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La solidarité territoriale ou les paradoxes de la réforme

par Olivier RENAUDIE, professeur à l’Université de Lorraine (IRENEE)

En partenariat avec la Revue Lamy des Collectivités territoriales, retrouvez l’éditorial du professeur Olivier Renaudie lequel pointe quatre paradoxes dans la réforme territoriale.

La solidarité est au cœur de la nouvelle réforme territoriale
promue par les pouvoirs publics. D’une part, elle irrigue les
discours politiques, notamment celui du Président de la République
 ; dans sa tribune parue dans la presse quotidienne régionale
le 3 juin dernier, celui-ci a ainsi pu affirmer que le projet
de réforme envisagé est, d’un côté, fondé sur les valeurs d’efficacité
et de solidarité et, de l’autre, permet « d’assurer la solidarité
financière entre les collectivités territoriales selon leur niveau de
richesse ». D’autre part, elle innerve les textes juridiques, particulièrement
l’avant-projet de loi portant nouvelle organisation territoriale
de la République : le terme y est employé à une vingtaine
de reprises ; un Titre entier lui est consacré sous l’intitulé, riche de
promesses, « Solidarités territoriales et humaines ».

Cette émergence
de la solidarité territoriale dans le discours politico-juridique
est remarquable à bien des égards. En premier lieu, elle témoigne
d’un glissement terminologique : après avoir promis l’égalité
des territoires, au point de l’ériger en portefeuille ministériel, le
gouvernement semble l’avoir abandonnée au profit de la solidarité
territoriale. En second lieu, le contexte dans lequel est censé
se déployer cette solidarité territoriale se trouve marqué par un
certain nombre de tensions qui la rendent assurément difficile à
réaliser : crise économique, raréfaction des ressources financières
des collectivités territoriales, volonté des pouvoirs publics de réduire
le coût de l’action publique, montée de l’individualisme.

Ces
différents éléments ont conduit la Chaire « Mutations de l’action
publique et du droit public » de Sciences Po à consacrer le 6e Rendez-
vous du Local à « La solidarité territoriale. Entre réforme(s) et
tension(s) ».
Au-delà des contributions tirées des interventions à ce colloque
qui figurent dans le présent numéro, cette journée a été l’occasion
de pointer un certain nombre de paradoxes relatifs à la réforme
en cours.

 Le premier paradoxe tient à l’absence de définition
de la solidarité territoriale : alors même qu’elle est au cœur de
l’avant-projet de loi, l’expression n’y est définie nulle part. Cette
absence apparaît d’autant plus regrettable que se pose notamment
la question de savoir si la solidarité territoriale doit être réduite
à l’exercice de compétences sociales ou si elle revêt un sens
plus général renvoyant à la lutte contre les inégalités.

 Le deuxième
paradoxe concerne ce qui semble être un impensé de la réforme, à
savoir l’État : malgré l’incantation figurant dans l’exposé des motifs
de l’avant-projet de loi, selon laquelle « l’État est notre garant »
(amen !), ce dernier est cruellement absent des dispositions législatives
envisagées. Peut-on sérieusement modifier l’organisation
territoriale de la République sans traiter du rôle et de l’organisation
de l’État au niveau local ?

 Le troisième paradoxe est relatif aux finances locales : en dépit de
l’affirmation de principe de la nécessaire solidarité financière entre
les collectivités territoriales, aucun passage de l’avant-projet de loi
n’est consacré à cette question. Pourtant, face aux nombreuses
inégalités entre les territoires, en matière de services, mais également
de ressources, de nouveaux mécanismes de compensation
et de péréquation doivent être imaginés.

 Le quatrième, et dernier, paradoxe renvoie aux conseils départementaux
 : alors même que les pouvoirs publics envisagent leur
suppression à l’horizon 2020, l’avant-projet de loi rappelle leurs
compétences en matière de développement social, d’accueil des
jeunes enfants et d’autonomie des personnes. Le conseil départemental
est en fin de vie… mais ses compétences en matière sociale
sont réaffirmées ! Une réflexion sur la gouvernance et la cohésion
sociales au niveau local apparaît pourtant urgente. Il faut dès lors
espérer que le Parlement, dans sa grande sagesse, contribuera à
lever ces différents paradoxes. Ce n’est rien d’autre que le « vivre
ensemble » qui se trouve ici en jeu.

Le sommaire de la Revue Lamy des Collectivités Territoriales de juillet 2014