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Accident sur un chantier à proximité d’une ligne électrique par méconnaissance des distances de sécurité : qui est responsable ?

Cour de cassation, chambre criminelle, 1 mars 2016, N° 14-88518

L’agent qui constate un manquement grave à une règle de sécurité sur un chantier par le salarié d’une entreprise privée peut-il être déclaré pénalement responsable en cas d’accident ?

Oui s’il n’a pas alerté immédiatement la personne compétente pour ordonner l’interruption du chantier (à défaut d’en avoir lui même le pouvoir). En l’espèce le gérant d’une société est déclaré pénalement responsable de l’accident survenu à l’un de ses employés gravement brûlé par suite de la formation d’un arc électrique lorsqu’il tenait le manche à déversement d’une bétonnière dont le bras articulé se trouvait à proximité immédiate d’une ligne électrique à haute tension. Le chauffeur du camion, salarié d’une autre entreprise, avait refusé de déplacer son camion objectant ne pas avoir d’ordre à recevoir du prévenu qui n’était ni son employeur, ni maître d’ouvrage. La Cour de cassation confirme malgré tout la responsabilité du gérant : ayant parfaitement conscience du danger que représentait la proximité de la ligne électrique, il aurait dû avertir sur le champ le représentant du maître d’ouvrage et donneur d’ordre afin qu’il dénoue la situation. La solution est transposable à un agent territorial qui constaterait sur un chantier un danger grave et imminent auquel seraient exposés des salariés d’une entreprise privée travaillant pour le compte de la collectivité en raison de la méconnaissance de règles élémentaires de sécurité : s’il ne dispose pas lui même du pouvoir d’ordonner l’interruption du chantier, il doit en aviser immédiatement la personne compétente. Encore faut-il que chaque agent ait connaissance de la procédure à suivre et dispose des coordonnées des personnes à contacter en pareilles circonstances.

Un ouvrier d’une société privée est gravement brûlé par suite de la formation d’un arc électrique lorsqu’il tenait le manche à déversement d’une bétonnière dont le bras articulé se trouvait à proximité immédiate d’une ligne électrique à haute tension. En principe le camion de livraison aurait dû arriver par une autre voie d’accès mais le chauffeur avait changé d’itinéraire en raison de mauvaises conditions de circulation.

L’employeur de la victime, présent sur le chantier, demande dans un premier temps au chauffeur du camion livrant le béton de déplacer son véhicule compte-tenu de la proximité de la ligne à haute-tension. Mais le chauffeur, employé par une autre société, lui objecte qu’il n’a pas à recevoir d’ordre d’une personne qui n’est ni son employeur, ni le responsable du chantier. En l’absence de représentant du maitre d’ouvrage (une SCI), le chauffeur du camion téléphone à son employeur lequel lui donne l’autorisation de livrer le béton "en faisant attention"...

Conscient des risques, un premier ouvrier refuse de tenir le manche à déversement. C’est la victime, simple manœuvre non formé à l’utilisation de la machine, qui s’exécute finalement sur instructions de son employeur dont les réticences initiales ont été levées par l’appel téléphonique du chauffeur du camion à son employeur.

Poursuivi au pénal, le gérant de l’entreprise employeur de la victime, se défend en rappelant qu’il a demandé en vain au chauffeur du camion de déplacer son véhicule et de l’éloigner de la ligne haute-tension. Mais c’est précisément la preuve aux yeux des juges que le prévenu avait conscience du danger : face au refus du chauffeur du camion de déplacer son véhicule, le prévenu aurait dû avertir le maître d’ouvrage (également maître d’œuvre), de venir régler la difficulté.

La Cour de cassation n’y trouve rien à redire et confirme la condamnation de l’employeur de la victime à six mois d’emprisonnement avec sursis et 2 500 euros d’amende :

1° il appartenait à l’employeur d’informer le travailleur de la conduite à tenir face aux situations anormales prévisibles, telle que la manipulation d’une bétonnière à proximité d’une ligne électrique à haute tension. En effet la victime, recrutée depuis deux mois, n’avait jamais été formée au maniement de la manche à déversement, son employeur se contentant de lui dire "fais comme tu le sens" !

2° le prévenu, qui avait parfaitement conscience du danger que représentait la proximité de la ligne électrique, a omis d’avertir le gérant de la société civile immobilière, qui avait les qualités de maître d’œuvre, maître d’ouvrage et donneur d’ordre, de la situation afin qu’il la dénoue ;

3° le prévenu a omis de respecter les dispositions de l’article R. 4534-108 du code du travail, relatives aux mesures à prendre en cas de travaux au voisinage de lignes ou d’installations électriques.

Et les magistrats de conclure que "le prévenu a contribué à créer la situation ayant permis, indirectement, la réalisation du dommage et commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer".

L’entreprise ayant livré le béton est pour sa part condamnée à 14000 euros d’amende. Relevons par ailleurs qu’aucun coordonnateur de sécurité (CSPS) n’avait été désigné, ni de plan de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé établi. L’arrêt de la Cour de cassation ne fait pourtant aucune mention d’une quelconque mise en cause de la société maître d’ouvrage [1]...

Cour de cassation, chambre criminelle, 1 mars 2016, N° 14-88518

[1Mais il est aussi possible que celle-ci n’ait pas exercé de recours