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Suspension d’un marché public en référé : le risque financier de la collectivité comme critère d’appréciation de l’urgence

Conseil d’Etat, 18 septembre 2017, N° 408894

Un surcoût important d’un marché de travaux par rapport à l’estimation initiale est-il une condition suffisante pour que des élus d’opposition obtiennent la suspension en référé du contrat litigieux ?

Non : encore faut-il démontrer que le coût des travaux risque d’affecter de façon substantielle les finances de la collectivité ou du groupement concerné et que l’engagement des travaux est imminent et difficilement réversible. Pour apprécier si la condition d’urgence est remplie, le juge des référés peut prendre en compte tous éléments, dont se prévalent les requérants, de nature à caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate à leurs prérogatives ou aux conditions d’exercice de leur mandat, aux intérêts de la collectivité ou du groupement de collectivités publiques dont ils sont les élus ou, le cas échéant, à tout autre intérêt public. En l’espèce, la condition d’urgence n’est pas jugée remplie par la simple constatation que le contrat (marché de conception-réalisation relatif à la restructuration d’une piscine intercommunale) a été conclu pour un montant supérieur d’environ 17% à l’estimation initiale dès lors qu’il n’est pas démontré que les effets de cette exécution risquerait d’affecter de façon substantielle les finances de la collectivité. En outre, peu importe que le contrat ait été conclu avant la fusion des communautés de communes : par application des règles relatives aux fusions d’EPCI, la communauté de communes issue de la fusion est tenue d’exécuter le contrat bien qu’elle n’ait pas pu se prononcer sur sa pertinence.

Une communauté de communes conclut un marché de conception-réalisation relatif à la restructuration de sa piscine intercommunale pour plus de 5 millions d’euros. Peu de temps après, cette collectivité est fusionnée avec deux autres communautés de communes pour constituer une nouvelle communauté de communes. Plusieurs conseillers communautaires de la nouvelle collectivité saisissent le tribunal administratif d’un recours en contestation de la validité du contrat, assorti d’un référé tendant à la suspension de son exécution.

L’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler les conditions d’admission d’un référé-suspension à l’encontre d’un contrat administratif :

 "l’urgence justifie que soit prononcée la suspension de l’exécution d’un contrat administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre" ;

 "il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue" ;

 "l’urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire".

Et le Conseil d’Etat de poursuivre, dans la droite ligne de sa jurisprudence "Département du Tarn et Garonne" (Conseil d’Etat, 4 avril 2014, N°358994), que les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale (ou du groupement de collectivités territoriales) qui a conclu un contrat administratif (ou qui se trouve substitué à l’une des parties à un tel contrat) sont recevables à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de celui-ci dans le délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées relatives à sa conclusion. Et ils peuvent aussi assortir leur recours d’une demande tendant, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l’exécution du contrat litigieux.

A cet égard, pour apprécier si la condition d’urgence est remplie, le juge des référés peut prendre en compte tous éléments, dont se prévalent les requérants, de nature à caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate à leurs prérogatives ou aux conditions d’exercice de leur mandat, aux intérêts de la collectivité ou du groupement de collectivités publiques dont ils sont les élus ou, le cas échéant, à tout autre intérêt public.

Mais un surcoût par rapport à l’estimation initiale ne suffit pas à caractériser une telle atteinte. Encore faut-il démontrer que le coût des travaux risque d’affecter de façon substantielle les finances de la collectivité (ou du groupement concerné) et que l’engagement des travaux est imminent et difficilement réversible. Deux conditions cumulatives non remplies en l’espèce, tranche le Conseil d’Etat, les requérants se bornant à observer que le contrat a été conclu pour un montant supérieur d’environ 17 % à l’estimation initiale [1].

Peu importe enfin que le contrat ait été conclu avant la fusion des communautés de communes et que le nouvel EPCI ne se soit pas prononcé sur l’opportunité du contrat litigieux : la communauté de communes issue de la fusion est tenue d’exécuter le contrat par application des règles relatives aux fusions d’EPCI. Cette circonstance ne saurait, dès lors, être regardée comme portant une atteinte grave et immédiate aux intérêts défendus par les membres du conseil communautaire.

Conseil d’État, 18 septembre 2017, N° 408894

[1Le rapporteur public avait pour sa part indiqué, dans ses conclusions, qu’il appartenait aux requérants "d’établir qu’en cas d’exécution du contrat, le coût que représentera pour la collectivité la résolution ou la résiliation du marché qui sera éventuellement décidée par le juge du contrat (...) sera d’une importance telle qu’il est préférable de suspendre son exécution".