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Irrégularités dans les marchés publics : la responsabilité pénale des collectivités ne peut être engagée

Cour de cassation, chambre criminelle, 19 décembre 2018, N°18-81328

Une collectivité territoriale (ou l’un de ses groupements), peut-elle engager sa responsabilité pénale en cas d’irrégularité dans l’attribution d’un marché public ?

 

 [1]

Non : seuls les élus ou les fonctionnaires fautifs peuvent engager leur responsabilité pénale. En effet les collectivités territoriales et leurs groupements ne peuvent engager leur responsabilité pénale que pour les infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public. Or l’attribution d’un marché public ne peut faire l’objet d’une telle délégation.
 

Un SIVOM est poursuivi pour favoritisme et concussion sur plainte d’une association qui dénonce le prix prohibitif de l’eau. L’association reproche au syndicat intercommunal :
 l’attribution irrégulière d’un marché d’un montant de 320 800 euros HT en vue de la réhabilitation de la station d’épuration , et d’un autre marché de mise en conformité d’un réseau d’approvisionnement ;
 la perception indue auprès des usagers d’une surtaxe pour un montant total de 220 650,14 euros correspondant à la somme de 1 euro/m3 d’eau usagée, les juridictions administratives ayant constaté l’absence de toute délibération fixant le tarif de la surtaxe.

 

Le tribunal correctionnel relaxe le SIVOM, ce que confirme la cour d’appel au motif que :

 le SIVOM, qui est un organisme public, ne revêt pas les qualités de personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ;

 il n’est pas démontré que le SIVOM ait eu conscience du caractère indu de la somme qu’il a exigé de percevoir ;

 s’agissant d’une décision collective, elle n’aurait pu être imputée aux membres de l’organe collégial, à raison de leur seule participation à cette dernière ;

 l’avenant litigieux , conclu sans procédure de publicité ou de mise en concurrence et sans saisine pour avis de la commission de service public, n’a pas été déféré par le préfet devant la juridiction administrative aux fins d’annulation et la chambre régionale des comptes, qui en a pointé les insuffisances, n’a pas conclu à son illégalité.

 

La Cour de cassation confirme la relaxe du SIVOM mais pas pour les mêmes raisons que celles retenues en appel : c’est à tort que les juges d’appel ont retenu que le SIVOM n’avait pas la qualité de personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public. En effet le SIVOM a pour objet la réalisation et la gestion de l’alimentation en eau potable et du réseau d’assainissement de l’agglomération. Il est ainsi "chargé directement ou indirectement, d’accomplir des actes ayant pour but de satisfaire à l’intérêt général, et revêt bien la qualité de personne chargée d’une mission de service public au sens des articles 432-10 et 432-14 du code pénal".

 

Si le SIVOM est malgré tout relaxé, c’est pour une raison qui est liée aux conditions d’engagement de la responsabilité pénale des collectivités territoriales et de leurs groupements :

 
 l’arrêt n’encourt toutefois pas la censure dès lors que les activités respectives de fixation d’une taxe et d’attribution d’un marché public, à l’occasion desquelles les délits susvisés ont été commis, ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’une convention de délégation de service public au sens de l’article 121-2 du code pénal".

En effet il résulte de ce texte que « les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public ».

 

Il ressort ainsi clairement de cet arrêt de la Cour de cassation qu’une collectivité territoriale ne peut pas engager sa responsabilité pénale du chef de favoritisme puisque l’attribution d’un marché public ne constitue pas un activité susceptible d’une délégation de service public. Autant dire qu’en matière de favoritisme, seuls les élus locaux ou les fonctionnaires territoriaux fautifs peuvent engager leur responsabilité pénale.

 

[1Photo : @lulusphotography sur Unsplash.