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Décisions d’urbanisme préjudiciables : le maire peut engager sa responsabilité civile même en l’absence d’intérêt personnel

Cour de cassation, chambre civile 1, 25 janvier 2017, N° 15-10852

Projet immobilier retardé par de multiples refus d’autorisation d’urbanisme : le maire peut-il engager son patrimoine personnel bien qu’il n’ait recherché aucun intérêt personnel ?

Oui si le juge estime que les agissements de l’élu, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité. En l’espèce le projet immobilier d’un pétitionnaire a été retardé par de multiples refus de la commune (certificats d’urbanisme négatifs, arrêtés de refus de lotir, obstacles à la réalisation des travaux de lotissement, refus de permis de construire). L’administré finit par obtenir un permis après avoir saisi le juge administratif. Estimant que le maire a volontairement et systématiquement fait obstruction à la réalisation de son projet immobilier, et a ainsi commis une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions, le pétitionnaire saisit la juridiction judiciaire pour obtenir la condamnation personnelle de l’élu au paiement de dommages-intérêts.

Les juges du fond écartent toute responsabilité personnelle du maire relevant que l’élu n’a recherché aucun intérêt personnel. En effet l’ensemble des décisions prises témoigne de l’appréciation portée par le conseil municipal et, plus particulièrement, par le maire sur le projet en cause, comme étant de nature à nuire à la tranquillité des habitants par un trafic automobile supplémentaire et à créer des difficultés de circulation.

La chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir recherché si les agissements de l’élu, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils avaient été commis, ne présentaient pas une gravité telle qu’ils étaient détachables de l’exercice de ses fonctions de maire. Bref, ce n’est pas parce qu’un élu n’a pas poursuivi d’intérêt personnel qu’il ne peut pas engager son patrimoine personnel dans l’exercice de ses fonctions. Appliqué ici au domaine de l’urbanisme, la même règle s’applique dans tous les champs d’action des collectivités territoriales : marchés publics, pouvoirs de police, état civil, ressources humaines, relations avec les associations... autant d’occasions où les élus et les fonctionnaires peuvent engager leur patrimoine personnel, et donc même s’ils n’ont pas poursuivi d’intérêt personnel.

Un propriétaire reproche au maire d’une commune des Alpes-Maritimes [1] d’avoir volontairement et systématiquement fait obstruction à son projet de construction d’un lotissement. Estimant que l’élu a commis une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions, il recherche la responsabilité personnelle de l’élu devant les juridictions judiciaires sur le fondement de l’article 1382 (devenu entre-temps l’article 1240) du code civil.

En effet s’il a pu finalement obtenir un permis de construire, son projet a été considérablement retardé par de multiples obstacles administratifs : certificats d’urbanisme négatifs, arrêtés de refus de lotir, obstacles à la réalisation des travaux de lotissement, refus de permis de construire... Avant que le juge administratif ne lui donne raison.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence ne fait pas pour autant droit à la demande indemnitaire du requérant. Elle estime en effet qu’aucune faute personnelle détachable de ses fonctions ne peut être imputée à l’élu :

 si le projet de lotissement mené par ce dernier s’est heurté à de multiples obstacles administratifs, tels que des certificats d’urbanisme négatifs et des arrêtés de refus de lotir, d’interruption de travaux et de refus de permis de construire, l’ensemble de ces décisions témoigne de l’appréciation portée par le conseil municipal et, plus particulièrement, par le maire sur le projet en cause, comme étant de nature à nuire à la tranquillité des habitants par un trafic automobile supplémentaire et à créer des difficultés de circulation ;

 si cette appréciation a été critiquée par le juge administratif en l’absence de fondement sérieux, il reste que l’élu n’a poursuivi aucun intérêt personnel à la non-réalisation dudit projet immobilier.

Bref, pour les juges d’appel, la circonstance que l’élu n’ait pas poursuivi de mobile d’ordre privé suffit à écarter l’existence d’une faute personnelle.

Pas si vite, répond la Cour de cassation :

"en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, quel qu’en ait été le mobile, les agissements de M. Y... ne revêtaient pas, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils avaient été commis, une gravité telle qu’ils étaient détachables de l’exercice de ses fonctions de maire, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision".

Ainsi la circonstance que le maire n’ait pas poursuivi de mobile personnel ne suffit pas à écarter toute faute personnelle de sa part. Encore faut-il s’assurer que l’élu n’ait pas commis une faute d’une particulière gravité.

En cela l’arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation est dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil dEtat (Conseil d’Etat, 30 décembre 2015 n° 391798 & n° 391800) qui a posé trois critères (alternatifs et non cumulatifs) permettant de caractériser l’existence d’une faute personnelle. Selon le Conseil d’Etat, présentent en effet le caractère d’une faute personnelle détachable des fonctions des faits qui :

 révèlent des préoccupations d’ordre privé ;

 ou procèdent d’un comportement incompatible avec l’exercice de fonctions publiques ;

 ou revêtent une particulière gravité, eu égard à leur nature ou aux conditions dans lesquelles ils ont été commis.

En somme la Cour de cassation reproche aux juges d’appel de ne s’être prononcés qu’au regard du premier critère sans s’interroger sur l’existence d’une faute d’une particulière gravité comme les y invitaient pourtant les requérants.

En l’espèce, cela ne signifie pas pour autant que la Cour de cassation estime que l’élu a commis une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions. Il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de se prononcer sur cette question en recherchant l’existence d’une faute d’une particulière gravité. En cas de réponse positive, l’élu engagera son patrimoine personnel et devra indemniser le requérant.

Rappelons que la chambre criminelle de la Cour de cassation (suivre les liens proposés en fin d’article) considère que les fautes non intentionnelles, même d’une particulière gravité, n’engagent pas la responsabilité civile personnelle de l’élu. Seule la responsabilité de la collectivité peut donc être recherchée en cas d’accident et de poursuites pour homicide ou blessures involontaires contre un élu. La faute d’une particulière gravité suppose ainsi l’intentionnalité de son auteur. De fait, dans l’affaire qui était ici soumise à la chambre civile, le requérant reprochait à l’élu d’avoir volontairement et systématiquement fait obstruction à la réalisation de son projet immobilier.

Il est revanche indifférent que l’élu n’ait recherché aucun intérêt personnel. Appliqué ici au domaine des autorisations d’urbanisme, le même principe peut se décliner dans tous les champs d’action des collectivités territoriales : marchés publics, état civil, pouvoirs de police, ressources humaines, relations avec les associations... autant d’occasions où les élus et les fonctionnaires peuvent engager leur patrimoine personnel si le juge judiciaire leur impute une faute d’une particulière gravité.

Cour de cassation, chambre civile 1, 25 janvier 2017, N° 15-10852

[1Contes,25000 habitants.