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L’article L7 sur la sellette ?

Jusqu’ici réservée aux députés et sénateurs, la saisine du Conseil constitutionnel est ouverte, indirectement, depuis le 1 mars 2010 aux justiciables sous la forme « d’une question prioritaire de constitutionnalité ». L’article L7 du code électoral pourrait bien être l’une des premières dispositions soumises à la sagacité du Conseil.


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Aux termes de l’article L7 du code électoral « Ne doivent pas être inscrites sur la liste électorale, pendant un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les personnes condamnées pour l’une des infractions prévues par les articles 432-10 à 432-16, 433-1, 433-2 , 433-3 et 433-4 du code pénal ou pour le délit de recel de l’une de ces infractions, défini par les articles 321-1 et 321-2 du code pénal ».

C’est ce que les pénalistes appellent une « peine accessoire », c’est-à-dire une peine qui résulte de plein droit d’une condamnation pénale.

Pourtant, aux termes de l’article 132-17 du code pénal, « aucune peine ne peut être prononcée si la juridiction ne l’a expressément prononcée ». L’article 132-21 alinéa 1 du code pénal est encore plus catégorique puisqu’il dispose que « l’interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille mentionnés à l’article 131-26 ne peut, nonobstant toute disposition contraire, résulter de plein droit d’une condamnation pénale ».

C’est donc en totale contradiction avec ces principes que le législateur de 1995 a adopté l’article L7 du code électoral.

De fait, en application de cet article, un élu condamné, par exemple, à une amende avec sursis pour prise illégale d’intérêts ou pour favoritisme, ne peut plus être inscrit sur la liste électorale pendant cinq ans et se retrouve, en application de l’article LO130 alinéa 1er du Code électoral, inéligible pour une durée de dix ans.

Partant de là, le préfet a une compétence liée pour prendre un arrêté prononçant la démission d’office de l’élu condamné (Article L236 du code électoral).

Et ce, encore une fois, quelle que soit la peine prononcée par le juge. La simple déclaration de culpabilité suffit.

Le seul moyen pour un élu d’échapper à l’automaticité de la sanction est de demander à ce que la condamnation ne soit pas inscrite au B2 de son casier judiciaire (Article 775-1 du code de procédure pénale) ou d’obtenir le relèvement de la peine au titre de la procédure qui lui est ouverte par l’article 132-21 alinéa 2 du code pénal.

C’est d’ailleurs sur ce fondement que le Conseil d’Etat n’a pas jugé les dispositions de l’article L7 du code électoral contraires à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Conseil d’Etat, 1er juillet 2005, N° 261002).

La Cour de cassation a jugé dans le même sens dès lors « que la sanction prévue à l’article L7, applicable de plein droit, est subordonnée à la reconnaissance de la culpabilité, par le juge pénal, de l’auteur de l’une des infractions prévues notamment par les articles 432-10 à 432-16du code pénal, après examen préalable de la cause par un tribunal indépendant et impartial » (Cour de cassation, chambre civile 2, 14 juin 2006, N° 06-60066).

Il n’est pas sûr que le Conseil constitutionnel partage cette analyse. De fait il a déjà censuré des dispositions analogues en des termes qui ne laissent que peu de place au doute : "le principe de nécessité des peines implique que l’incapacité d’exercer une fonction publique élective ne peut être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à l’espèce ; (...) la possibilité ultérieurement offerte au juge de relever l’intéressé, à sa demande, de cette incapacité (...) ne saurait à elle seule assurer le respect des exigences qui découlent du principe de nécessité énoncé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen" (Conseil constitutionnel, 15 mars 1999 - Décision N° 99-410 DC).

Sauf à ce que le Conseil constitutionnel opère un revirement de jurisprudence ou lui apporte des nuances, les jours de l’article L7 du code électoral pourraient donc être comptés. La répression des pratiques corruptrices n’en serait pas pour autant affaiblie puisque le juge pénal conservera toujours la possibilité de prononcer, à titre de peine complémentaire, une privation, en tout ou partie, des droits civiques, civils et de famille mentionnés à l’article 131-26 du code pénal.

Les principes seraient ainsi saufs puisque, à la différence d’une peine accessoire, une peine complémentaire doit être expressément prononcée par le juge. Le juge conserve ainsi son entière marge d’appréciation et ne prononcera la peine d’inéligibilité que si les circonstances propres à l’espèce le justifient. La conciliation entre l’indispensable lutte contre les pratiques corruptrices et le respect des principes de nécessité et de personnalisation des peines serait ainsi mieux assurée.


Consulter le dossier complet relatif à la question prioritaire de constitutionnalité sur le site du Conseil Constitutionnel

[1Photo : © Philippe Minisini