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Extension du domaine de la protection fonctionnelle aux situations "anormales" de travail qui confinent au harcèlement

Tribunal administratif d’Orléans, 26 février 2013, N° 1102529 et N° 1103306

Des relations hiérarchiques particulièrement tendues, qui ne caractérisent pas pour autant un harcèlement moral, peuvent-elles justifier l’octroi de la protection fonctionnelle ?

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Oui si ces tensions dépassent les limites de l’exercice "normal" du pouvoir hiérarchique ou portent atteinte aux relations "normales" de travail tranche le tribunal administratif d’Orléans dans un jugement qui, s’il devait être confirmé, conduirait à une extension notable du domaine de la protection fonctionnelle.

Un directeur général adjoint (DGA) d’un département porte plainte contre le directeur général des services (DGS) du chef de harcèlement moral.

A l’appui de sa plainte il invoque plusieurs témoignages et situations blessantes :

 un agent qui interrogeait le DGS sur la place dans l’organigramme du DGA se serait vu répondre "il y a un président du conseil général et un directeur général" ;

 le DGS aurait porté, sans fondement, une appréciation très négative lors du comte-rendu de son entretien professionnel en faisant état de manquements graves à l’éthique professionnelle, au devoir de réserve et aux valeurs du département ;

 des personnes ayant eu à travailler avec le DGS ont dénoncé la mauvaise ambiance de travail instaurée par ce dernier et sa propension à court-circuiter les cadres intermédiaires en donnant directement ses instructions aux agents ;

 au cours d’une réunion où il prenait la parole pour présenter un dossier, le DGS aurait pris un malin plaisir à tapoter son crayon sur la table pour afficher publiquement son agacement ;

 lors d’un déplacement, le DGS lui aurait donné l’ordre brutal de le rejoindre dans sa voiture pour du co-voiturage lui refusant le droit de s’y rendre par ses propres moyens et ce bien qu’il devait rentrer plus tard pour l’inauguration sur place de différents équipements ;

 lors d’une autre réunion, le DGS lui aurait publiquement demandé de "se comporter en adulte" le décrédibilisant ainsi aux yeux de ses collègues.

Un peu court pour caractériser un quelconque harcèlement moral réplique le département qui refuse d’accorder la protection fonctionnelle au plaignant. La collectivité prend au contraire la défense du DGS victime, selon lui, d’une "fronde" de trois DGA voulant le pousser à la démission et refusant de se conformer à la refonte du schéma d’organisation du service adoptée par le conseil général. Ainsi le plaignant aurait ouvertement critiqué la démarche voulue par l’assemblée délibérante et exprimé sa volonté de ne plus travailler en direct avec le DGS. En outre, poursuit le département, l’intéressé n’aurait pas à hésité à médiatiser et politiser le conflit pour mettre en difficulté l’exécutif.

Ces arguments ne convainquent pas le tribunal administratif appelé à statuer sur le refus de protection fonctionnelle. Celui-ci est plutôt enclin à donner crédit aux allégations de l’agent :

les pièces et témoignages produits tendent à établir "une pratique managériale autoritaire refusant la contradiction et la gérant par le recours à la manoeuvre, l’intimidation par des propos et des attitudes publics humiliants, organisant fréquemment la mise en cause des lignes hiérarchiques, allant jusqu’à laisser entendre que le cadre ainsi court-circuité est en instance de départ".

Pour autant, à aucun moment, le tribunal ne qualifie les faits qui lui sont soumis comme étant constitutifs d’un quelconque harcèlement moral. Il préfère stigmatiser une "situation anormale de travail", estimant que le comportement du DGS a "excédé l’exercice normal du pouvoir hiérarchique".

Ce faisant, subrepticement, le tribunal procède à une extension du domaine de la protection fonctionnelle qui suppose, en principe, que l’agent ait subi des "menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages" dans l’exercice de ses fonctions. Car si le tribunal se refuse à qualifier les faits comme étant constitutifs d’un harcèlement moral, il n’en considère pas moins que la collectivité aurait dû accorder sa protection au cadre :

« les agissements [de harcèlement moral] mentionnés à l’article 6 quinquiès [de la loi du 13 juillet 1983], comme tous ceux qui excèdent les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique d’organisation du service ou qui portent atteinte aux relations normales de travail obligent l’autorité fonctionnelle à accorder à l’agent public la protection prévue à l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ».

Si ce jugement devait être confirmé, il y aurait là une là une extension notable du domaine de la protection fonctionnelle aux "situations anormales de travail" qui confinent au harcèlement et un risque accru de judiciarisation des rapports sociaux au sein des collectivités territoriales.

Tribunal administratif d’Orléans, 26 février 2013, N° 1102529 et N° 1103306

[1Photo : © Tkemot