et "qu’il y a lieu d’observer que l’expression "tout à l’égout" est seule entre guillemets et que ceux-ci n’englobent pas le terme "politique" qui la précède, de telle sorte que cette expression n’apparaît pas à la lecture utilisée pour disqualifier la politique municipale."
De fait, soulignent les magistrats, la solution du "tout à l’égout" est évoquée à plusieurs reprises dans le tract litigieux de façon critique, "notamment eu égard à son coût pour les habitants de la commune par opposition à celle de l’assainissement individuel présentée par l’association" et que cette expression est toujours présentée entre guillemets. Et les magistrats de conclure que l’expression "tout à l’égout" doit donc être entendue dans son premier sens du langage courant et n’apparaît pas être employée pour accréditer l’idée d’un comportement malhonnête".