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Reprise en régie d’une DSP : la collectivité n’est tenue par les engagements pris par le délégataire que dans la limite du raisonnable

Conseil d’État, 19 décembre 2014, N° 368294

Une collectivité est-elle tenue, en cas de rupture d’une délégation de service public, par les engagements contractuels pris par le délégataire auprès d’usagers ?

Oui mais sous réserve que les engagements pris par le délégataire sont raisonnables au regard notamment de leur objet, de leurs conditions d’exécution ou de leur durée. Dans le cas contraire, la personne publique n’est pas liée par les contrats, sauf à ce qu’elle ait donné préalablement son accord à leur conclusion dans le respect de la réglementation applicable.

En mars 2003 la commune de Propriano confie, par convention de délégation de service public (DSP), la construction et l’exploitation de son port de plaisance à une société privée. Quatre ans plus tard, elle résilie la DSP à raison des fautes commises par le délégataire.

Un usager du port de plaisance demande à ce que la commune soit condamnée à l’indemniser du préjudice né de l’inexécution du contrat de garantie d’usage d’un poste d’amarrage de longue durée qu’il avait conclu avec le délégataire. Débouté en première instance, il obtient gain de cause en appel.

Dans un arrêt publié au bulletin, le Conseil d’Etat donne finalement raison à la commune.

Le Conseil reconnaît certes qu’en principe la collectivité est tenue par les engagements pris par le délégataire :

"en cas de résiliation d’un contrat portant exécution d’un service public, quel qu’en soit le motif, la personne publique, à laquelle il appartient de garantir la continuité du service public et son bon fonctionnement, se substitue de plein droit à son ancien cocontractant pour l’exécution des contrats conclus avec les usagers ou avec d’autres tiers pour l’exécution même du service".

Mais c’est pour mieux préciser "qu’il n’en va toutefois ainsi que si les contrats en cause ne comportent pas d’engagements anormalement pris". Ce qui exclut les engagements pris par le délégataire qu’une interprétation raisonnable du contrat relatif à l’exécution d’un service public ne permettait pas de prendre au regard notamment de leur objet, de leurs conditions d’exécution ou de leur durée.

A moins, bien entendu, que la personne publique n’ait donné, dans le respect de la réglementation applicable, son accord à la conclusion desdits contrats.

A défaut, la collectivité n’est pas liée par les engagements pris par le délégataire :

"la substitution de la personne publique n’emporte pas le transfert des dettes et créances nées de l’exécution antérieure des contrats conclus par l’ancien cocontractant de la personne publique, qu’il s’agisse des contrats conclus avec les usagers du service public ou de ceux conclus avec les autres tiers".

Or en l’espèce, le délégataire a bien pris des engagements déraisonnables en octroyant à l’usager une affectation privative d’un poste d’amarrage précisément localisé en violation de la convention de DSP qui stipulait que la garantie d’usage de postes d’amarrage ou de mouillage accordée à une personne physique ou morale était donnée pour le seul accès à un poste dans une zone déterminée du port sans pouvoir permettre l’affectation privative d’un ou plusieurs postes déterminés. Ainsi le contrat invoqué ne peut être regardé comme un engagement que la société délégataire pouvait normalement prendre et ne saurait donc lier la commune.

Conseil d’État, 19 décembre 2014, N° 368294


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[1Photo : ©-Antonio-Ruiz