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III – Reformer la notion de « surveillance » de l’opération

En prélude à la journée d’étude de l’observatoire du 25 juin 2010 retrouvez le point de vue de Me Levent Saban [1] sur la nécessité d’une réforme du délit de prise illégale d’intérêts.


 [2]

Même si la proposition n’est pas aller jusque-là, la pratique judiciaire montre que la notion même de « surveillance » est entendue de manière très extensive pour l’élu. Ce critère est pourtant déterminant pour caractériser le délit, et c’est surtout le seul sur lequel on peut éventuellement s’appuyer dans notre activité de conseil pour sécuriser une opération sur le plan juridique : en faisant « sortir », lorsque cela est possible, du champ de la « surveillance » de l’élu l’opération considérée.

Si cela est juridiquement possible pour un élu autre que l’exécutif, qui pourra « se contenter » de s’abstenir de participer aux débats et au vote de la délibération litigieuse, et à toute décision en aval (mandatement par exemple), ce sera au contraire impossible lorsqu’il s’agira de l’exécutif lui-même, qui a par définition, « toutes les opérations » placées sous sa surveillance. La Chambre Criminelle de la Cour de Cassation rappelle d’ailleurs régulièrement la règle en considérant que la délégation de signature consentie laisse dans le champ de la surveillance de l’élu l’opération considérée (Crim. 9 janvier 2008, 9 février 2005, 27 novembre 2002).

Il s’agit ici d’une règle évidente pour le juge administratif, mais dans le cadre d’un débat pénal, c’est un second souffle donné au délit de prise illégale d’intérêts, car cela revient à confirmer, d’une part, que l’Exécutif a absolument l’ensemble des opérations sous sa seule surveillance, d’autre part, qu’aucune délégation de signature ne l’exonérera de sa responsabilité pénale au titre du délit de prise illégale d’intérêts.

La règle devient absurde lorsqu’il s’agit d’appliquer la garantie donnée par la loi (ou « protection fonctionnelle ») à l’Exécutif lorsqu’il fait l’objet de poursuites pénales pour des faits qui ne constitue pas une faute détachable, ou lorsqu’il est victime d’attaques personnelles le visant comme élu (violences volontaires, diffamation, dénonciation calomnieuse).

Dans les deux cas, la loi a prévu la garantie par la collectivité, et la prise en charge des frais de procédure par cette même collectivité, sous réserve du vote en ce sens de l’organe délibérant (conseil municipal pour les communes par exemple). Toutefois, si le maire peut aisément s’abstenir de participer au débat et au vote portant sur sa demande de garantie, comment pourra-t-il éviter le délit de prise illégale d’intérêts en amont (convocation, ordre du jour…), et en aval (mandat de paiement par exemple…) ?
Tous les actes signés par les personnes à qui il a donné délégation de signature sont réputés restés sous sa « surveillance », donc y compris le mandat de paiement par exemple signé par son adjoint aux finances… !

Aucune dérogation n’est ici prévue par la loi.

On trouve pourtant l’exemple d’une dérogation prévue par la loi en matière d’urbanisme (même s’il n’y a pas de référence explicite au Code pénal).

Article L.422-7 du Code de l’Urbanisme :

« si le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale est intéressé au projet faisant l’objet de la demande de permis ou de la déclaration préalable, soit en son nom personnel soit comme mandataire, le conseil municipal de la commune ou l’organe délibérant de l’établissement public désigne un autre de ses membres pour prendre la décision ».

Ce mécanisme institué par le Code de l’urbanisme est opportun pour permettre au maire et à ses proches de pouvoir faire réparer par exemple des ouvrages par des travaux soumis à autorisation, sans tomber dans la décision illégale…

Pourquoi avoir restreint une telle dérogation au seul cas de l’urbanisme ?

Pour être complet, on trouve une autre dérogation pour les élus siégeant dans les sociétés d’économie mixte locales lors des délibérations de la collectivité intéressant la SEML.

Article 1524-5 du Code Général des Collectivités Territoriales :

« Les élus locaux agissant en tant que mandataires des collectivités territoriales ou de leurs groupements au sein du conseil d’administration ou de surveillance des sociétés d’économie mixte locales et exerçant les fonctions de membre ou de président du conseil d’administration, de président-directeur général ou de membre ou de président du conseil de surveillance, ne sont pas considérés comme étant intéressés à l’affaire, au sens de l’article L. 2131-11, lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur ses relations avec la société d’économie mixte locale »

(Art. 1524-5 al.11 du Code Général des Collectivités Territoriales)

On regrettera toutefois ici la référence à l’article L.2131-11 du CGCT, qui vient, au moins implicitement, laisser encore ouverte la voie pénale en considérant que l’intérêt « quelconque », est plus large que la notion de « conseiller intéressé » retenu par le juge administratif, ce qui techniquement est vraie comme vient nous le rappeler l’arrêt du 22 octobre 2008 de la Cour de Cassation.

On peut alors réfléchir à l’idée d’une dérogation plus largement ouverte aux élus (aux Exécutifs plus spécialement concernés), leur permettant de faire « sortir » du champ de leur surveillance telle ou telle opération afin qu’elle puisse se réaliser.

Cela permettrait à ces élus de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve ils se trouvent parfois, car n’ayant pas d’autre choix possible entre de démissionner de leur mandat ou renoncer à l’opération (ou faire renoncer à l’opération) : un Maire qui a un proche (petit neveu, ou cousin de troisième génération…), comme agent d’entretien par exemple ; ici, soit l’élu démissionne, soit l’agent change de collectivité car à chaque mandat pour le paiement du traitement, ou à chaque notation de l’agent, l’élu commet un délit de prise illégale d’intérêts !

On pourrait alors insérer un alinéa 2 à l’article 432-12 du Code pénal :

« Toutefois, lorsque l’élu a un intérêt dans l’opération, l’organe délibérant peut désigner un autre représentant pour représenter la collectivité dans l’opération et tous les actes afférents ».

Une telle modification amènerait toutefois à supprimer les actuels alinéas 2 à 4 du Code pénal qui n’aurait alors plus de sens, et donc, à élargir considérablement les « opérations » autorisées pour les élus avec leurs collectivités, ce qui n’est peut-être pas souhaitable…

Le pire n’étant jamais certain, il faut se mobiliser autour de ce texte qui a déjà rassemblé au Sénat les élus de toute sensibilité politique.


Sommaire

 A titre préliminaire, rappel du contenu de l’arrêt du 22/10/08 (Ch.Crim., Ccass)


I – Réformer (préciser) la notion d’intérêt « quelconque »

1°- La notion d’intérêt « quelconque » : aucune délimitation précise ni par le texte ni par la jurisprudence

2° - Mettre en concordance jurisprudence administrative et judiciaire

3°- Mettre fin à la situation de « blocage » des collectivités

4°- La proposition de loi, si elle est retenue dans sa rédaction proposée, continuera d’intégrer dans son champ toutes les « manquements au devoir de probité » des élus


II – Renforcer l’élément intentionnel en ajoutant « sciemment » ?


III – Réformer la notion de « surveillance » de l’opération

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[1Me Levent SABAN, avocat spécialisé dans la défense pénale des élus, a été auditionné le 31 mars 2010 par Madame Anne-Marie ESCOFFIER, sénateur désigné rapporteur pour la Commission des Lois sur la proposition de loi n°268 déposée au Sénat par Bernard SAUGEY

[2Photo : © ArtmannWitte